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envoie contre lui, puis hésite à marcher sur Lima. Moins heureux dans une seconde bataille, il est vaincu, fait prisonnier, et étranglé dans sa prison malgré ses soixante-quinze ans et ses vives prières (1538).

Se croyant bien assurés dans la possession du pays, les Pizarre se partagent le gouvernement, attribuent à leurs soldats les meilleures terres, en négligeant ceux d'Almagro; ils trouvent encore en eux-mêmes assez d'ardeur pour se porter à de nouvelles entreprises (conquête du Chili, exploration de la rivière des Amazones); mais la sédition couvait. En 1541, le jeune Almagro et une troupe d'anciens soldats de son père parcourent les rues de Quito et attaquent le palais en criant: Vive le roi! meure le tyran! Pizarre se défend jusqu'à ce qu'il n'ait plus la force de tenir son épée et succombe sous le nombre. Le jeune Almagro est proclamé gouverneur. Mais bientôt le licencié Vaca de Castro arrivé d'Europe déploie l'étendard royal contre les rebelles. Almagro est vaincu à Chupas et décapité (1542). Charles-Quint comprenait très-bien qu'en abandonnant l'Amérique aux individus, il allumait dans les aventuriers la fièvre de l'ambition et de la cupidité, et favorisait les découvertes nouvelles, mais que les individus sont inhabiles à établir et à maintenir l'ordre. Cette même année 1542, il constitua le Conseil suprême des Indes pour gouverner les colonies. Du reste, l'administration centrale se montrait plus humaine pour les Indiens, réduisait les repartimientos, et voulait qu'à la mort des maîtres ils devinssent hommes à gages. Les colons du Mexique se résignèrent au règlement nouveau (leyes nuevas); ceux du Pérou prirent les armes sous la conduite de Gonzalès Pizarre, qui d'abord battit le vice-roi, mais n'osa pas écouter ses amis qui lui conseillaient d'épouser une fille du Soleil (une fille du sang des Incas), de réconcilier les Indiens avec les Espagnols, et de s'ériger en souverain indépendant. Un conseiller de l'inquisition débarqua, sans même avoir d'escorte, ramena la flotte et l'armée, et fit décapiter Gonzalès Pizarre (1548).

Pendant toutes ces agitations du Pérou, la race intrépide des aventuriers avait continué l'exploration de l'Amérique méridionale. Ils avaient fondé des colonies à Venezuela, ou petite Venise, ainsi nommée parce que les Indiens occupaient des huttes élevées au-dessus des eaux qui dominaient la plaine, dans la Nouvelle Grenade, sur le golfe de Darien, dans la province de Caracas (15271536). En 1541, Pierre de Valdivia, lieutenant des Pizarre, conquit le Chili et bâtit Santiago. Gonzalès Pizarre, après une année de marche à travers des forêts vierges où il fallait se frayer un

passage la hache à la main, était arrivé sur les bords du Napo, affluent du Marañou. Le lieutenant Orellana s'embarqua avec cinquante hommes sur un brigantin improvisé, descendit le Napo, et, arrivé au Marañon, persuada à ses compagnons de le descendre et de retourner en Europe. Après une navigation de deux mille lieues, il fut recueilli par des vaisseaux espagnols. C'est de lui que vinrent les fables, si longtemps en vogue, d'une république d'amazones établie sur les bords du Marañon, et du fameux pays d'Eldorado où les maisons étaient couvertes de toits d'or et d'argent.

RÉSULTATS GÉNÉRAUX DES DÉCOUVERTES.-DÉVELOPPEMENT DE LA RICHESSE MOBILIÈRE.-Les découvertes des Portugais et des Espagnols eurent des résultats immenses et furent pour le monde entier les causes premières d'une véritable révolution. Tout le sud et l'est de l'Asie, l'ouest et l'est de l'Afrique, tout un continent nouveau, l'Amérique; voilà le vaste champ qu'elles livrèrent à l'activité européenne. La marche et la forme du commerce furent tout d'abord changées. Le commerce de terre si lent, si difficile, fut abandonné pour le commerce maritime. Enfermé jusque-là dans la Méditerranée, la mer du Nord et la Baltique, il a maintenant devant lui le vaste océan Atlantique, et par delà le continent américain le Pacifique lui est ouvert. Il en résulta un déplacement dans l'importance commerciale des peuples. Aux villes italiennes, à la ligue des villes du Rhin et à la Hanse succédèrent les Portugais et les Espagnols, puis les Anglais, les Hollandais et les Français. A mesure que les relations commerciales se multiplieront, la marine deviendra un des éléments principaux de la puissance des peuples, et la prépondérance continentale ne sera plus séparée de l'importance maritime.

Les résultats ne furent pas moins considérables relativement à la richesse mobilière. Le premier effet de l'exploitation régulière des mines du Mexique et du Pérou avait été de jeter dans la circulation européenne une masse énorme de numéraire 1. Il y eut sur les marchés comme une inondation d'argent. Toutes les denrées éprouvèrent alors dans leurs prix une hausse qui alla bientôt au double, puis au triple, et même monta plus.

'Trente ans ne s'étaient pas écoulés que déjà le Potosi donnait par an, d'après l'estimation la plus modeste, près de 200,000 kilogrammes d'argent, environ 45 millions de francs, indépendamment de tout ce qui s'en allait en lingots, sans payer de droits au roi. Le total excédait 50, et peut-être 60 millions. La production de l'argent fut plus considérable encore lorsqu'on mit en exploitation au Mexique les mines du district de Zacatecas, de Sombrerate, et puis le fameux filon de Guanaxuate, où les travaux datent de 1558.

encore 1, en vertu de la loi économique qui proportionne le prix des objets à la rareté ou à l'abondance du numéraire. Ce changement se révéla presque subitement vers le milieu du xvie siècle, moment où tout d'un coup la production de l'argent, qui était en Europe la monnaie courante, devint surprenante d'abondance dans le nouveau monde.

