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premier dépouiller ses archives et se livrer au jugement de l'histoire. Malheureusement si, par son antiquité, il marche à la tête des maisons religieuses de Troyes, il est bien inférieur à la plupart d'entre elles par la richesse de ses documents. Un grand nombre de titres authentiques sont perdus, et plusieurs de ceux qui existent n'offrent qu'un intérêt tout-à-fait secondaire; mais il en reste assez d'intéressants pour n'avoir pas trop découragé l'auteur de ce travail.

L'histoire de Saint-Martin-ès-Aires se divise en trois parties. La première comprend l'histoire de l'abbaye proprement dite, depuis son établissement jusqu'à sa suppression c'est l'ancien Saint-Martin-ès-Aires.

La deuxième partie commence à la Révolution et suit l'existence de la maison dans ses diverses phases jusqu'à nos jours c'est le Saint-Martin-ès-Aires actuel.

La troisième partie renferme les Pièces justificatives. Les pièces peu importantes, telles qu'achats de maisons, renouvellements de baux, etc., ont été éliminées; mais les donations, chartes d'abbés, d'évêques, de comtes, etc., y ont trouvé leur place. C'est le cartulaire de l'abbaye.

Les Noës, le 29 juillet 1872.

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L'antique abbaye de Saint-Martin-ès-Aires, le plus ancien monument religieux de la ville et du diocèse de Troyes, après la chapelle du Saint-Sauveur, occupait un emplace-ment signalé dans les temps les plus reculés. Les recherches archéologiques modernes ont, en effet, amené la découverte d'un cimetière gallo-romain, puis mérovingien, situé dans l'enclos même du couvent. Cette destination nous étonnera peu, si nous nous rappelons que la loi des Douze Tables défendait la sépulture des cadavres dans l'intérieur des villes : hominem mortuum in urbe ne sepelito, neve urito. Or la ville de Troyes avait alors pour limite à l'est la rivière de Meldançon, qui passe derrière la cathédrale et l'évêché. Ce fut le comte Thibaut IV qui, sous l'abbé Jean de Fleiz, comme nous le verrons en son lieu, fit reculer les murs d'enceinte jusque derrière Saint-Martin-ès-Aires. Aussi, tous les anciens auteurs portent-ils expressément cette indication in suburbio.... extra muros.... in aeris, dans les champs.

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Après l'établissement du christianisme chez les Tricasses, le cimetière payen fut sanctifié par les prières de l'Eglise, et l'on continua d'y déposer les corps des fidèles.

C'est à côté de ce champ du repos, si fécond en salutaires réflexions, que saint Loup se choisit une retraite. Quelquesuns prétendent qu'il y existait déjà un oratoire sous le vocable de Notre-Dame; d'autres affirment que le saint évêque de Troyes eut l'honneur d'élever lui-même ce premier sanctuaire à la gloire de la Mère de Dieu (1). Quoi qu'il en soit, tous s'accordent à dire qu'à son retour d'Angleterre, vers 429, il fonda auprès de la chapelle de NotreDame une école qui acquit une grande réputation.

L'illustre pontife y rassembla d'abord son clergé pour y converser des choses du ciel. Bientôt, de jeunes disciples, avides de science et de piété, accoururent de contrées diverses et trouvèrent dans le cœur et le génie de leur maître cette érudition peu commune, ces vertus rares, qui les désignèrent plus tard aux postes les plus éminents de l'Eglise.

Sans parler de saint Camélien, qui, après la mort de saint Loup, continua la vie d'édification et de dévouement de son maître, combien d'autres répandirent au loin la réputation de l'école troyenne !

Polychrone porta sur le siége de Verdun la douceur mêlée de gravité, le talent joint à la modestie, l'active charité dont il avait fait à Troyes le précieux apprentissage. Saint Loup eut la joie de lui imposer lui-même les mains, vers 454 ; il devait, seize ans plus tard, pleurer sa mort, ou plutôt bénir le Seigneur qui venait d'accorder à son disciple la récompense du bon et fidèle serviteur. Polychrone s'était acquis le respect, l'admiration et l'amour de tous, des grands et des petits, des pontifes et des rois, dit Hugues de Flavigny. Mais ce qui vaut mieux encore, les miracles qui avaient ac

(1) Boufin, Belleforest, Chenu, Hugues de Flavigny, apud J. Cousinet, Thesaurus antiquitatum augustæ Basilicæ S. Lupi Trecensis, tom. II, fol. 580. (Bibl. de Troyes, mss. no 2283.)

compagné sa vie témoignèrent également de la sainteté de sa mort (1).

