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L.A.BOILEAU.INV

Tout porte à croire, en effet, que les reproductions quasi-archéologiques de tous les styles que les artistes font depuis l'invasion de ce qu'on appelle la Renaissance, cesseront avec l'époque de transition à la fin de laquelle nous assistons. Après avoir fait de l'archéologie ro

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maine, puis de l'archéologie grecque entremêlée de réminiscences égyptiennes et arabes, et enfin de l'archéologie du moyen âge, on arrivera, il faut l'espérer, à faire, comme par le passé, de l'art qui

soit de notre temps. Pour cela, il est essentiel de renouer le fil de la tradition artistique que la Renaissance a rompu; il faut reprendre l'art où il était avant cette déviation qui a servi, du reste, à faire repasser sous nos yeux les modèles de tous les styles. Force est donc, non-seulement d'étudier les monuments du moyen âge d'une manière contemplative, mais encore de se remettre à les reproduire pendant un temps. C'est ce qu'a compris M. Boileau, l'architecte de l'église de Mattaincourt. Sans désespérer de passer outre un jour, il a voulu manier d'abord l'architecture qui, étant la plus avancée de toutes en art et en construction, doit contenir le germe d'un développement nouveau. En élevant l'église de Mattaincourt, il s'est efforcé de résumer, dans son ensemble, les principes fondamentaux suivis par les maîtres des œuvres, sans cependant s'astreindre à une copie servile des monuments élevés par eux.

Un écrivain distingué de la localité, M. Désiré Carrière, a rendu compte, dans l'Espérance, journal de Nancy, de l'édification de l'église de Mattaincourt et de l'impression artistique que produit cet édifice. Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici les principaux passages de cet article dû à une plume qui n'est pas étrangère à la poésie.

«Dans les trois nefs, presque entièrement achevées, du moins quant à la longueur, dit M. Carrière, ce monument reproduit les formes et le système de construction de la première moitié du XIV' siècle, de l'époque à laquelle le système ogival, improprement appelé gothique, fut complétement formulé sous le rapport de l'édification.

« Ce système, l'une des plus belles conceptions du moyen âge, de ce temps qu'on voudrait faire passer pour barbare, et qui montra tant de délicatesse, de pensées profondes, de vie sublime dans l'art, ce système, disons-nous, consiste à donner une élasticité jusqu'alors inconnue à la construction en pierre, si étrangère par nature à cette propriété. A l'aide d'une disposition de points d'appui et de lignes principales, formant ce qu'on nomme en architectonique une ossature, il réduit l'emploi de la matière à la quantité strictement nécessaire. La stabilité des constructions antiques et celle des constructions du moyen âge reposent sur deux principes opposés, qui ont leur racine dans l'idée religieuse représentée par leur application. La première était fondée sur un état de repos complet; - plates-bandes monolithes posées en travers sur des colonnes, - véritable symbolisme de cette croyance païenne, religion terrestre qui ne savait pas produire le moindre mouvement vers le ciel, la moindre aspiration

vers l'infini. La seconde consiste dans l'équilibre établi entre les diverses parties qui se buttent entre elles (l'arc et la voûte dans tout leur développement), progrès immense de la mécanique et des ma

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thématiques, sans doute, mais admirable découverte de cette foi chrétienne qui, spiritualisant jusqu'à la matière, l'a forcée à la suivre dans ses élans d'ascension vers Dieu, et lui a imprimé cette forme svelte, fleurie, dégagée, aérienne, qui la fait ressembler à une âme pétrifiée au moment de l'extase.

<«< En attendant (un renouvellement de l'art monumental), et pour aider à ce mouvement heureux qui nous emporte vers une renaissance plus naturelle, plus digne, plus désirable, que celle qui ressuscita chez nous le paganisme dans l'art, efforçons-nous, prêtres, architectes, écrivains, hommes de goût et de foi, efforçons-nous de favoriser de nos prières, de nos talents, de notre plume, de notre argent, la plus imposante manifestation matérielle du christianisme. Venez, vous qui doutez du réveil d'un genre architectural que vous avez cru mort pour jamais; venez poser votre œil, mettre votre doigt sur cette ravissante nef de Mattaincourt. Là, vous admirerez comme nous le grand mouvement dans les masses, la riche variété des plans, l'habile combinaison des ressauts qui rompent avec tant de grâce la monotonie des surfaces et des lignes. Vous serez frappés de cette légèreté apparente de construction qui, sans rien ôter à la solidité, donne à l'édifice une élégance, une hardiesse imposante; vous serez émerveillés de ces piliers qui se sont faits le plus petits possible, comme pour laisser plus de place à la foule des pèlerins, et qui s'en vont soutenir de leur tête, ceinte d'une guirlande de feuilles, le gracieux éventail des nervures de la voûte. Oui, en face de tout cela, à la lumière versée par les fenêtres ogivales, tournées vers cette tribuue en saillie supportée par de mâles encorbellements, vous vous écrierez: Voilà enfin de l'architecture religieuse! L'art gothique est vraiment retrouvé!

