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mille Romains périrent massacrés, les églises furent violées, les reliques profanées; Rome souffrit plus d'horreurs qu'au temps des invasions barbares. Le pape restait prisonnier dans le château Saint-Ange. A cette nouvelle, l'Europe fut indignée. L'Empereur prit hypocritement le deuil et ordonna des prières pour la délivrance du pape. Mais il ne le rendit à la liberté qu'à l'approche de l'armée française, et moyennant une rançon de cinq cent mille ducats.

En effet, Lautrec avait enfin passé les Alpes. Il rallie les débris de l'armée italienne, emporte Pavie, délivre Rome en dissipant l'armée impériale, s'empare des Abruzzes et assiége Naples, que bloque André Doria avec la flotte génoise. Mais on laissa Lautrec sans argent; la peste se mit dans l'armée et l'emporta lui-même. En même temps Doria passait à l'Empereur. Cette défection funeste était due à François Ier, qui avait dépossédé Gênes de ses priviléges commerciaux au profit de Savone. Le marquis de Saluces, successeur de Lautrec, incapable de suffire à une telle situation, capitula pour sauver les restes de l'armée (1528). Gênes chassa sa garnison française. Une nouvelle armée, commandée par Saint-Pol, fut battue à Landriano par Antoine de Leyve. L'Italie était encore une fois perdue.

François, découragé, se résolut à abandonner ses alliés italiens, qui avaient montré si peu d'énergie, ainsi que toute prétention sur l'Italie, pour maintenir l'intégrité du royaume. Des négociations entamées entre Louise de Savoie et Marguerite d'Autriche sortit la paix de Cambrai, dite paix des Dames. François Ier conservait la Bourgogne, renonçait à tous droits sur Milan, Gênes, Asti et Naples, payait deux millions d'écus d'or pour la rançon de ses fils, et épousait enfin Eléonore (1529). Les États italiens obtinrent la paix de l'empereur par le traité de Bologne, mais en subissant l'influence espagnole.

RÔLE DE L'ANGLETERRE DANS LA LUTTE DE LA FRANCE ET DE L'EMPIRE.

-Wolsey, l'habile ministre de Henri VIII, rendit dans toute cette période l'intervention de l'Angleterre opportune et decisive; sa politique fut celle de l'équilibre européen. Ainsi, en 1520, quand François Ier, maître du Milanais par une campagne heureuse, vainqueur des Suisses jusque-la invincibles, devenu leur allié par la ligae perpétuelle, semblait plus redoutable que Charles, Wolsey signa l'aliance de l'Angleterre et de l'Empire; mais lorsque Charles-Quint fut maitre du prisonnier de Pavie, Wolsey conseilla à son maître de se rapprocher de la France, Henri VIII accéda à la ligue de Cognac (1527) et promit d'attaquer les Pays-Bas. Peut-être verra-t-on le secret de la politique

anglaise dans l'ambition de Wolsey, leurré par Charles-Quint de la promesse de la tiare, et plus tard dans la haine de Henri VIII contre le neveu de sa femme Catherine d'Aragon qu'il voulait répudier. Quoi qu'il en soit, les passions du ministre et du roi s'accordèrent avec les vrais intérêts de l'Angleterre.

man II.

CHAPITRE XII.

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Introduction des Ottomans dans la politique européenne. Soli- Siége de Vienne. Expédition de Charles V contre Tunis et Alger.—Invasion de la Provence.- Trêve de Nice.— Bataille de Cerisolles (1529-1547).

NOUVELLES ALLIANCES DE FRANÇOIS 1er. INTRODUCTION DES OTTOMANS DANS LA POLITIQUE EUROPÉENNE.-La partie semblait perdue pour la France si elle ne se préparait de nouveaux moyens de lutte contre la puissance toujours croissante de Charles-Quint. François Ier le comprit. Il se fit le protecteur des princes luthériens confédérés à Smalkalde, pour la défense de leur religion, de nouveau menacée par l'Empereur (1531); il s'assura l'appui de Henri VIII, qui préparait le schisme anglican (1532), et en même temps s'attacha le pape Clément VII en mariant son deuxième fils, Henri d'Orléans, à Catherine de Médicis (1533); enfin il conclut avec Soliman des capitulations de commerce qui cachaient une alliance offensive et défensive (1534). C'est ainsi que la nécessité créa la politique française de l'alliance des États protestants (V. chap. X.) et des Turcs contre la puissance austro-espagnole. Quelle était l'opportunité de l'alliance de François Ier et des Turcs?

