COMPTE-RENDU BOTANIQUE DE LA SESSION DE GAP EN JUILLET ET AOUT 1874 Par M. Ant. MAGNIN Le 18 juillet dernier, plusieurs de nos collègues, MM. SaintLager, Mathieu, L. Rérole et A. Magnin, partaient de Lyon, se rendant à Gap, pour prendre part à la session extraordinaire de la Société botanique de France, à laquelle les membres de la Société botanique de Lyon avaient été si gracieusement invités. A Grenoble, nous rejoignions deux autres sociétaires, MM. Perroud et Therry, et à deux heures du soir nous nous encaissions dans la diligence de Gap, avec la perspective peu agréable d'y passer 16 longues heures. Je ne dirai rien de ce trajet dont une partie du reste a été faite la nuit. Cependant, en profitant des nombreuses et longues rampes, qu'on fait habituellement à pied, le botaniste, qui vient herboriser pour la première fois dans ces belles montagnes du Dauphiné, pourrait déjà se familiariser avec leur végétation : les Catananche cærulea L., Galium myrianthum Jord., Buphthalmum grandiflorum L., Geranium nodosum L. croissent, en effet, abondamment dans les bois, sur les bords de la route de Vizille à Laffrey. Mais j'ai hâte d'arriver à la description botanique des environs de Gap, objet de ce compte-rendu. A partir du col Bayard et tandis qu'on descend les nombreux lacets que la route de Grenoble décrit avant d'arriver au cheflieu des Hautes-Alpes, nous pouvons déjà nous rendre compte de la disposition et de la nature des localités que nous allons explorer pendant cette session. Tout autour se dressent de hautes chaînes de montagnes aux crêtes déchiquetées et aux flancs dénudés qui vus de loin paraissent dépouillés de toute végétation. De noirs ravins, que chaque orage creuse plus profondément, déchirent çà et là ces pentes arides A cet aspect, le naturaliste se demande si c'est bien la terre promise dont on lui vantait les richesses botaniques. Mais, après quelques courses dans ces montagnes, la récolte d'une foule de plantes rares vient modifier l'impression première; les interstices de ces éboulis, les fentes de ces rocs abrupts livrent des trésors dont la découverte fait oublier les premiers désenchantements. M. Saint-Lager vous a entretenu (1), à son retour de Gap, des divers incidents de la session, des excursions faites par la Société, des travaux qui ont été présentés aux séances, et enfin de l'accueil bienveillant fait à vos représentants; je n'y reviens pas et j'entre de suite en matière en donnant quelques détails indispensables sur la topographie et la constitution géologique des environs de Gap. SI La ville de Gap est située près du ruisseau la Luye, affluent de la Durance, à 700 mètres environ d'altitude, dans une vallée dirigée du Nord-Est au Sud-Ouest. A peu de distance de la ville se trouvent des coteaux peu élevés, ordinairement trèsarides; plus loin, derrière Gap, au nord-ouest, s'étend la chaîne montagneuse de Charance, élevée en moyenne de 1500 mètres. C'est à son extrémité nord que sont situés le Col et le Pic-deGlaise qui ont été le but d'une herborisation spéciale; et plus loin le col Bayard par où passe la route de Grenoble. Derrière la chaîne de Charance, mais plus au nord-ouest, se dresse le massif du Mont-Aurouse; enfin, au sud-ouest de Gap du côté de Veynes et de Sisteron, se trouve le Mont-Séuse. Les dernières excursions de la session ont été consacrées à l'exploration de ces deux localités devenues classiques; mais notre départ pour le Mont-Viso nous a empêchés d'y prendre part. Les environs immédiats de Gap présentent la plus grande uniformité au point de vue de leur constitution géologique; on est constamment, du sommet des montagnes au fond des vallées, en plein Oxfordien; calcaires noirâtres plus ou moins (1) Voyez Annales, t. III, p. 112. schisteux, marnes plus ou moins compactes. Il faut aller plus loin, au Séuse et à l'Aurouse, par exemple, pour trouver