<«< Si cette première moitié de l'édifice, la seule réalisée, est capable de produire un pareil effet, que sera-ce donc quand il sera entièrement terminé, quand le chœur entourera, comme une châsse magnifique, le tombeau du bienheureux P. Fourier (1), quand sa tour portera dans les airs, à cinquante mètres du sol, le signe rédempteur arboré sur une flèche dentelée? Dans son complet achèvement, l'église aura cinquante-deux mètres de longueur, et vingt dans sa largeur extérieure, non compris les chapelles et sacristies qui seront en saillie de chaque côté, à l'entrée du chœur. La grande nef a quatorze mètres de hauteur sous clef de voûte, et les colla

(1) Il a été publié plusieurs Vies du bienheureux P. Fourier. Celle que M. l'abbé Chapia, curé de Damas (Vosges), vient de mettre au jour, résume et complète les anciennes biographies de cet homme de bien, en montrant la part qui lui revient dans l'initiative de plusieurs fondations d'utilité sociale. M. Boulay de la Meurthe, vice-président de la République, se propose aussi de publier prochainement ce qu'il a recueilli des grandes idées du R. P. Fourier, sur l'enseignement populaire, et en général sur l'amélioration du sort des masses, dans des documents authentiques signalés principalement par M. de Bazelaire.

téraux six mètres. C'est cette partie qui, sauf une travée, se trouve tout à fait finie, et provisoirement abrite déjà le culte. Nous avons dit l'impression qu'elle peut faire naître dans l'esprit des visiteurs et qu'elle a souvent produite sur nous-même. Aux détails donnés, nous en ajouterons quelques autres qui serviront à une approximation plus exacte de ce beau travail.

« Partout règne une grande fidélité dans les profils des moulures, qui se distinguent, dans le style adopté, par une forte accentuation propre au genre monumental. Sous le rapport de ce qu'on peut appeler le cossu, la pierre de taille n'est pas épargnée. L'ossature, extrêmement développée, ne s'est laissé envahir nulle part par le moellon, comme cela se voit dans plusieurs églises secondaires du moyen âge. Le cordon en pierre qui règne intérieurement et extérieurement, sous les fenêtres des collatéraux, est un ornement emprunté aux édifices du centre de la France, inusité dans notre contrée, et qui ajoute singulièrement à l'effet. La couverture en ardoises de Prusse, véritable luxe en ce genre, est soutenue par une charpente remarquable de simplicité, de force et de légèreté. Quant à la question de l'économie, elle nous a semblé parfaitement comprise et observée.

« Cette première moitié du monument, qui est loin d'être flatté par son entourage, obstrué qu'il est par un pâté de maisonnettes à faire disparaître un jour, en montre cependant assez pour donner à juger tout le plan de l'œuvre et en apprécier l'exécution. On s'accorde généralement à dire qu'on voit peu d'ouvrages d'art aussi soignés dans nos contrées. La solidité, assurée par l'application d'un appareil bien entendu, par l'emploi d'un mortier indestructible, et la surveillance d'un entrepreneur intelligent et consciencieux, ne saurait être mise en doute. Pour édifier et mener à bonne fin une église telle que celle de Mattaincourt, il fallait le rare concours d'un curé zélé comme M. Hadul, d'un architecte habile comme M. Boileau, et d'un entrepreneur dévoué comme M. Mangin.>>

Nous ajouterons aux appréciations éclairées du poëte-archéologue, quelques réflexions qui nous sont suggérées par la modicité du prix de la bâtisse de l'église de Mattaincourt. Aux motifs qui faisaient. rechercher, au moyen âge, l'étendue et le dégagement, l'élancement et la légèreté, la solidité et l'évidement, un motif s'ajoute aujourd'hui c'est celui de l'économie qu'il faut forcément apporter dans la dépense. Pour satisfaire à cette dernière condition, M. Boileau a dû s'attacher, si l'on peut parler ainsi, plutôt à l'esprit qu'à la lettre

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