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LETTRE A M. CH. LENORMANT,

MEMBRE DE L'INSTITUT,

SUR LES MONNAIES DES ROIS ARMÉNIENS DE LA DYNASTIE DE ROUPÈNE.

MONSIEUR,

Le premier auteur qui ait signalé à l'attention du monde savant les monnaies roupéniennes est le marquis de Savorgnan, qui publia plusieurs monnaies de Léon II (1). Le livre de ce savant italien ne se rencontre point en France, où on le chercherait vainement. La seconde mention d'une médaille arménienne se trouve dans Tristan (2), qui publia la monnaie bilingue d'Héthum I et du sultan Kaikosrou, monnaie reproduite ensuite par Du Cange (3) et par Adler (4). Une foule d'autres mentions se rencontrent dans G. Čuper (5), La Croze (6), Th. Pembrock et le comte de Montgommery (7), les auteurs du catalogue du Musée impérial de SaintPétersbourg (8) et Pellerin (9), qui ont donné chacun dans leurs différents ouvrages l'explication rarement exacte de différentes monnaies roupéniennes.

Toutefois, aucune monographie n'avait été tentée jusqu'alors sur ce sujet, et pour la première fois l'abbé Sestini entreprit un essai de classification qu'il intercalla dans ses dissertations sur les

(1) Sestini le cite t. II, lettre IX de ses Dissert. num. sur les méd. du mus. Ainslie.

(2) Comment. historiq., t. III, p. 588 (Paris, 1664).

(3) Hist. de St. Louis, par le sire de Joinville, Diss. XVI, p. 238 (Paris, 1668, fo).

(4) Mus. cuf. Borgia, p. 61-62, pl. XII, C. (Rome, 1782).

(5) In Lactantium de Mortib. persecutorum, notæ, p. 135 (Traj. ad Rhenum, 1693).

(6) Histoire du Christianisme d'Ethiopie et d'Arménie, p. 340 ( La Haye, 1793).

(7) Num. ant. in tres partes divisa, t. IV, p. 40 (Londres, 1746).

(8) Mus. imp. Petrop., t. II, 3o partie, p. 452 (Saint-Pétersbourg, 1745). (9) Lettres de l'auteur du Recueil des médailles des peuples, etc., p. 112, 147, pl. I, no 6, 7 et 8 (Francfort, 1770).

médailles du Musée Ainslie (1). La monographie du savant numismatiste, malgré toute l'érudition qui s'y remarque, est loin d'avoir tout le mérite qu'on lui suppose; une foule d'inexactitudes, sans compter les fausses attributions que je signalerai tout à l'heure, jettent un peu de défaveur sur cette dissertation. Ce n'est pas que je veuille rien ôter du mérite et du savoir de Sestini, loin de là seulement j'ai acquis la certitude, par l'examen attentif de monnaies semblables à celles qui avaient servi au savant abbé pour son travail, que la majeure partie d'entre elles avaient été détournées de leur sens. Je citerai seulement quelques exemples: Sestini (2) donne au roi Simbat une médaille dont aucun des éléments épigraphiques ne peut constituer le nom de ce roi ; il attribue ensuite à Constantin une pièce sur laquelle on lit le nom d'Ochin; enfin, il donne au second règne d'Héthum une pièce d'Étienne III Urosch II, roi de Servie, publiée par M. de Reichel, dans une notice sur les monnaies de Servie (3). Mais il est juste, maintenant que j'ai fait voir les erreurs de Sestini, de faire ressortir le mérite de son travail. Sestini a attribué à Thoros une médaille sur laquelle se lit le nom de ce roi ; les numismatistes modernes en ont attaqué l'authenticité : l'un d'eux, M. Brosset (4), suppose que la pièce est de l'invention de Sestini, attendu qu'elle ne présente aucune des lettres du nom de Thoros; l'autre, M. A. Krafft (5), a tourné la difficulté en passant cette monnaie sous silence. Pour ce qui est de M. Brosset, je trouve que ce savant a été trop loin en suspectant la bonne foi de Sestini, d'autant plus que sur une pièce presque semblable du cabinet de M. de Cadalvène, publiée par M. de Saulcy (6), on lit parfaitement les trois premières lettres du nom de Thoros. M. de Saulcy, à qui j'ai soumis cette opinion, l'a adoptée sans réserve.

