INVENTAIRE DU ROI CHARLES V.

(21 JANVIER 1380.)

Mon intention n'est pas de morceler les documents sur l'histoire des arts en France dont j'ai formé une collection aussi neuve que curieuse. Je veux encore, quel que soit le poids d'une si grande entreprise, réserver le fruit de mes recherches pour la publication de mes ouvrages sur les arts au moyen âge (1), à l'époque de la renaissance (2) et dans les deux derniers siècles (3); mais le caractère sérieux du public auquel s'adresse la Revue Archéologique, m'engage à devancer la lenteur de ces publications, afin de faire connaître un des documents les plus précieux de nos dépôts littéraires.

L'inventaire des meubles et joyaux de Charles V, dressé au commencement de l'année 1380 (21 janvier 1379 ancien style), forme, avec l'inventaire de ses livres, le tableau vivant des nobles goûts qui, sous le nom assez banal de luxe royal, ont caché dès les premiers siècles de la monarchie la protection la plus éclairée des lettres et des arts. Charles V n'est pas, sans doute, parmi nos rois, le premier qui encouragea les poëtes et les artistes. La cour de France n'a pas cessé depuis Charlemagne de leur être hospitalière, mais ce roi sage et économe eut le rare privilége de trouver autour de lui et de laisser après sa mort des imitateurs et de dignes continuateurs de sa

(1) Histoire des ducs de Bourgogne. Deux volumes sont en vente, le troisième est sous presse: il contient le dépouillement des comptes des rois de France à partir des tablettes de cire, la première partie des comptes des ducs d'Orléans provenant de la Chambre des comptes de Blois et le tableau général de tous les documents mis à profit par l'auteur et qui se conservent dans les différents dépôts publics de Paris. (2) La renaissance des arts à la cour de France, études sur le XVIe siècle, tome I, Peinture. Un volume de 600 pages, c'est la suite de l'ouvrage précédent. Il commence avec le règne de Charles VIII et va jusqu'à la mort du roi Louis XIII. (3) Sous le titre d'une Histoire de l'Académie royale de peinture et de sculpture je prépare un troisième ouvrage dans lequel j'exposerai l'essor nouveau que prennent les arts dans la condition nouvelle des artistes. Ce sera le tableau des arts à la cour de France pendant les XVIIe et XVIIIe siècles.

passion vraiment royale pour les livres et les peintures, pour les joyaux et les étoffes brodées, pour les armes riches et les meubles ornés. Les ducs de Berry et de Bourgogne, ses frères, le duc d'Orléans, son fils, furent comme les essaims brillants, sortis de cette ruche splendide qui s'appelle la cour de France et qui pour l'Europe entière était la cour par excellence.

L'espace restreint qu'on m'accorde ici n'est pas la seule cause qui m'empêche de publier en entier cet inventaire, la véritable raison est que n'écrivant pas l'histoire de Charles V, il était inutile d'entrer plus avant dans le détail. Je n'ai omis rien d'essentiel, rien de curieux au point de vue des arts, des usages et des mœurs, j'ai voulu donner aux études générales un résumé, et un résumé complet de ce document. Dans ma collection des preuves de l'histoire des ducs de Bourgogne j'ai été plus réservé encore sous quelques rapports les mêmes faits s'étant présentés dans des documents d'une date plus ancienne, mais j'ai accueilli un plus grand nombre d'articles qui établissent la richesse mobilière de l'époque. Toutefois comme j'ai conservé ici les titres de chaque chapitre et un numéro courant pour les articles, il pourra suffire aux érudits éloignés de Paris de savoir que Charles V possédait, en 1380, tant d'oreillers, tant de courtines, tant de rubis et autres pierreries simplement énumérées dans le document, sans aucune particularité intéressante. Quant aux archéologues de Paris, occupés à étudier une spécialité ou à écrire l'histoire de la fabrication des émaux, des étoffes, de la porcelaine, etc., mes extraits pourront bien ne pas les satisfaire entièrement, mais il leur est facile de noter les numéros qui se rapportent au sujet de leurs études et de recourir à l'original conservé dans l'ancien fond (1) du Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale.

