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L'ÉGLISE SAINT-VITAL DE RAVENNE.

L'usage de décorer les édifices avec des mosaïques remonte à une très-haute antiquité, si l'on en croit les historiens. Les mosaïques d'abord usitées en Asie passèrent de là en Égypte; disons toutefois que l'on n'a point encore rencontré la trace d'une seule mosaïque dans les temples ni dans les palais égyptiens; le seul exemple que l'on puisse citer de l'usage fait en Égypte de ce genre de décoration est le débris d'un sarcophage de momie, conservé au Musée de Turin. M. Champollion-Figeac (1) pense que puisque les Égyptiens ont fait usage de peintures en mosaïques sur un sarcophage, il est plus que probable qu'ils avaient aussi employé à d'autres embellissements ce genre de décoration. Quoi qu'il en soit, les Grecs reçurent des Égyptiens l'usage d'orner les monuments avec des mosaïques, et les Romains qui l'empruntèrent aux Grecs, surpassèrent de beaucoup les travaux de leurs maîtres. Enfin, au commencement du moyen âge, vers l'époque des invasions barbares, les palais, les églises étaient resplendissants de l'éclat et de la variété des couleurs des mosaïques nombreuses qui les décoraient. Constantinople, qui était devenue une nouvelle Rome, par la translation du siége impérial, vit ses édifices enrichis de peintures et de mosaïques en perles et en pierres précieuses; malheureusement, le travail qui se sentait déjà depuis longtemps de la décadence de l'art était loin d'égaler la richesse de la matière.

Dans les Gaules, en Afrique, les Romains avaient introduit aussi de bonne heure les mosaïques; il suffit de citer celle de Lyon, décrite par Artaud, et représentant les jeux du Cirque, pour se faire une idée de la richesse du travail et du soin que les artistes avaient apporté à son exécution.

Au Ve siècle, à l'époque de la destruction de l'empire d'Occident, les mosaïques étaient multipliées dans tous les monuments, à tel point que l'on avait coutume de représenter les grands événements par une peinture en mosaïque. C'est ainsi que nous trouvons l'empereur Justinien. Ier et sa femme Théodora représentés sur la mosaï(1) Manuel Archéologique, t. I, p. 233.

que de Saint-Vital de Ravenne, assistant à la dédicace de l'église et offrant des présents, tant il est vrai que dans la première période du moyen âge, c'est-à-dire à l'époque de la transition de l'art païen à l'art chrétien, les mosaïques étaient le genre de peinture adopté généralement pour figurer les épisodes marquants de l'histoire et de la vie d'un empereur.

Les mosaïques de l'église Saint-Vital de Ravenne, dont nous avons reproduit une gravure très-fidèle d'après les dessins de Papety (voy. pl. 145 et 146), décorent encore aujourd'hui les murs de cette antique basilique. Leur conservation est parfaite, le coloris seul s'est un peu terni, à part quelques teintes dont l'éclat est encore très-vif. Ces mosaïques ont un double intérêt, d'abord parce qu'elles nous offrent une idée exacte du costume de la cour de Byzance sous le règne de Justinien, et ensuite parce qu'elles nous donnent à quelques années près la date de leur fabrication. Ce dernier point, comme on voit, peut servir de jalon à la critique quand on voudra étudier les diverses modifications qu'a subies l'art à ce moment de transition entre le style romain et l'art chrétien.

Quelques auteurs affirment que Justinien assista à la dédicace de l'église Saint-Vital; que le fait soit vrai ou non, là n'est pas la question, les mosaïques n'en représentent pas moins l'empereur et Théodora prenant part à la procession qui eut lieu à l'occasion de cette dédicace. Dans la première de ces mosaïques, Justinien est représenté, accompagné de sa cour et suivi d'une escorte de soldats; l'évêque de Ravenne, le pieux Maximien, sous qui l'église fut terminée et consacrée, précède l'empereur; au-dessus de la tête du prélat se lit son nom, MAXIMIANVS; Justinien a la tête dirigée vers l'orient, il porte un diadème orné de pierres précieuses et de perles fines, la dalmatique impériale est posée sur ses épaules; les robes de ses nobilissimes, moins amples que celles de l'empereur, sont de couleurs variées. L'évêque et les assistants sont vêtus de blanc. Les soldats sont armés de lances et tiennent un bouclier posé à terre sur lequel est inscrit le monogramme du Christ, qui, depuis Constantin, était le symbole de la foi nouvelle. L'autre mosaïque nous représente Théodora, précédée de prêtres et suivie de ses matrones; elle est reconnaissable à son diadème impérial et à sa robe de pourpre. Elle porte dans ses mains un vase d'or renfermant des offrandes. Les matrones sont vêtues de longues robes flottantes de diverses. couleurs tombant jusqu'à terre et sans ceinture.

