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SUR LES

MOUVEMENTS DES CARPELLES DE L'ERODIUM CICONIUM

Par M. Gabriel ROUX

Une des questions, sans contredit, les plus intéressantes de la physiologie végétale, est celle des mouvements des plantes, puisqu'il fût un temps où des naturalistes voulurent baser sur l'absence de ces mouvements dans le règne végétal, des distinctions catégoriques entre les végétaux et les animaux. Aujourd'hui, nous savons quel cas l'on doit faire de ces distinctions, et l'étude des mouvements chez les végétaux est devenue une des branches les plus importantes de la physiologie de ces êtres.

Sans entrer dans la classification de ces diverses sortes de mouvements, sans m'inquiéter du mécanisme propre à chacun d'entre eux, j'arrive à celui qui doit faire l'objet de cette note: les mouvements des carpelles de l'Erodium ciconium Willd.

Le mode curieux de dissémination des fruits des différentes plantes appartenant à la famille des Géraniacées est connu depuis longtemps, et n'a pu échapper, en raison de sa curiosité même, à l'attention des botanistes. Mais si le fait matériel est connu, les conditions qui aident à l'accomplissement du phénomène, et les causes de ce phénomène n'ont pas, que je sache, été étudiées d'une façon spéciale.

Il y a deux ans que j'étais frappé des mouvements que les carpelles des Erodium et autres Géraniacées pouvaient effectuer au moment de la dissémination, et l'idée d'étudier les

conditions dans lesquelles s'effectuaient ces divers mouvements me vînt aussitôt à l'esprit. Laissant de côté les fruits des Geranium et des Pelargonium, je m'appliquais surtout à l'étude de ceux des Erodium et exclusivement de l'Erodium ciconium à cause de sa grandeur plus considérable.

Mon premier soin fut de m'occuper de l'historique de la question, et de rechercher dans les auteurs ce qui avait bien pu être fait sur cette question.

Dutrochet, qui s'est cependant tant occupé du mouvement chez les plantes, n'a point parlé de celui des carpelles des Erodium, et, bien que j'ai puisé dans son ouvrage (1) des renseignements d'une grande valeur, j'ai dû aller plus loin pour en trouver de plus directs et de plus précis. De Candolle, dans sa physiologie végétale, se contente de dire quelques mots sur les mouvements des fruits des Géraniées, en général, à propos de la dissémination des graines; mais il ajoute, sur l'essence de ce mouvement, quelques mots que je rapporte ici, et sur la portée desquels j'aurai bientôt à revenir : « Cette faculté (élasticité), dit-il, pourrait bien n'être pas seulement une faculté de tissu, mais dépendre de l'action vitale, car on << assure que les matières vénéneuses ou narcotiques arrêtent << ou diminuent cette action. »

Des renseignements plus précis m'ont été donnés par un article de M. Edmond Pinaërt, architecte à Gand, dans la Flore des serres et jardins de l'Europe (2). Je prends dans cet article le passage qui regarde plus particulièrement l'Erodium: « Ces « phénomènes (de mouvement) sont encore plus remarquables << chez les graines d'une plante annuelle indigène, l'Erodium gruinum, Willd, bec-de-grue, qui sont même utilisées pour

(1) Mémoires pour servir à l'Histoire anatomique et physiologique des végétaux et des animaux, par M. H. Dutrochet. Paris, 1837.

(2) Flore des serres et jardins de l'Europe. 1861, XIVe vol. (t. IV, 2o série, p. 43.)

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<< confectionner des hygromètres de la plus grande simplicité << et d'une sensibilité extrême. Ces graines sont munies d'un « appendice corné long de quelques centimètres, tourné en spirale à sa partie inférieure. La graine étant retenue dans << une position fixe, cette spirale se déroule ou s'enroule plus << ou moins suivant le degré d'humidité ou de sécheresse de « l'air, et son extrémité mobile remplit alors l'office d'une aiguille sur un cadran. Nous avons reçu dernièrement un de << ces petits appareils vraiment ingénieux construits en Alle

« magne. »

J'ai construit d'une façon extrêmement grossière un hygromètre du genre de ceux dont il vient d'être fait mention, et, malgré l'imperfection de l'instrument, les membres de la Société botanique qui l'ont eu sous les yeux ont pu juger de sa sensibilité excessive. Mais c'est en vain que j'ai cherché des traces d'une théorie sur laquelle les Allemands se seraient appuyés pour construire cet hygromètre; il est probable que le mouvement a été utilisé, ce qui était facile, sans qu'il ait été étudié au point de vue théorique, qui ne pouvait importer aux constructeurs de ces instruments. Quoi qu'il en soit, je ne sache point que cette théorie ait été donnée.

