Page images
PDF
EPUB

MÉMOIRE HISTORIQUE

SUR

L'HOTEL DU CHEVALIER DU GUET, A PARIS,

AUJOURD'HUI MAIRIE DU IVe ARRONDISSEMENT.

Quand le guet dormira sous sa tourelle sombre,
Après le couvre-feu; fidèle au rendez-vous,
J'irai chez toi, suivi d'amis dignes de nous (1).
(Caboche, ou Paris sous Charles VI, poëme
tragique par L. Martinay.)

Les âges minent, les hommes renversent, disait avec une énergique vérité M. de Chateaubriant (2), et voici aujourd'hui qu'une vieille maison historique du Paris moyen âge est menacée, à son tour, de subir incessamment le même arrêt. Ce n'est pas, tant s'en faut, une perte pour les arts: mais, ainsi, l'un après l'autre, disparaissent rapidement dans cette grande cité les vieux souvenirs de l'existence urbaine et intime de nos pères, pour être aussitôt remplacés par d'autres qui, au triple point de vue de la grandeur, de la foi et de l'humanité, pourront ne pas toujours gagner à la compa

raison.

Dans les dernières années de l'Empire, vers 1811, la mairie du quatrième arrondissement, établie alors dans la maison rue Coquillière, no 29, connue aujourd'hui par l'enseigne du Masque de Fer, fat transférée dans l'ancien hôtel féodal du Chevalier du Guet, place de ce nom, no 4, sur l'extrême limite orientale de cette circouscription municipale. Depuis cette prise de possession par l'autorité lo

(1) Il y a dans ces vers, que nous avons pris pour épigraphe, plus qu'une licence poétique, car on verra plus loin que le guet sortait, au contraire, au signal du son du couvre-fen. On le sonnait à Notre-Dame, dès le XIVe siècle, à sept heures du soir, d'où on l'entendait par tout Paris. En 1425, on le sonnait à Saint-Séverin. On en établit un, en 1557, à Saint-Germain le Vieux, sous la condition qu'il sonnerait à huit heures. Sous Louis XIV, la Sorbonne le sonnait à neuf heures. (Livre rouge du Châtelet, f' 39. — Sauval, Antiquités de Paris, t. II, liv. XI, p. 633. (2) Génie du Christianisme, liv. V, ch. 11.

cale, il est certain que de grands changements s'étant opérés dans la législation, le vieil hôtel est devenu à peu près insuffisant pour les besoins actuels du service public. Puis l'entourage de ces rues étroites et fangeuses (1), son état de ruines dans plusieurs de ses parties, les mauvaises conditions dans lesquelles il est placé sous le rapport stratégique, sont d'une telle évidence, que personne n'oserait les contredire, disaient naguère les membres de la commission locale d'enquête sur le projet de déplacement de cette mairie, à ceux de la commission municipale, dans un mémoire que nous avons sous les yeux.

Il est probable que ces réclamations de l'autorité compétente, appuyées sur des motifs aussi puissants, seront exaucées, et que, dans un délai très-prochain, la mairie, l'état-major de la légion, et la justice de paix du quatrième arrondissement, seront transférés dans un lieu plus convenable: peut-être, et au moins provisoirement, dans l'hôtel d'Angivillers, rue de l'Oratoire, no 4, ancien bâtiment annexe de la maison des Pères de l'Oratoire, qui l'ont bâti, vers 1745; jusqu'à ce que la ville de Paris ait fait construire un nouvel hôtel, sur un terrain plus central, ou, faute de mieux, sur les fondements de celui des anciens commandants du guet de Paris, qui lui appartient aujourd'hui.

Toutefois, avant que ce vieux manoir, qui a perdu, à peu de chose près, toute sa physionomie féodale et militaire, disparaisse du sol qu'il occupe depuis plus de quatre siècles, il importe d'en tracer succinctement l'histoire, et de signaler à la science archéologique le peu de détails d'architecture historique qu'on y voit encore, et qui sont échappés aux ravages des siècles ou aux remaniements successifs de ses divers possesseurs, depuis l'abolition de la charge des chevaliers du guet, en 1733, sous le règne de Louis XV.

« Le Guet, autrement la Patrouille, est si ancien, dit Sauval (2), que je n'en puis dire l'origine. » De temps immémorial, la sûreté de la ville de Paris était garantie par les gardes et les patrouilles de nuit, qu'on appelait le Guet. Ce nom servit plus tard à désigner les compagnies régulières, organisées militairement pour le service intérieur de la capitale. Au XIIe siècle, le guet des métiers était une institution purement civile, semblable à notre garde nationale: nou

(1) Voir Mémoire sur la topographie médicale du IV arrondissement de Paris, recherches historiques et statistiques sur les conditions hygiéniques des quartiers qui composent cet arrondissement, par le docteur Henri Bayard.

(2) T. II, p. 616.

velle et invincible preuve, quoi qu'en disent nos réformateurs modernes, qu'ils ont peu inventé en fait d'institutions morales ou protectrices. Chaque artisan devait faire le guet à son tour; mais alors, comme aujourd'hui, il y avait des exemptions (1).