Il eût été aisé d'écrire un volume entier en commentant chaque fait, en expliquant chaque terme, mais, au point où est arrivé ce genre d'étude, c'eût été faire injure à l'érudition que de lui apporter cette assistance. Je me suis contenté d'apprécier l'importance de ce document et de faire ressortir l'intérêt de quelques articles. On trouvera mes observations à la suite de l'inventaire.

(1) Il existe une copie de ce même inventaire, exécutée au XVIIe siècle d'après un autre original à quelques égards plus complet (Mor., no 79); j'expliquerai plus Join l'usage simultané que j'ai fait de ces deux documents.

INVENTOIRE DES MEUBLES ET JOYAULX DU ROY CHARLES V

COMMANCÉ LE 21 JANVIER 1379.

C'est l'inventoire général du roy Charles le Quint, de tous les joyaulx qu'il avoit au jour qu'il fut commanchié, tant d'or comme d'argent, c'est assavoir: couronnes, chappeaux, vaisselle, joyaulx d'église et autres choses garnies de pierrerie et aussy joyaux et vaisselle d'or et d'argent, de plaine façon, estans ès chasteaux, hostelz et oratoires dudit seigneur, tant en ses chasteaulx de Meleun sur Seine, du bois de Vincennes, du Louvre, de Sainct-Germain en Laye, de ses hostieulx de Sainct Pol à Paris, de Beaulté sur Marne et autre part et aussy des joyaux à vaisselle qui sont continuellement portez avec luy et, avecques ce, de toutes les chappelles, chambres de brodeure et tapisserie dudit seigneur; lequel inventoire a esté commancé à faire, par ledit seigneur, le xxi jour de janvier, l'an mil trois cens soixante dix neuf et continué aux jours ensuivans. En la présence de noble homme, M. Philippe de Savoisy, chevalier, sire de Saillenay, chambellan, Giles Malet, Jean de Vaudetar, Gabriel Fatmant, varlet de chambre, et Mr Jehan Crêté, con'. dudit seigneur. Et voult et ordonna iceluy seigneur que les personnes, qui ont et auront la garde desdits joyaulx, ayent chascun endroit soy la charge de ce qui baillié leur en sera en garde, selon l'inventoire particulier de chascun des lieux dessus dits, lequel sera consigné de la main dudit seigneur. Et avec ce ordonna ledit seigneur que ledict inventoire fust et soit triple, dont l'un demourera par devers luy, en ses coffres et fermera à clef, laquelle il mectra par devers soy, le second sera mis en un coffre, fermant à deux clefs, en la chambre des comptes, lesquelles clefs seront gardées par telles personnes coment il plaira au Roy à ordonner et le tiers sera divisé par parties, selon les lieux où lesdits joyaux seront mis, afin que ceux qui en auront la garde ayent chacun un livre où sera contenu et déclairé tout ce dont ils auront la charge, si come plus à plain est contenu, ci dessoubz, en chacun chapitre.

Mémoire que depuis le trespassement du Roy Charles, dont Dieux ait l'ame, c'est à scavoir : le mois de septembre ccciiij jusques au mois de juillet iiijix, le Roy nostre sire qui est à présent, du consentement et ordonnance de nos seigneurs ses oncles, c'est à scavoir : D'Anjou, de Berry, de Bourgongne et de Bourbon, a, par plusieurs

et diverses fois, faict prendre et despécier plusieurs de ses joyaux, tant couronnes, chapeaulx, fermaulx et autres choses des parties de ce présent inventoire, pour faire autres fermaulx et joyaulx de la devise et ordonnance du Roy et de MSS. ses oncles et pour garnison de plusieurs habits, pour ledit seigneur, pour estre plus honnestement à plusieurs festes, nopces, et voyages où il a esté durant le temps dessusdit et desquielx joyaulx ledit seigneur avoit les clefs en ses coffres, sans ce que on en ayt fait aucune mention sur les parties singulières desdits joyaux contenus en ce présent inventoire. Et furent trouvez en ses dits coffres le ix jour de juillet iiij"ix, présens MS. de Noviant, Montagu, Jehan de Vaudetar, J. Creté, Arnoul Boucher l'argentier et Hannequin Du Vivier, plusieurs pièces de fretin d'or, tant de chappeaulx, couronnes, fleurons, comme fermaulx et autres joyaux, dont la piererie avoit esté ostée, lequel fretin fu pesié et baillé audit argentier pour la façon de plusieurs pourpoincts et habits qui ont esté ordonnez à faire, pour le joyeux advènement, à l'entrée de la Royne à Paris et y furent trouvez xij marcs j once d'or.