SOLIMAN II (1520-1566). - Soliman avait ceint le sabre à Stamboul l'année même où Charles-Quint recevait la couronne impériale à Aix-la-Chapelle. Il régna jusqu'en 1566. C'est le règne le plus long de l'histoire des Turcs. Il débuta par deux conquêtes difficiles, qui avaient arrêté Mahomet II, et qui devaient lui livrer le Danube et la Méditerranée, Belgrade et Rhodes. Les tuteurs du jeune Louis II, roi de Hongrie, avaient laissé insulter par le peuple les ambassadeurs de Soliman. Le sultan saisit ce prétexte et marcha contre Belgrade. Cette ville n'avait plus de Jean Huniade pour la défendre. Cependant elle essuya sans se rendre le feu de trois cents pièces de canon et vingt

assauts. Elle tomba par trahison. Lorsque Soliman y entra au mois d'août 1521, il restait à peine aux assiégés quatre cents hommes capables de porter les armes.

Maître de Belgrade, Soliman se jeta sur Rhodes, ce repaire de brigands, disait-il. Les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, maitres de l'île, entravaient par leurs courses les relations dé Constantinople et de l'Égypte, nouvellement conquise. Leur port était une retraite pour les flottes armées contre Constantinople. Il fallait détruire cet avant-poste des chrétiens dans l'Archipel. Le sultan rassembla deux cent mille hommes. Villiers-deI'lle-Adam, grand maître de l'ordre, implora les secours de l'Europe. L'Europe resta sourde. Les chevaliers furent réduits à leurs seules ressources. Leur résistance fut héroïque; en vain l'un d'eux, l'Espagnol André d'Amaral, trahit la cause commune en livrant au sultan les secrets de la défense; en vain cent pièces à feu et douze canons monstrueux, dont les boulets de marbre avaient douze palmes de diamètre, battirent les murailles de la ville; Rhodes tenait encore. 40,000 Turcs avaient péri sous ses murs. Mais les vivres et la poudre vinrent à manquer. Soliman avait menacé de décimer son armée. Les Turcs redoublèrent d'efforts. Le grand maître se résolut à traiter et signa une capitulation honorable le jour de Noël (1522). Soliman dit tristement en prenant possession du palais de l'Ile-Adam : « Ce n'est pas sans quelque peine que je force ce chrétien à abandonner, dans sa vieillesse, sa maison et ses biens. » L'ordre recueilli par le pape à Viterbe fut établi par Charles-Quint sur le rocher de Malte, dont il prit le nom (1530), et les chevaliers recommencèrent contre les Barbaresques la croisade éternelle dont leur institution leur faisait un devoir. Rhodes a gardé la trace de cette domination chrétienne. On y retrouve aujourd'hui encore, taillés dans le marbre blanc, d'héroïques écussons avec leurs devises; ici, celle des Beaumanoir: J'aime qui m'aime; là, celle des Rieux: A tout heurt Rieux! et tant d'autres qui éveillent chez le voyageur le souvenir d'une gloire toute française.

La paix était à Constantinople le signal des troubles. Le corps redoutable des janissaires s'agitait. Soliman recommença la guerre. Il remonta le cours du Danube au delà de Belgrade, suivi d'une armée formidable que commandait son grand vizir Ibrahim. Les Turcs s'avancèrent jusqu'à Mohacz, où les attendait le jeune Louis II. La journée de Mohacz fut la ruine de l'antique Hongrie (1526). L'impétueuse cavalerie magyare fut enveloppée par les Turcs et taillée en pièces. Plus de dix-huit

mille Hongrois restèrent sur le champ de bataille, et Louis II lui-même périt dans ce désastre. Pendant un jour et une nuit le Danube charria des cadavres devant Belgrade. Soliman éleva sur le champ de bataille une pyramide de 2000 têtes et alla s'emparer de Bude. Après son départ, la Hongrie fut déchirée par des dissensions intestines provoquées par la rivalité de Ferdinand d'Autriche et de Jean Zapolya, wayvode de Transylvanie. Soliman se déclara pour Zapolya et cette fois envahit l'Autriche. Déjà d'ailleurs François Ier sollicitait son alliance contre Charles-Quint. Il mit le siége devant Vienne, que défendaient dou Pedro de Navarre et le comte de Salm. La terreur fut grande dans toute l'Europe. En vingt jours, les Tures donnèrent vingt assauts; ils ne purent triompher de la résistance opiniâtre des braves troupes espagnoles qui défendaient la ville. Pendant ce temps Charles-Quint rassemblait cent mille hommes. Soliman leva son camp en prononçant l'anathème contre le sultan qui attaquerait de nouveau cette ville fatale. Il avait perdu 40,000 hommes,