Une ordonnance de Clotaire II, de l'an 595, établit le guet de nuit par les habitants de chaque quartier, sous des peines capables de les rendre attentifs à ce devoir urbain (2).

Une autre ordonnance de Charlemagne, de l'an 813, porte que, si quelqu'un de ceux qui sont chargés de faire le guet manque à son devoir, il sera puni par le comte ou premier magistrat, d'une amende de quatre sols (3). Dans la suite des temps, plusieurs autres dispositions législatives de nos rois ont réglementé ou modifié les milices chargées de la surveillance ou du maintien de l'ordre public et de la sûreté des personnes dans Paris. Nous pourrions, en preuve de leur constante sollicitude, relater ici les principales dispositions de l'ordonnance de saint Louis, de l'an 1254, de celle du roi Jean, du 6 mars 1363, scellée du sceau du Châtelet, en l'absence du grand sceau royal; de l'édit de François Ier, du mois de janvier 1539 (4), et les règlements pour la compagnie du guet, des 24 janvier 1684 et 2 janvier 1688; mais ce serait dépasser les limites d'une simple analyse que nous nous sommes imposées.

Néanmoins, comme étude des usages et coutumes de nos aïeux et parce que certaines circonstances se rattachent essentiellement au sujet spécial de ce Mémoire, nous allons esquisser rapidement la curieuse ordonnance du roi Jean, conservée dans nos archives nationales (5), qui motiva assurément dans le quartier Sainte-Opportune la construction, ou du moins l'acquisition, dans la seconde moitié du XIVe siècle, de l'hôtel du commandant du guet, aujourd'hui bien dénaturé, mais encore presque entièrement existant, comme mairie de ce quartier.

On lit dans cette ordonnance que, dès longtemps, les rois prédécesseurs de Jean avaient statué : que les artisans de certains états, à tour de rôle, feraient le guet toutes les nuits pour la garde de la

(1) Voir, sur ces exemptions, H. Géraud, Paris sous Philippe le Bel, p. 480. (2) Cap. Reg. Franc., t. I, p. 20. - Traité de la Police, par Delamarre,

t. I, p. 236.

(3) Cap., t. II, p. 514.

[ocr errors]

Trailé de la Police, t. II, p. 236.

(4) Registre de la ville de Paris, fo 43. Preuves, partie 1re, p. 620.

(5) Livre rouge du Châtelet, fo 9. vol. I, f° 268.

-

Félibien, Histoire de Paris;

Registre des Bannières du Châtelet, Traité de la Police, t. I, p. 237.

ville, des reliques de la Sainte-Chapelle du palais, des corps et personnes des rois, des prisonniers détenus au Châtelet, des bourgeois, biens et marchandises de la ville; et aussi, dans le but de porter secours aux accidents du feu, si fréquents alors, à cause de la fragilité des constructions, communément en bois; de prévenir les meurtres, les enlèvements de filles ou de femmes, et autres entreprises criminelles contre la sécurité des personnes et la tranquillité publique.

Chaque métier devait faire le guet une fois en trois semaines. Si un artisan manquait à ce devoir, les clercs du guet mettait à ses dépens un homme à sa place. Il résulte en outre, de cette ordonnance, qu'outre ce guet, purement civil, les rois en avaient établi un autre : compagnie toute militaire, commandée par le Chevalier du guet, et entretenue des deniers royaux. Elle se composait de vingt sergents à cheval et de quarante sergents à pied. Ces soixante sergents étaient conduits, toutes les nuits, par leur chef, dans les rues de Paris, avec mission de visiter les divers postes du guet bourgeois, ou des métiers. L'ordonnance de 1363 maintint cet ordre de choses.

Le chevalier du guet avait dix sous parisis de gages par jour, et vingt livres pour manteaux. Chacun des sergents à cheval avait deux sous par jour, et les sergents à pied chacun douze deniers parisis (1). Il y avait en outre deux clercs ou greffiers du guet, appointés comme les sergents à pied, dont les fonctions étaient de dresser les rôles de la compagnie, d'avertir les gens de métiers, dont le tour était venu de faire le guet, de se trouver avant l'heure où sonnait le couvre-feu, sur l'un des côtés désignés de l'esplanade du Châtelet, où se rendaient aussi le commandant et ses sergents, pour être enregistrés sur le rôle quotidien.

Les artisans étaient excusés du guet, si leurs femmes étaient en couche, s'ils avaient été saignés dans le jour, si leur commerce ou leurs affaires les avaient obligés de sortir hors de la ville, ou enfin s'ils étaient sexagénaires. Tout sergent du guet défaillant était privé de ses gages de la nuit.

Après que les clercs du guet avaient enregistré les hommes présents, ils les distribuaient ainsi : six au delà du guichet extérieur du Châtelet, pour empêcher les prisonniers de s'évader par les

(1) Sous le règne du roi Jean (1350 à 1364), le marc d'argent valait 29 livres 8 sous; et la livre numéraire représentait 1 franc 87 centimes 3 mill. de la valeur actuelle. (Voir Du Cange, aux mots Monela et Parisienses. - Leblanc, Trailé historique des Monnoies ; Almanach des Monnoies, etc., 1785.)

« PreviousContinue »