Après l'Essai de Sestini, il s'écoula quarante ans avant qu'aucun travail ne fût tenté sur les monnaies roupéniennes. M. Brosset, l'un des continuateurs de l'histoire du Bas-Empire de Lebeau, donna, dans les notes qu'il fit sur cet ouvrage, la description

(1) Oav. cité, lett. IX, Sopra le medagl. dei principi Rupinenst, t. II, p. 22; t. IV, p. 84.

(2) P. 43.

(3) Mém. de la Société d'archéologie et de numism. de Saint-Pétersbourg, 1848, t. II, p. 242, pl. XIII, no 9.

(4) Bulletin de l'Acad. des Sciences de St. Pétersb., t. VI, nos 3 et 4.

(5) Armenische Münzen, etc. (Vienne, 1843, 2 pl.)

(6) Num. des Croisades, pl. XIX, no 76. (Paris, 1847).

des monnaies arméniennes connues de son temps (1). Cet essai fournit à celui-ci les éléments d'une Monographie des monnaies roupéniennes (2), que ce savant imprima à Saint-Pétersbourg en 1840. Dans ce travail de quelques pages seulement, l'auteur repousse toute distinction à établir dans le classement des pièces des rois homonymes; il attribue à un roi incertain du nom de Léon toutes les médailles portant ce nom, et à un Héthum incertain les pièces si nombreuses et si différentes de types où se lit le nom Héthum. Les raisons alléguées par M. Brosset sont celles-ci : « Qu'il est impos«<sible de distinguer par les médailles l'un ou l'autre des princes du << nom de Léon ou d'Héthum, attendu qu'aucune ne porte de dates; <«< que les noms des rois homonymes n'ont rien qui les distinguent; « et qu'enfin les médailles se ressemblent toutes pour le type. »> Comme on voit, le système proposé par M. Brosset est loin de satisfaire pleinement les exigences de la science, et je crois qu'à l'aide de l'histoire et par l'examen des types des monnaies on peut arriver à lever presque toutes les difficultés réputées insurmontables par M. Brosset. Malgré ce défaut capital que je prends la liberté de signaler dans le travail du savant académicien, je dois dire que la Monographie de M. Brosset contient de très-remarquables attributions, et je m'empresse de signaler l'une des principales. Les monnaies roupéniennes, comme on aurait pu le penser, ne sont pas les seules où se rencontrent des caractères arméniens; car M. Brosset en signale un exemple tiré d'une médaille inédite du musée asiatique de Saint-Pétersbourg (3). Cette curieuse pièce porte au droit le buste de J.-C. nimbé tenant le livre des Évangiles, avec cette inscription monogrammatique : BU¬RY (GS—CHS), où l'on a reconnu déjà le nom de Jésus-Christ. Au revers, une inscription quadrilinéaire occupe le champ de la pièce :

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Disons en passant que cette légende a une grande ressemblance avec

(1) T. XVI, p. 26; XVII, p. 43, 324; XX, p. 510.

(2) Bulletin de l'Acad. des Sc. de St. Pétersbourg, t. VI, nos 3 et 4. (3) Ouv. cité, p. 52, pl. I, no 1.

l'inscription invocative des monnaies frappées à Antioche au temps des croisades par les princes chrétiens : Κυριε βοήθει των δονλῳ σου... M. Brosset fait remarquer qu'aucun prince de la dynastie de Roupène n'a porté le nom de Goric; mais il nous apprend que ce nom se trouve dans une branche collatérale de la dynastie Bagradite : << Simbat II, dit l'auteur de l'attribution, septième prince qui avait « le titre de roi de la descendance d'Archod, ayant affermi son au<«<torité, abandonna en 1082 à son fils Goric ou Gourgen une par« tie considérable de ce pays qui forme maintenant le Somkhetk. Ce << prince s'y établit et prit le titre de roi d'Albanie. Quoiqu'il y ait << d'autres princes du nom de Goric, celui dont il s'agit ici est le seul <«< auquel puisse être attribuée la monnaie du musée asiatique, car << Simbat ayant donné à son frère une partie de ses États avec le titre << de gouverneur, et ce titre se retrouve dans les lettres GORA...A << dans lesquelles on reconnaît le titre de Curopalate. De plus, les << autres successeurs de Goric qui portaient le même nom que lui, << avaient tous le titre de roi. »

