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Guénault, où son lit était conservé, et à la Commanderie de Saint-
Jean-en-l'Isle, l'infortuné Jacques II d'Angleterre, après la perte

de sa couronne.

Louis XV, accompagné du Dauphin, son fils, vint à Corbeil le 7 février 1747; tous deux y couchèrent et furent le lendemain recevoir la nouvelle Dauphine, au château de Moissy-Cramayel. Ce monarque y coucha une seconde fois, le 20 décembre 1765, jour où ce même Dauphin, qui était un modèle d'austérités et de vertus chrétiennes, mourut à Fontainebleau. Madame la Dauphine, qui accompagnait le roi, fut logée au château de Tremblay et Sa Majesté dans son domaine, appelé le Magasin du roi, parce qu'il y avait une réserve de grains pour les besoins de la capitale.

Louis XVI n'a fait que traverser Corbeil, le 15 août 1777, et Marie-Antoinette deux fois; la première, en descendant la Seine pour se rendre à Paris, au mois d'octobre 1788; la seconde, l'année suivante, en la remontant pour gagner Fontaineblaau. Avec quel doux frémissement les eaux que sillonnait la nef qui portait la princesse semblaient répondre aux acclamations flatteuses de la foule qui se pressait sur les rives du fleuve ! Les heureux habitants de Corbeil étaient loin de pressentir les malheurs qui devaient bientôt frapper cette auguste et infortunée victime!...

T. PINARD,

Membre correspondant de la Société archéologique de Tours.

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L'EXPOSITION FAITE A L'INSTITUT PAR M. VINCENT DE SES TRAVAUX
SUR LA MUSIQUE ANCIENNE.

Notre collaborateur, M. Vincent, à la sollicitation de ses nombreux amis et de diverses personnes désireuses de connaître les découvertes curieuses dont la science lui est redevable sur la musique grecque, a fait dernièrement, dans une des salles de l'Institut, une exposition des résultats auxquels ses travaux l'ont conduit.

Un autre de nos collaborateurs, M. Nisard, a prêté à M. Vincent le concours de son heureux talent d'exécution, et rendu sensible à l'oreille sur des instruments disposés tout exprès, les effets musicaux dont ce dernier a savamment établi la théorie.

Nous pensons être agréable et utile aux lecteurs de ce recueil, en rappelant d'une manière sommaire les principaux points que M. Vincent a traités.

M. Vincent a traité brièvement les trois questions suivantes : les tons, les genres, l'harmonie; et il s'est efforcé de faire comprendre en quoi, sur ces trois points, la musique grecque différait de la nôtre.

Le mot ton a reçu plusieurs significations différentes; mais par tons, M. Vincent entend ce que les philosophes et les musicographes grecs nomment harmonies, et que nous appelons, nous, modes. Le mot ton, dans ce sens, est encore resté employé dans le plain-chant : il y a huit tons dans les chants d'église; tandis que nous n'avons que deux modes, le majeur et le mineur. Ces tons et ces modes dérivent des anciennes harmonies des Grecs; le mode majeur a été assimilé par M. Vincent à l'harmonie phrygienne, et le mode mineur à l'harmonie dorienne. Harmonie signifie ici la manière d'accorder l'instrument, ou si l'on veut, la manière d'établir les rapports des intonations des divers degrés de l'échelle musicale. Outre l'harmonie phrygienne et l'harmonie dorienne, les Grecs en reconnaissaient plusieurs autres, par exemple l'harmonie lydienne, l'harmonie mixo-lydienne; la

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première était essentiellement plaintive, la seconde éminemment tragique.

Pour établir les rapports qui pouvaient exister entre les harmonies des Grecs d'une part; et de l'autre les tons de l'église ou les modes de la musique moderne, M. Vincent est parti de ce principe que l'harmonie phrygienne avait un caractère mâle et belliqueux, et que c'était sur ce mode que l'on sonnait les trompettes. Cette circonstance venait à l'appui de plusieurs indications positives fournies par les textes, de celle-ci par exemple, que tout chant finissait sur la MÈSE, c'est-à-dire sur la corde majeure de l'harmonie; cette circonstance, disons-nous, établit d'une manière certaine l'assimilation du mode phrygien avec notre mode majeur. Ensuite, comme on connaît la loi d'après laquelle les diverses harmonies sont échelonnées entre elles, il est facile, étant données les cordes du mode phrygien, d'en déduire les cordes des autres modes, en procédant pour cela par degrés conjoints.

Par ce moyen, outre les rapports déjà signalés, M. Vincent est parvenu à établir que l'harmonie lydienne (1) avait pour cordes principales celles de la fausse quinte fa, mi, ré, ut, si, et la mixolydienne, les cordes si, la, sol, fa, mi.

Il faut néanmoins, pour rétablir conformément à la théorie hellénique cette échelle de dégradation des diverses harmonies, faire une remarque importante: c'est que les Grecs plaçaient les cordes graves en haut, et les cordes aiguës au bas du système musical, tout à fait au rebours de ce que nous faisons nous-mêmes. On conçoit en effet qu'il n'y a aucune connexion nécessaire entre le grave et le bas, entre l'aigu et le haut, et que cette relation est une chose de pure convention; faute d'avoir fait cette remarque, nombre d'auteurs justement renommés, traitant du système grec, n'y ont apporté que trouble et confusion.

