Page images
PDF
EPUB

de contemplation ou pierres remarquables, qui attirent des respects idolâtres et dont la défense est unie à celle des choses vaines, des bas-reliefs et des statues ne sauraient être que les peulvan. Fréquemment substitués aux statues dans la haute antiquité, en tenant uniquement lieu chez les peuples primitifs avant que le ciseau de l'artiste leur eût donné des formes humaines, nous en trouvons encore une tardive réminiscence dans la pierre d'Emesse supposée représenter le soleil, et dans celle de Paphos, symbole de Vénus ou plutôt d'Astarté, c'est-à-dire la lune. Le nom même de statue fut donné par le patriarche Jacob à la pierre sur laquelle reposait sa tête pendant sa célèbre vision de l'échelle mystérieuse, quand après son réveil il la dressa sur l'un de ses bouts, l'arrosa d'huile, et dit : Et lapis iste quem posui in statuam erit domus Domini (1). Par extension, Jacob donne ainsi à la pierre même dressée en statue le nom de maison du Seigneur, Baith-æl, d'où les Grecs tirèrent le nom de ẞxiTudos, betiles, qu'ils donnèrent aux pierres consacrées à Saturne, et sur lesquelles, au dire d'Apulée, ils versaient aussi des libations d'huile.

Voilà bien explicitement signalés dans la Bible, et remontant par conséquent aux temps les plus reculés de l'histoire, trois des genres de monuments attribués aux Celtes; nous allons passer à un quatrième genre dont l'identité sera d'autant moins contestable, qu'il a conservé et reçoit encore le nom même sous lequel les Hébreux le désignaient nous voulons parler des galgal.

Nous voyons dans le Pentateuque que ces amoncellements de pierres, qu'il nomme tantôt simplement gal, tantôt galgal en redoublant le mot, avaient différentes destinations, mais que leur objet était toujours de rappeler un événement mémorable. Ainsi élevées en monceaux sur certaines sépultures, ces pierres les rendaient infamantes, comme celles dont on couvrit la fosse d'Absalon : Et projecerunt eum in saltum, in faveam grandem, et statuerunt super eum gal lapidum magnum valde. Josué fait noter d'infamie de la même manière la place sur laquelle venait d'être lapidé le voleur Hacham: Et erexerunt super eum gal lapidum magnum. De même, quand le roi d'Hai eut été pendu, son cadavre fut jeté à la porte de la ville, et statuerunt super illud gal. Autre part, le monceau de pierres consacre le lieu où, après leur réconciliation, Laban et son gendre Ja

(1) Jacob donna cette même qualification de statue à la pierre qu'il dressa sur le tombeau de Rachel : Et statuit Jahacob statuam super sepulcrum ejus; hæc slatua sepulcri Rachel, usque ad diem hanc. Genèse, XXXI, 14.

cob font alliance entre eux: Et nunc veni el percutiamus fœdus ego et tu, et erit in testimonium inter te et me. Et tulit Jahacob lapidem et erexit eum in statuam (voilà encore un peulvan dressé par Jacob). Et dixit Jahacob fratribus suis: colligite lapides, et tulerunt lapides et fecerunt gal, et comederunt ibi super gal; et vocavit eum iegar-sadutha (cumulum testimonii), et Jahacob vocavit eum gal-hed: Dans l'Exode, le campement de Josué, après le passage du Jourdain, se fait sur une hauteur désignée sous le nom de galgal: Et castrametati sunt in galgal (1), in extremo orientis Jericho (Jos. IV, 19). Et castrametati sunt filii Israel in galgal, et fecerunt transitum in quarta decima mensis, ad vesperam, in campestribus Jericho (ibid. V, 10). Ainsi, ce galgal se trouve situé dans la campagne de Jéricho, à sa partie la plus orientale.