Mais si quelques monnaies portant des caractères arméniens ont été trouvées parmi les suites numismatiques ciliciennes, je dois dire que certains auteurs se sont trompés en revendiquant pour l'Arménie des pièces qui lui sont tout à fait étrangères. Ainsi, le père Indjidji, dans ses Antiquités de l'Arménie (1), assure avoir vu dans la collection de lord Ainsley, à Constantinople, des monnaies portant d'un côté un autel placé entre deux personnages et de l'autre une tête de roi coiffé à la manière orientale avec des légendes arméniennes. Ces pièces sont tout simplement des médailles sassanides mal lues par le P. Indjidji, et en tout semblables à celles dont M. de Longpérier a fait la monographie (2); ou bien des dirhems arabes, imités du type sassanide, car on sait, d'après le témoignage de Makrizi et de ses commentateurs (3), «qu'Omar fit frapper des << dirhems avec l'empreinte de Cosroès et du même module (4); » ou bien encore des monnaies imitées de ce même type sassanide dont je viens de parler et portant des inscriptions géorgiennes (5).

(1) T. II, p. 75, note (1835, 3 vol. in-8°).

(2) Essai sur les médailles des rois perses de la dynastie Sassanide (Paris, 1840, in-4°).

(3) Histoire de la monnaie arabe. Tyschen, Comm. I de nummis vet. pers., p. 24; et Comın. III, p. 25. S. de Sacy, trad. de Makrizi.

(4) Lettres du baron Marchant sur la Numismatique (Lettre I, p. 9, annot. par M. de Longpérier (Paris, Leleux, édit., 1850, in-8o).

(5) Fraëhn, Novæ symbol. ad rem num. Mohammed. (Pétersb., 1819, in-4°), p. 46, pl. II, no 15.

La Monographie de M. Brosset fut bientôt suivie d'un travail très-remarquable dû à la plume d'un savant allemand, M. Albreck Krafft (1). L'auteur a établi parmi les médailles des rois homonymes des distinctions qui n'existent pas, comme je l'ai dit plus haut, dans le travail de M. Brosset; de plus, M. Krafft a publié quelques monnaies nouvelles tirées des collections du musée de Vienne, de M. Timoni et du cabinet des médailles des RR. PP. Méchitaristes de Venise, monnaies qui n'ont pas peu contribué à fixer définitivement aux rois homonymes les pièces restées douteuses dans la Monographie de M. Brosset.

Un travail spécial, touchant les monnaies d'Héthum, adressé récemment par le consul anglais de Smyrne, M. Borell, au supérieur du couvent arménien de Venise (2), a pour but de faire connaître des pièces d'Héthum et d'Isabelle que Sestini avait attribuées par erreur à Héthum II et à Léon III (3). Si MM. Brosset et Krafft n'eussent devancé M. Borell de plusieurs années, et à son insu, dans cette appréciation, la notice de ce dernier eût été irréprochable.

Je dois parler maintenant de deux pièces roupéniennes que M. de Sauley, dans sa Numismatique des Croisades (4), a attribuées aux rois de Chypre. La seconde de ces pièces, dont j'ai déjà parlé, est du règne de Thoros; la première en billon et du module des deniers doit être reportée au règne de Léon VI de la famille des Lusignan.

Je passe sous silence les monnaies déjà citées par Sestini, que Tchamistch (5) et Capellati (6) ont rappelées dans leurs ouvrages. Enfin, et pour finir cette nomenclature des auteurs où se trouve une mention des monnaies arméniennes, je vais parler de deux pièces dont les auteurs de l'Art de vérifier les dates ont donné la description (7). Ces deux médailles, que les Bénédictins disent avoir fait partie du cabinet du roi, n'y étaient plus au temps de Pellerin, qui s'en est occupé dans ses lettres (8); la première portait, sur l'un de ses côtés, une sainte à mi-corps avec l'auréole et cette inscription : Draco rex armen. L'autre côté de la pièce était parti de manière qu'au premier était un dauphin en pal et au second une femme à

(1) Arm. Münzen der Rupinische dynast., 2 pl. (Vienne, 1848, 8°.) (2) Revue Numismatique de MM. Cartier et La Saussaye, 1845, p. 451 et 1 pk. (3) T. IV de l'ouv. cité; cf. la lettre au père Indjidji.

(4) PI. XIX, nos 5 et 7.

(5) T. II, liv. V, p. 365.

(6) L'Armenia, t. I, art. iv, p. 178-181.

(7) Cf. rois d'Arménie, Draco.

(8) P. 146-147.

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