M. Vincent a confirmé cette théorie qui lui appartient en propre, en faisant exécuter différents chants d'église, qui, disposés suivant l'ordre que les anciens attribuaient à leurs diverses harmonies, présentent de la manière la plus convaincante les caractères mêmes que ces auteurs attribuaient à leurs modes. On saura donc maintenant ce que voulaient dire Platon, Aristote, Plutarque, Athénée, etc., lorsqu'ils parlaient de l'harmonie phrygienne, de l'harmonie dorienne, etc.

(1) Plus exactement hypolydienne,

Le temps et l'espace nous manquent pour entrer à cet égard dans les détails convenables; nous ne pouvons cependant passer outre sans ajouter une conséquence importante, c'est que, d'après cette même théorie, les divers personnages d'un drame pouvaient déclamer leur rôle, chacun dans un mode différent et suivant une mélopée appropriée à leur caractère sans cependant s'écarter d'une tonalité commune, comme nous le voyons encore pratiquer à l'église dans le chant de la Passion, précieux reste de la mélopée antique.

Après la théorie des tons, modes et harmonies, M. Vincent a parlé des genres, c'est-à-dire des diverses divisions de la quarte ou du tétracorde. La gamme ou l'octave se compose de deux tétracordes et un ton (1). Or, tandis que nous n'avons qu'une seule manière de diviser le tétracorde, savoir, en deux tons et un demi-ton, les Grecs avaient diverses manières de décomposer le même intervalle; et de là dérivaient les divers genres, dont il existait trois principaux, le genre diatonique, le chromatique et l'enharmonique. Dans le genre diatonique, le tétracorde était divisé en deux tons et un demi-ton; c'est le genre même que nous pratiquons, et nous n'en employons pas d'autres. Dans le genre chromatique, le tétracorde comprend à l'aigu un trihémiton ou une tierce mineure indécomposable, et deux demi-tons au grave. Enfin, le genre enharmonique se compose d'un diton ou d'une tierce majeure indécomposable, à l'aigu, et de deux quarts de ton ou grave. De sorte que, dans tous les genres, la somme des trois intervalles compris entre les quatre cordes, reproduit toujours notre intervalle de quarte, intervalle que les pythagoriciens nommaient syllabe, comme comprenant l'élément fondamental de toute musique. Quant au groupe des trois cordes graves ou des deux intervalles graves des tétracordes chromatique et enharmonique, on le nommait pycnum (Tuxvóv), c'est-à-dire groupe serré ou condensé.

Outre les trois genres principaux, les auteurs distinguaient encore dans chaque genre, diverses couleurs ou nuances. Plus le pycnum y est resserré, c'est-à-dire plus les trois cordes qui le composent sont rapprochées, plus le genre est mou, énervant, efféminé. C'est pourquoi le diatonique, le plus viril de tous, était le seul qu'admît Platon dans sa République, comme aussi les harmonies dorienne et phrygienne étaient les seules qui échappassent à sa réprobation.

Les divisions du tétracorde grec étaient connues depuis long

(1) Ici ce mot désigne un intervalle et n'a plus le même sens que plus haut.

temps, d'après les travaux de Burette, de Perne', etc; mais malgré diverses tentatives infructueuses, on n'était point parvenu à les reproduire, et à faire entendre ces divers genres de la musique grecque qui sortent entièrement des habitudes de notre oreille. Or, c'est en cela que se trouve ici la nouveauté. M. Vincent a fait entendre une sorte de piano qu'il a fait construire depuis longtemps conjointement avec M. Bottée de Toulmon (1). Cet instrument, dont les cordes sont rendues à volonté plus longues ou plus courtes, au moyen des chevalets mobiles et conformément à certains rapports déterminés mathématiquement, n'est que la réalisation et le perfectionnement d'une idée antique; car Ptolémée l'indique formellement (liv. II, ch. 2) sous le nom d'Hélicon.

C'est au moyen de cet instrument que M. Vincent a mis son auditoire à même d'apprécier le quart de ton et le genre enharmonique dont cet intervalle est le fondement. Malgré l'étrangeté que présente au premier abord l'audition de ce genre de musique avec laquelle notre oreille a besoin de se familiariser, on ne peut nier que la première impression passée, on n'y trouve un certain charme et une expression indicible de tristesse, qui devait le rendre surtout propre à être employé dans la tragédie; et l'un de nos grands compositeurs, M. Halévy, a reconnu dans ce nouvel élément d'expression musicale, assez d'importance pour vouloir en faire l'essai en grand sur des instruments, piano et orgue, entièrement divisés par quarts de ton, que nous avons entendus avec le plus grand intérêt (2).

Enfin M. Vincent, en parlant de l'emploi de l'harmonie ou des sons simultanés chez les Grecs, après avoir rapporté diverses preuves déjà acquises malgré le préjugé contraire qui existe à cet égard, a fait exécuter la musique à deux parties d'un fragment de Pindare. Ce fragment, découvert depuis longtemps avec sa musique dans un couvent d'Italie, était néanmoins resté méconnu jusqu'à ce jour, en ce sens que l'on ne s'était point aperçu qu'il présentait une partie vocale et une partie instrumentale évidemment destinées à être exécutées simultanément. Or, les notes vocales sont, dans le système

(1) M. B. de T., dont la science déplore la perte récente, s'était occupé de la partie mécanique.

(2) M. Nisard, notre collaborateur, qui assistait M. Vincent dans ses expériences, et qui s'est déjà rendu habile sur le jeu du clavier à quarts de ton, déclare que, dans son opinion, l'emploi de cet intervalle, rendu possible dans notre système musical, où il s'intercale sans y rien déranger, est destiné à modifier profondément notre système de tonalité.

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