Depuis Procope (1) il a été dit beaucoup sur ce sujet. Du Cange (2) en publiant les mosaïques de Saint-Vital qu'il attribuait le premier à Justinien et à Théodora, les avait reproduites d'une manière très-infidèle et le baron Marchant (3) qui lui aussi s'est préoccupé de cette question, a essayé de donner une nouvelle interprétation du second tableau. Selon ce savant numismatiste l'impératrice offrant des présents ne lui paraît être que Sophie, femme de l'empereur Justin II. Les preuves alléguées par le baron Marchant à l'appui de son opinion sont tirées de l'histoire : Justin II et Sophie firent des dons considérables, notamment en vases précieux, aux églises, qui avaient été rétablies par Justinien (4). Ce passage était très-approprié à la circonstance, aussi le baron Marchant en avait fait aussitôt une application; mais le monument nous fournit par lui-même, une autre preuve historique plus positive que celle dont le baron Marchant s'est servi. Les deux mosaïques de Ravenne faisaient partie d'un seul tableau, qu'on a coupé en deux pour les fixer sur les médailles de Saint-Vital, et par conséquent cette mosaïque, d'abord d'un seul morceau, si l'on peut toutefois s'exprimer ainsi en parlant d'une mosaïque, ne peut nous offrir la figure de Justinien et de Sophie, personnages vivant à des époques très-différentes. Ce n'est point Justin II, mari de Sophie, car l'évêque Maximien dont le nom est écrit sur la première partie de la mosaïque était contemporain de Justinien sous le règne duquel il est mort. Nous croyons donc avec Winckelmann et Ciampini (5), qui ont traité la question au point de vue de la critique, et dans ces derniers temps avec A. Du Sommerard (6) à qui l'on doit un remarquable ouvrage sur les arts au moyen âge, que les deux parties de la mosaïque de Ravenne ont été exécutées sous Justinien, pendant ou quelques années après l'épiscopat de Maximien, et que le personnage impérial qui figure sur le deuxième tableau est Théodora, dont les pieuses largesses contrastaient d'une manière frappante avec les fastueuses dépenses de la comédienne de Constantinople, devenue par le choix de Justinien, impératrice des Romains.

(1) De sacris Edificiis. Bonn. 1838, in-8°, vol. III, part. II, p. 204. (2) Familles byzantines.

(3) Lettre XVIII à Dacier (Paris, Leleux, 1850, in-8°, nouv. édition).

(4) Tillemont, Fleury et les autres hist. de l'Église.

(5) De Edificiis, t. I, p. 234-237, pl. LV-LVII.

(6) Album, 10a série.

VII.

23

A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

Paris, 25 juin 1850.

MONSIEUR LE Directeur,

Le dernier numéro de votre intéressant recueil contient un article de mon savant confrère M. Douët d'Arcq, sur la bibliothèque de Jean, duc de Berry, qui abonde en renseignements instructifs et curieux, relatifs à l'archéologie des livres au moyen âge. Permettezmoi de joindre ici sur un point spécial quelques observations et développements aux remarques judicieuses qui appartiennent à l'auteur de cet article.