d'autres terrains. Mais ce sont toujours des roches calcaires Jurassiques, Néocomiennes ou Crétacées, déterminant le même état physique du sol et donnant par conséquent naissance à une végétation calcicole et xérophile qui ne varie qu'avec l'exposition et l'altitude. C'est donc en me plaçant à ce double point de vue, que je présententerai le tableau de la flore vapençaise. § II On peut y distinguer trois zones botaniques : 1o La région basse comprenant les prairies et les terrains cultivés de la plaine; 2° Les coteaux, formés de terrains sableux ou marneux; 3 La région montagneuse proprement dite; et, dans cette dernière, je distinguerai les espèces communes à l'ensemble des montagnes, et les espèces particulières à chacune de celles qui ont fait le sujet d'une excursion spéciale. 1o La Flore de la région basse est composée en grande partie d'espèces méridionales qui ont remonté la vallée de la Durance. Comme fonds de tableau de la végétation, on trouve à chaque pas: Centaurea leucophaea Jord., espèce très-voisine du C. paniculata L., et qui paraît le remplacer dans cette partie du Dauphiné, Echinops ritro L., Lasiagrostis calamagrostis Link, Nepeta graveolens Lam. Dans les moissons et sur les bords des champs, on rencontre fréquemment : Et aussi, mais plus ordinairement, sur le bord des chemins: Le Salvia æthiopis L. croît sur les bords de la route de Gap à Veynes. Tout cet ensemble de plantes a un cachet bien méridional. Dans les endroits plus frais on rencontre : Melampyrum sylvaticum L. Deschampsia juncea P. de B. Nasturtium asperum Boiss. Carex hordeistichos Vill., etc. Dans les bois on rencontre assez fréquemment : Acer monspessulanum L. Ranunculus sylvaticus Thuill. présentent le même caractère 2o Les coteaux secs, arides, méridional; nous y voyons en effet : Thymus vulgaris L. delphinensis Jord. Leontodon Villarsii Lois.' Linum salsoloides Lam. Dianthus saxicola Jord. virgineus G. Godr. Cirsium ferox D. C. Carduncellus monspeliensium All. Cnidium apioides Spreng. Genista cinerea L. Galium corrudæ folium Vill. Crupina vulgaris Cass. Cynoglossum Dioscoridis Vill. Les espèces suivantes sont moins caractéristiques: Il est à remarquer que quelques-unes de ces espèces remontent assez haut dans le bassin de la Durance; suivant en cela les lois de dispersion bien connues et qu'on peut vérifier le long de tous nos cours d'eau. Ainsi le Centaurea leucophaea arrive jusqu'à Briançon, et dans notre excursion au Queyras, nous avons trouvé cette Centaurée et le Leontodon Villarsii, non seulement le long de la Durance, mais encore au-dessus de Guillestre, en remontant la vallée du Guil jusqu'à ChâteauQueyras qui semble être, de ce côté, l'extrême limite d'ascension de ces plantes méridionales. Enfin, les plantes alpines ou subalpines suivantes descendent presque jusqu'aux portes de Gap: Ononis cenisia L. Galium boreale L. Astragalus aristatus D. C. 3o La région la plus intéressante, par la variété et le nombre des espèces, est la zône montagneuse proprement dite, dont la partie inférieure donne les espèces suivantes qu'on peut rencontrer dans presque tous les environs de Gap: Dans les éboulis : Artemisia camphorata Vill. Carlina acanthifolia All. Dans les pelouses : Asphodelus subalpinus Gr. et Godr. Orobus luteus L. Lilium croceum Chaix. Galium myrianthum Jord.. Sur les rochers : Rhamnus pumila L. Kæleria alpicola Godr. Gr. Helianthemum ælandicum D. C. Hieracium amplexicaule L. Jacquini Vill. lanatum Vill. Quelques genres méritent une mention spéciale par les formes intéressantes que leurs espèces montrent dans ces stations: Les Hieracium, par exemple, du groupe des Pilosella, lanatum, villosum, amplexicaule, etc., présentent un luxe de formes qui rendent difficile leur détermination et donnent ample matière aux amateurs des espèces critiques. ll en est de même des Sempervivum, qui sont représentés par |