Un dernier monument en grosses pierres brutes, dont je parlerai dans cette notice, monument auquel les livres saints restent tout à fait étrangers, c'est celui de ces masses rocheuses en équilibre sur d'autres roches, qu'on appelle roches ou pierres branlantes, et roulers dans quelques contrées de la France. Ces pierres, d'un volume énorme, qu'on ne peut contempler sans admiration, debout sur une de leurs parties comme une pointe, dont l'équilibre est si parfait qu'il suffit, pour les mettre en mouvement, de les pousser avec la main, mais dont le balancement ne peut être porté au delà du contre-poids que se font entre elles les différentes parties de la masse rocheuse qui les compose, offrent un problème assez difficile à résoudre si on veut remonter à la pensée qui leur a donné naissance. Découvertes récemment aussi dans certains cantons de l'Amérique septentrionale, ces pierres, qui, par le fait même de leur érection, décèlent, avonsnous dit, les connaissances les plus positives en statique de la part de ceux qui ont si bien calculé la gravité et déterminé les contrepoids, pour les faire se contre-balancer réciproquement quelle que soit l'irrégularité de leurs surfaces planes sur un point, convexes sur un autre ou rentrantes sur un autre point; ces monuments, disonsnous, remontent incontestablement, comme les peulvan, les dolmen, les menhir, à l'époque préhistorique où l'Amérique était encore

(1) Suivant l'orthographe massorétique, ce mot se prononce guil-gal; mais l'hébreu ne met aucune différence dans la manière d'écrire ce bissyllabe: 55, gl-gl, ce qui donne la même valeur à l'une et à l'autre syllabe. On sait que la massore ne remonte pas au delà du VII° siècle de notre ère, et qu'elle n'a été inventée que pour fixer la prononciation arbitraire des mots, en déterminant les sons vocaux au moyen des points-voyelles.

en communication directe et journalière avec l'ancien monde, et par conséquent à des temps antérieurs à la submersion de cette fameuse Atlantide dont nous parle Platon, et dont les îles éparses dans l'intervalle océanien qui a séparé depuis les deux grands continents en les isolant l'un de l'autre, nous offrent encore quelques débris.

En reconnaissant que les différentes masses en pierres brutes, dont nous nous sommes occupé, se rattachent aux idées religieuses des premiers peuples, nous ne pouvons chercher hors de ce sentiment la pensée qui a présidé à la confection et au placement des roches branlantes. A nos yeux, ces monuments singuliers seraient un symbole du mouvement générateur et conservateur du monde. En établissant avec tant de soin cet équilibre merveilleux que n'a point détruit encore l'entassement des siècles, ces peuples auraient eu en vue de rendre un hommage religieux au créateur de l'univers et au mouvement conservateur des corps célestes qui le composent, lesquels ne gravitent au milieu de l'espace où les a lancés la main du Tout-Puissant et ne doivent l'équilibre dans lequel ils se maintiennent, qu'à l'incompréhensible rapidité du mouvement vecteur qui les emporte dans leur orbite sans jamais en pouvoir dévier. Cette doctrine du mouvement conservateur de l'univers fut celle de la plus haute antiquité, qui l'avait personnifiée mythologiquement dans la déesse Mot ou Maut.

Strabon parle d'un autre genre de monuments gigantesques dont les analogues ne se retrouvent plus; ils consistaient en grosses pierres superposées les unes aux autres, qui de son temps se voyaient encore en Egypte sur la route de Syène à Phila. Le géographe les signale comme des roches fort élevées, cylindriques, d'une rondeur presque parfaite, circonstance restrictive qui démontre qu'elles n'avaient pas été taillées avec l'instrument en métal, que c'étaient des pierres pures, d'une couleur noirâtre, peut-être du basalte. Chacune de ces pierres était posée sur un bloc plus considérable et en supportait une troisième ; cependant, en quelques endroits on les trouvait isolées et uniques. Au demeurant, aucune de ces pierres n'avait moins de six pieds grecs (1,847) de diamètre, et suivant le même écrivain, le plus grand nombre en avaient jusqu'à douze. Ce genre de monument, dont, à notre connaissance, l'archéologie ne signale plus l'existence nulle part, se rattache sans contredit au système général des monuments prétendus celtiques, et qui seraient plus rationnellement et plus justement classés sous la dénomination de monuments cyclopéens. HENRY.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

DONNÉ A LA Femme qui porte la sainte face et sur l'orIGINE

DE SON CULTE.