Sévère ou Séverin accompagnait saint Loup dans son voyage en Grande-Bretagne. Les hautes vertus dont il fut témoin pendant dix ans le déterminèrent sans doute à ne pas s'éloigner d'un si parfait modèle. Nous ignorons combien de temps il resta sous la direction de l'évêque troyen; mais il avait puisé à ce foyer de science et de vertus assez de lumières et de mérites pour être élevé sur le siége de Trèves. Il eut la gloire de convertir une partie du peuple burgonde, confié à ses soins.

Alpin n'est pas le moindre des disciples de saint Loup. Fils du seigneur de Baye, il est placé, jeune encore, sous la discipline de l'évêque de Troyes. Ses heureuses dispositions lui attirent l'affection de son maître, qui le destine au sacerdoce et à la dignité d'official de son église. Pour s'y préparer, Alpin se rend à l'abbaye de Lérins, et quand il atteint l'âge de 20 ans, il remplit ses fonctions d'official avec une maturité d'esprit, une gravité et une sagesse qui le rendent supérieur aux vieillards mêmes. Le clergé troyen se félicite de compter dans son sein un membre si actif et si vertueux. Bientôt il accompagne saint Loup en Grande-Bretagne et n'en revient que pour recevoir l'ambassade qui lui propose l'évêché de Châlons. Son humilité se refuse à un tel honneur; il veut prendre la fuite. Mais saint Loup l'engage à ne pas résister à la volonté de Dieu, et il se laisse imposer les mains, vers 433. Nous ne pouvons le suivre dans les actes de son épiscopat. Nous dirons seulement que, comme son illustre maître, il préserva sa ville des fureurs d'Attila et vit

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(1) Hugues de Flavigny, Chron. Virid., p. 63. - Baronius, Ann. eccl. an 479. Gall. Christ., t. XIII, col. 1164, 1282, 1287. Acta Sanct. April., t. III, f. 760. Cousinet, Thes. ant. Bas. S. Lupi, mss. 2283, t. I, fol. 57. (Bibl. de Troyes.)

se courber devant lui la tête altière du superbe roi des Huns.

Nous ne voulons pas oublier le jeune diacre Mesmin, dont le sublime dévouement fait encore aujourd'hui l'objet d'une légitime admiration. Attila menace les murs de Troyes. Sa colère sera d'autant plus terrible qu'il vient d'éprouver un échec devant Orléans. Sur un signe de saint Loup, Mesmin part avec sept autres clercs au-devant du Fléau de Dieu; il a pour mission de chercher à le fléchir; mais il ne doit plus revoir la cité troyenne. Une mort glorieuse l'attend, ainsi que ses compagnons, au village de Brolium, appelé depuis Saint-Mesmin. L'histoire n'a conservé que trois noms des jeunes disciples de saint Loup, qui partagèrent les périls et le triomphe de Mesmin. Ce furent Félix et Sensatus, diacres, et Maximien, sous-diacre. Leurs reliques furent vénérées jusqu'en 1793, sous le nom de Reliques des Saints Innocents.

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Un autre disciple de saint Loup fut aussi son historien. Il écrivit sous l'épiscopat de saint Camélien ; mais il n'a pas pris soin de faire connaître son nom à la postérité. Son unique ambition était d'arracher à l'oubli les vertus de son excellent maître, eximii magistri, comme il l'appelle. Son style grave, concis et dégagé de ces épisodes si fort en usage dans les siècles postérieurs. Bien loin d'avoir donné carrière à son imagination et d'avoir cherché à étendre son discours et le charger de choses étrangères à son sujet, il s'en tient à la précision des faits et avoue lui-même qu'il a abrégé l'abondance de sa matière (1). »

Jacques Cousinet, chanoine régulier de l'abbaye royale de Saint-Loup (2), voit dans cette famille de clercs réunis autour de l'évêque l'origine des chanoines. Il recherche d'abord ce

(1) Histoire littéraire de la France, t. II, p. 691.

(2) Thesaurus antiquitatum augustæ Basilicæ S. Lupi, vol. II, fol. 582-592.

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