Si je cherche ensuite dans les traités de botanique plus récents, dans celui de Rodet, de Le Maout et Decaisne et autres, je ne trouve absolument rien qui puisse me donner un indice quelconque.

Le 23 septembre 1861, M. Rodet, professeur de botanique à l'Ecole vétérinaire de Lyon, lut à l'Académie des sciences de cette ville, une note sur l'anatomie et la physiologie d'un cône de pin. C'est dans cette note, publiée en 1862, que j'ai trouvé le plus de renseignements et des meilleurs sur le sujet qui m'occupe. On connaît, en effet, les propriétés hygrométriques des écailles d'un cône de pin, et les mouvements qui en sont la conséquence. Or, ces mouvements sont presque identiques à

ceux qui se passent chez l'Erodium; on comprend, dès lors, de quelle utilité a pu m'être la lecture de cette note, et la comparaison des résultats auxquels était arrivé M. Rodet avec les miens.

Tel étant l'état de la question, et les recherches antérieures sur ce sujet m'ayant paru insuffisantes, j'ai cru devoir poursuivre le travail que j'avais entrepris un peu par hasard.

J'étudierai successivement dans cette note: 1° les conditions dans lesquelles se produisent les mouvements carpellaires; 2° le but physiologique de ces mouvements; 3° la cause de ces mou

vements.

Mais avant d'aller plus loin, je crois nécessaire d'avertir que le travail que j'ai entrepris n'est pas terminé, que bien des résultats problématiques auxquels je suis arrivé, ne seront pas exposés ici, à cause précisément de leur existence hypothétique, et que bien des parties importantes de cette étude seront écourtées, pour cause d'insuffisance d'expérimentation. Je me réserve, du reste, de revenir plus tard, même sur les faits énoncés aujourd'hui, si la suite de ces travaux apporte quelques modifications aux idées précédemment émises. Ce ne sont donc que les prodromes d'un travail commencé que je présente aujourd'hui.

1° Conditions des mouvements. - La proposition la plus générale que l'on puisse formuler à propos de ces mouvements, est la suivante: La sécheresse tend à faire prendre au carpelle la position spiralée; l'humidité, au contraire, tend à rendre au carpelle sa rectitude. Nous verrons bientôt quelles restrictions il faudra apporter à ce principe, et dans quelle mesure nous devrons l'accepter. Que la sécheresse fasse prendre au carpelle la forme héliçoïde, et que l'humidité le fasse revenir à la position droite, le fait est indiscutable, indéniable; mais ce n'est pas seulement à la sécheresse et à l'humidité qu'il faut rapporter exclusivement les divers mouvements de ces carpelles, il faut encore faire intervenir d'autres causes, et notamment la lumière.

Les observations suivantes que je rapporte, et qui, certes, sont à l'abri de tout soupçon, puisqu'elles sont prises au jour le jour et sans idée préconçue, le démontrent d'une façon remarquable.

Deux carpelles d'Erodium sont placés le 27 juin, l'un sous une cloche contenant de la vapeur d'eau, l'autre sous une cloche dont l'air a été desséché par de l'acide sulfurique et du chlorure de calcium.

Je rapporte les observations comme je les ai prises chaque jour :

27 juin, 9 heures 12 du soir. -Les deux carpelles ont été mis sous cloche à 7 heures 1/2 du soir; celui de la cloche humide est presque complètement déroulé. Il présentait 6 tours de spire; il n'en présente plus que 2. Le carpelle de la cloche à air desséché, qui ne présentait qu'un tour de spire au commencement de l'expérience, en présente maintenant 6.

28 juin, 7 heures matin. - Le carpelle de la cloche humide n'a pas subi de modifications; celui de la cloche sèche présente 8 tours.

11 heures matin. - Le carpelle de la cloche humide a subi une modification extraordinaire; après s'être déroulé presque entièrement jusqu'à 7 heures du matin, il est maintenant roulé en spirale, et présente plusieurs tours. (La cloche était placée sur une fenêtre exposée au levant, et avait été réchauffée par les rayons du soleil.

7 heures soir. Le carpelle de la cloche humide ne présente plus qu'un tour et demi de spire. (Le soleil ne donne plus sur la fenêtre). Le carpelle de la cloche sèche présente 9 tours.

Je ne signalerai maintenant que les modifications survenues chez le carpelle placé dans la cloche humide; celui placé dans l'autre cloche étant constamment resté dans le même état jusqu'à la fin de l'expérience.

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