JOYAULX D'OR GARNIS DE PIERRERIE.

cercles d'or.

Premièrement couronnes et

1. La très grande, très belle et la meilleure couronne du Roy, laquelle il a fait faire. En laquelle il a iiij grans florons et iiij petits, garnis de pierrerie, et en chascun des grans florons, c'est à scavoir : au maistre floron endroit le chapel, a un très grand balay quarré et en chascun une très grosse perle, etc., etc. (1). Numéro courant 1. 2. Item, une autre grand couronne, appellée la couronne aux longues esmeraudes, laquelle le Roy a fait faire comme dessus, etc., etc. (2). N° 2.

3. Item, une autre grand couronne, appellée la couronne à pierrerie à jour. No 3.

4. Item, une autre grand couronne, de très grant façon, appellée la couronne de l'estoille (3). N° 5.

5. Item, la couronne que le Roy fit faire, où il y a des espines de la saincte couronne (4). N° 6.

(1) On lit en marge: « Ou petit retrait de la tour du bois de Vincennes derrière l'estuve dont le Roy porte la clef.» J'abrége la description de cette pièce de joaillier. (2) On a écrit en marge: « Elle est présentement devers la Reyne à laquelle le Roy la donna à la chevalerie du Roy de Cezille ou mois de may ccc iiijx ix.

(3) Cette couronne est par l'ordonnance du Roy, lessiée au chasteau de Melun. (4) Au chasteau de Melun.

ASHMOLEAN

OXFORD
MUSEUM

6. Item, un grand cercle, qui fu à la Reyne Jeanne de Bourbon, lequel fut acheté de la comtesse de Pannebroc. N° courant 11.

pour

7. Item, une couronne à v gros saphirs, v balais, rubis d'Alexandre, esmeraudes, perles d'Escosse en florons et perles d'Orient ou chappel pesant environ ij marcs. Delaquelle couronne ont esté ostez, pour mettre ès iij couronnes que le Roy à faict faire, pris ou chappel, iij saphirs. Item de ceste couronne a esté osté, le xxix jour de mars, ccciiij ij saphirs, mis en la croix que faict Claux de Fribourc donner à sa chappelle du boys. Item, le premier de mars ccciiijj, le Roy, MSS. présens MS. de Bourgongne, maistre Adam de Gaillonel l'argentier du Roy, G. Malet, B. Delandes, V. Vielzorge et J. Creté présent oudit chappel pour bailler à Hannequin du Vivier, orfebvre, pour mettre en œuvre, selon l'ordonnance de MS. de Bourgongne pour les dis seigneurs, v ballais du reffus des ouvrages qu'avoit faict faire le Roy Charles dernier trespassé, dont Dieux ayt l'ame, et sont les uns plus grands que les autres. No 25.

que

8. Item, xvi d'avril ccciiij, ostez vi balaiz pour mettre en la croix faict Claux de Fribourc. N° 53.

9. Item, une petite couronne, d'ancienne façon, semée de rubis d'Alexandre et d'émeraudes (1). N° 54.

Ceintures. No 56.

Ataches d'or garnies de piereries. N° 71.

10. Une attache qui fut à la Royne Jehanne de Bourbon, garnie de pierres faulces, c'est à scavoir doublaix rouges et voirres verds.

Boutonneures. N° 76. - Autres ceintures qui sont pour le corps du Roy, lesquelles sont continuellement portées avec luy. N° 88.Fermaulx et fleurs de lys d'or; excepté ceulx qui sont ès coffres du Roy et dont il porte la clef sur luy. N° 98.

Joyaulx d'or d'Eglise garnis de pierrerie. No 124.

11. La vieille croix d'or aux camahieux, en laquelle a un grand camahieu où est l'annonciation Nostre Dame ou milieu avec v autres camahieux, vi balais, ix esmeraudes et le revenant garny de menu piererie et de perles d'escosse et le pied d'icelle, qui est d'argent tout plain, quarré sur iiij petites pattes. No 143.

(1) Par devers le Roy au bois. Le Roy a pris toute ladite couronne pour le fait de ses pourpoins our l'entrée de la Reyne le xj jour de juillet ccciiij ix.