MONSIEUR,

Vous vous rappelez sans doute qu'il y a un mois environ, ayant eu la bonté de jeter les yeux sur mon dernier travail relatif à l'évangile de Nicodême (1) et ayant remarqué la note sur sainte Véronique que j'y ai donnée, vous m'engageâtes à creuser davantage ce sujet curieux et à éclaircir, par de nouvelles recherches, les obscurités qu'il présente encore. Un tel conseil, émanant surtout d'un homme aussi savant que vous, était, Monsieur, un encouragement trop flatteur pour que je ne fisse pas mes efforts pour y répondre. J'ai donc repris à nouveau ce point que je n'avais fait qu'effleurer dans la dissertation que je viens de rappeler, et c'est le résultat de ces récentes investigations que je soumets à aujourd'hui votre appréciation. C'est vous, Monsieur, qui m'avez suggéré la pensée de ce travail, il est naturel que vous soyez la première personne à laquelle je l'adresse. Et puis vers quel juge plus compétent pourrais-je me tourner que vers l'auteur des trois beaux mémoires sur les Antiquités chrétiennes des Catacombes et du Discours sur les types imitatifs de l'art chrétien, qui ont été, à mon début dans l'étude de cette matière, des guides si sûrs et si précieux. Quoique votre nom ne figure pas parmi ceux des collaborateurs de cette Revue, vous me permettrez cependant de l'invoquer ici, et de le placer en tête de ce faible essai auquel il donnera plus d'autorité et dont la pensée, je le répète, vous appartient. Adoptant en grande partie l'opinion de Mabillon et de Papebroch,

(1) Nouvelles recherches sur l'époque à laquelle a été composé l'ouvrage connu sous le titre d'Evangile de Nicodême. Paris, 1850. (Extrait du XX• vol. des Mémoires de la Société des Antiquaires de France.)

j'avais d'abord supposé que le nom de Bɛpovíxn, Bérénice, donné dans l'évangile de Nicodême à la femme que le Sauveur guérit d'un flux de sang, était une altération par métathèse de Vera icon. Ce nom était consacré aux images du Christ et on l'appliqua plus tard, par confusion, à la sainte femme qui, suivant une légende fort accréditée dans ces derniers siècles, reçut sur le voile dont elle essuyait la figure inondée de sueur de Jésus, l'empreinte auguste appelée Sainte Face. Telle était, en effet, l'idée qui s'offrait le plus naturellement comme explication de ce nom de Bepovíxn qui apparaît pour la première fois dans l'évangile de Nicodême, c'est-à-dire vraisemblablement au commencement du Ve siècle (1). Mais les explications les plus naturelles ne sont pas toujours les plus vraies, et une étude plus attentive du sujet m'a convaincu que l'erreur sur laquelle reposait la légende, n'était ni si simple, ni même si grossière.

Le nom de Bepovíx n'eut d'abord rien à démêler avec Vera icon, il est le résultat de l'altération d'un tout autre nom, IIpouvíx, ou IIpoúVixos qui fut donné à cette même hémorroïsse par les Valentiniens, une des plus importantes d'entre les sectes gnostiques. C'est ce que nous apprend Origène dans son traité contre Celse: « Les Valentiniens, dit-il, dans leur doctrine mensongère, parlent d'une certaine Prounice à laquelle ils donnent le nom de sagesse et dont ils veulent que cette femme de l'évangile qui eut une perte de sang durant douze années, ait été le symbole. Celse, qui en a entendu parler et qui confond les idées des Grecs, des barbares et des hérétiques, change cela en la vertu d'une certaine vierge Prounice (2). »

Entre ces deux noms de Bɛpovíxŋ et de IIpouvíxn appliqués tous deux à l'hémorroïsse, le premier au commencement du Ve siècle, le second au II' siècle, la ressemblance est trop grande pour que l'on ne doive pas conclure que le premier n'est qu'une altération du second. Remarquons d'ailleurs que les manuscrits de l'évangile de Nicodême varient sur la forme du premier nom. L'un des manuscrits de la bibliothèque de Munich (3), porte Bepvíxn, laquelle forme se retrouve aussi dans saint Jean Damascène (4). Tandis que dans une description

(1) Voy. mes Recherches, cit. ci-dessus.

(2) Προυνίκην δέ τινα σοφίαν βούλονται οἱ ἀπὸ Οὐαλεντίνου ὀνομάζουσι κατὰ τὴν πετ πλανημένην σοφίαν ἧς σύμβολον εἶναι βούλονται καὶ δώδεκα έτεσιν αἱμαῤῥοῦσαν, etc Origen.. Adv. Cels., lib. VI, § 299, ap. Oper., p. 658, ed. Delarue. (3) Cf. Thilo, Codex apocryphus novi lestamenti, p. 560, note. (4) Orat. III de imaginib., ap. Opera, éd. Lequien, 1. 1, p. 368.

« PreviousContinue »