Il est souvent question dans cet inventaire bibliographique d'un ornement ou appendice de la reliure qui figure sous le nom de pipe, et dont M. d'Arcq a parfaitement exposé la définition et l'usage. L'auteur allègue, pour rendre plus sensible sa démonstration, l'analogie d'une statue de Clovis (1), monument bien éloigné pour la date (quelque moderne qu'elle soit), et pour les lieux, du sujet principal. Je prendrai la liberté d'en indiquer un autre beaucoup plus direct. On voit encore aujourd'hui, je suppose, et j'ai visité l'année dernière, dans l'une des chapelles de la cathédrale de Bourges, une statue peinte de Jean, duc de Berry lui-même, autrefois placée dans la Sainte-Chapelle, qu'il avait construite et qui décorait, avec la statue de la duchesse, sa femine, l'autel de N. D. la Blanche. Le duc est agenouillé devant un prie-Dieu; sur ce dernier meuble est placé un livre d'heures ouvert, à demi enveloppé d'une riche chemise et garni de sa pipe, d'où pendent les seignaux (2).

Ce même appendice appelé ici du non de pipe reparaît plusieurs fois dans l'inventaire des livres rédigé en 1423, après le décès de Marguerite de Bavière, veuve de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, publié en 1830 par M. Peignot, de Dijon; mais là, il porte le nom de « tuyaco à tourner les feuillets. » Je me bornerai à rapporter le texte de l'un des articles où il en est question: « Item les belles << heures de madicte dame, à deux fermaux d'or armoyez aux armes « de monseigneur de Berry, à tixu de soye, semé de feuilles de

(1) P. 160, note 1.

(2) Voy. Haze, Antiquités du Berry, 1834, in-4. Planche 59.

« treffle;..... item ès dictes heures à ung tuyau d'or à tourner les « feuillez, garni de deux perles et ung petit rubis ou milieu, les << quelles heures sont couvertes d'une chemise de satin noir. (1) »

M. d'Arcq mentionne aussi à la fin de ce premier article (p. 167) un livre contrefait et rapproche, fort à propos, de cet exemple, deux autres objets analogues empruntés à l'inventaire de Marguerite d'Autriche, également publié par cette revue. La lecture des comptes domestiques de princes au XVe siècle, et M. d'Arcq connaît ces documents mieux que personne, permettrait de multiplier beaucoup ces citations de curiosités qui étaient fort en vogue auprès des grands et qui attestent un goût moins délicat que naïf ou bizarre. Pour rester sur le chapitre des faux livres ou des livres de bois, c'étaient encore ces mêmes simulacres qui au XVII° siècle excitaient la verve railleuse de Sauval (2) et de La Bruyère (3): je pourrais citer aujourd'hui même, de certains meubles peu rares, qui sous le masque trompeur d'étiquettes bibliographiques et sous l'apparence d'in-folios superbes, sont destinés à un tout autre usage, que je ne désignerai pas plus clairement au lecteur, de peur d'offenser son goût d'une manière plus sensible que n'aurait pu le faire l'odeur de ces tanneries dont parle La Bruyère. Mais je veux revenir pour terminer à un exemple plus gracieux et plus instructif. Parmi les riches manuscrits légués au roi vers le commencement du XVIII siècle par un célèbre amateur de cette époque, Roger de Gaignières, il s'en trouvait un qui se conserve aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale sous le n° 1190 de l'ancien fonds latin et sous le titre vague de Liber precum. Ce manuscrit contient en effet huit ou dix feuillets de l'évangile selon saint Jean et notamment la Passion. Mais le texte de ce volume n'en est certainement que l'accessoire, et sa partie matérielle offre un aliment beaucoup plus précieux à la curiosité. Elle consiste en deux ais de bois dont chacun est plus épais que les quelques feuillets qu'ils renferment. A l'extérieur, ces ais sont couverts d'une sorte de tissu ou de tapisserie de soie faite à la main, et représentant un calvaire et autres sujets religieux accompagnés d'inscriptions que je crois brodés à l'aiguille; sur le plat de gauche, un personnage placé vers la droite, est vêtu d'un blason qui peut-être mettrait sur la trace de l'origine de ce volume, au sujet de laquelle les catalogues anciens et

(1) Catalogue d'une partie des livres composant l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, etc., in-8°, p. 36 et 37.

(2) Antiq. de Paris, 1724, t. I, l. I, p. 19. (3) Caractères, au chapitre de la Mode.

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