EXPÉDITION DE CHARLES-QUINT CONTRE TUNIS. C'est en ce moment surtout que Charles-Quint apparaît avec un caractère de grandeur incontestable. « On le voit traversant sans cesse l'Europe pour visiter les parties dispersées de son vaste empire, parlant à chaque peuple sa langue, combattant tour à tour François Ier et les protestants d'Allemagne, Soliman et les Barbaresques; c'est le véritable successeur de Charlemagne, le défenseur du monde chrétien. » Le danger n'était pas seulement à l'orient de l'Europe; il menaçait encore les côtes d'Espagne et d'Italie, C'était le temps où Khaïr-Eddin Barberousse, amiral de Soliman, organisait les États barbaresques de Tunis, d'Alger et de Tripoli. Les Mores fugitifs d'Espagne avaient apporté en Algérie leur intelligence, leurs arts et leur implacable soif de vengeance. Alger était une position militaire admirablement choisie pour commander tout le bassin occidental de la Méditerranée, au centre duquel se trouve ce port. La piraterie algérienne prit un développement gigantesque et qui rappelait les ravages des Vandales. Les Barbaresques firent la traite des blancs.

Charles-Quint dirigea en personne l'expédition d'Afrique (1535). Il prit la ville de Tunis et la forteresse de la Goulette, qui en défend l'approche, battit et chassa le redoutable Barberousse, et rétablit l'ancien roi comme vassal de l'Espagne, sous la protection des garnisons espagnoles. Soliman, alors

occupé d'une guerre contre les Persans, entrait en conquérant à Bagdad et se rendait maître de l'Irak-Araby, de l'Algesireh et du Kourdistan1. Charles-Quint s'était allié avec les Persans contre les Turcs, comme François Ier avec les Ottomans contre les impériaux; ainsi la querelle des deux princes ébranlait le monde entier. L'Europe n'avait point senti depuis l'empire romain de plus violentes secousses, et nul empereur n'avait eu tant de grandeur.

TROISIÈME GUERRE ASSEMBLÉE DE ROME; INVASIONS ET ÉCHECS DES IMPÉRIAUX EN FRANCE; TRÊVE DE NICE (1534-1538). - Telle était donc la situation quand recommença la guerre. Une violation flagrante du droit des gens fut le signal des hostilités. Sforza qui cherchait à se rapprocher de François Ier, intimidé par les menaces de Charles-Quint, lui donna un gage en faisant mettre à mort sans forme de procès, à la suite d'une affaire particulière, un agent de la France, Merveille (1534). François rejeta les excuses de Sforza et fit marcher une armée en Italie. Le duc de Savoie, qui refusa le passage, vit ses États occupés. Tout à coup Sforza mourut sans héritiers directs. Le Milanais devait revenir à François, qui n'avait fait qu'à Sforza l'abandon de ses droits. Il fit la faute de suspendre les hostilités et de négocier avec l'Empereur l'investiture du Milanais pour son deuxième fils, Henri d'Orléans. Charles temporisa, afin de pouvoir recomposer ses armées, occupa le Milanais comme suzerain, puis, ses préparatifs terminés, il rejeta avec hauteur les demandes de François Ier, dans une assemblée tenue à Rome, en présence du pape, des cardinaux et des ambassadeurs de

1 Pendant le reste de son règne, on voit Soliman dépouiller les Vénitiens de leurs dernières possessions dans la Morée et dans l'Archipel, partager la Hongrie avec Jean Zapolya, conquérir dans une seconde expédition contre les Perses (1547) le Chirvan et une partie de la Géorgie, diriger une nouvelle invasion en Hongrie (1552), échouer devant Agra, assiéger Malte sans succès (1565), enfin venir mourir devant Szigeth dans une nouvelle campagne de Hongrie. Son règne est l'apogée de la grandeur ottomane.

C'est à cette époque que s'introduisit l'usage du café. Le scheik arabe Schodeli avait découvert depuis trois siècles les propriétés de la fève du caféier, en remarquant que ses chameaux étaient plus dispos que de coutume, après avoir brouté les feuilles de cet arbuste, Cependant les Arabes seuls faisaient usage du café. Sous Soliman, en 1554, un habitant d'Habeth vendit cette liqueur à Constantinople, et fit fortune au bout de quelques mois. On appela les cafés « écoles des connaissances », et cette boisson fut bientôt d'un usage général, en dépit des vieux Turcs qui l'avaient nommée nègre ennemi du sommeil. Soliman-Aga, ambassadeur de la Porte, introduisit le café en France en 1669 (Hammer).

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