Il en résulta, d'abord, il est vrai, de grandes perturbations dans les transactions et dans les fortunes. Mais bientôt les grands bienfaits de l'accroissement du numéraire se firent sentir. Il y avait urgence en effet, vu la gêne où se trouvaient l'industrie et le commerce que l'instrument des échanges devînt plus abondant. Ce qui facilite la circulation, en règle générale, tend à l'accroissement de la production. Celle-ci reçut donc une impulsion extraordinaire et dont les effets, quant à la richesse mobilière, sont incalculables. Il faut voir aussi d'une manière plus particulière que les métaux précieux ayant une valeur non conventionnelle, mais intrinsèque, furent une véritable marchandise contre laquelle l'Europe reçut, en une quantité considérable et toujours croissante, les produits des Indes et de la Chine qui transformaient de leur côté une partie de l'or et de l'argent qu'elles recevaient soit en objets de luxe soit en monnaie.

La création de la richesse mobilière, empruntée à la nature et tirée du sol, façonnée et transformée de mille manières par l'industrie humaine, tel est donc le résultat définitif des découvertes. Elle circule incessamment cette richesse mobilière, et dans sa circulation elle sollicite partout le travail qui doit l'augmenter elle-même, stimule l'une par l'autre la production et la consommation, et concourt au bien-être général; soulagement pour les populations pauvres, enrichissement pour la laborieuse bourgeoisie, elle est le luxe et la splendeur de l'aristo

Relativement au blé, par exemple, l'argent arriva à valoir six fois moins qu'avant la découverte du nouveau monde.

2 «Par l'effet de cette baisse de l'argent et de l'or, toute personne dont le revenu consistait en une redevance fixe d'argent ou d'or fut appauvrie. Les débiteurs, en supposant qu'ils eussent un très-long délai pour se libérer ou qu'ils ne dussent qu'une rente, s'acquittèrent avec une quantité de métal qui représentait une quantité de travail ou de jouissances beaucoup moindre que ce qu'on aurait pu prévoir à l'origine des engagements. Les fermiers, dans les pays où ils avaient des baux à très longs termes et où ils payaient en argent, firent des profits extraordinaires; ce fut ainsi que dans la Grande-Bretagne se forma la richesse d'une fraction du tiers état. Il faut rechercher dans les récits contemporains le désappointement des uns, la satisfaction des autres, la stupéfaction de tous, car on ne distinguait pas la cause du changement dont on était, suivant la position qu'on occupait, la victime ou le bénéficiaire. » M. Chevalier, de la Monnaie.

cratie; elle entre en concurrence avec la richesse territoriale pour la dominer plus tard et l'absorber; accessible à tous, et par conséquent libérale de sa nature, elle travaille partout à l'affranchissement et à l'égalité, et donnera le pouvoir aux classes moyennes chez lesquelles la tête ou les bras ne se reposent pas ; aux peuples qui auront su la créer par leur intelligente activité, elle assure le premier rang; elle s'éloigne au contraire de ceux qui, comme l'Espagne, ont abandonné le travail pour s'attacher au numéraire, qui est surtout l'instrument des échanges, et ils tombent en déchéance; en un mot, elle va devenir la grande puissance des sociétés modernes.

CHAPITRE IX.

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Tableau de l'Italie au commencement du XVIe siècle.-Milan, Gênes, Venise, Florence, Rome, Naples. - - Renaissance des arts et des lettres. -Jules II. Léon X. — L'Arioste, Machiavel, Bembo, Bramante, Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange.-Érasme.Copernic.

TABLEAU DE L'ITALIE AU COMMENCEMENT DU XVI SIÈCLE. RENAISSANCE DES ARTS ET DES LETTRES. - En devenant le champ de bataille où la France, l'Espagne, l'Allemagne se disputent l'influence pendant plus d'un demi-siècle, l'Italie épuisée meurt comme nation; elle tombe désormais dans une langueur d'où elle ne se relèvera plus. Sa décadence marche vite. Si elle a encore en ce moment l'industrie la plus habile, le commerce le plus actif, les nations de l'Occident entrent avec elle en concurrence; voilà déjà que les Portugais dans les Indes, les Turcs dans le Levant, en Égypte, dans toute la Méditerranée, la resserrent singulièrement et tarissent les sources de ces richesses qui alimentaient sa splendide civilisation. Mais si l'avenir est sombre pour l'Italie, le présent brille d'un éblouissant éclat. Elle étonne, elle charme, elle ravit et son siècle et la postérité par le génie des arts et des lettres. Au milieu des calamités de la guerre, elle ne se lasse pas de produire des poëtes et des artistes. Plus que jamais elle est la mère des grands hommes (magna virúm). Le grand mouvement de la Renaissance qui renouvelle la science, la poésie, la pensée et l'art en les affranchissant du moyen âge et en les fécondant par l'étude de l'antiquité, il est l'œuvre de l'Italie, et le seizième siècle s'appelle

bon droit, d'un nom italien, le siècle des Médicis. Ainsi les cités italiennes présentèrent le spectacle qu'avaient donné les cités grecques; si elles furent impuissantes dans leurs rivalités jalouses à défendre leur nationalité, elles eurent le développement le plus libre, le plus varié, le plus fécond, auquel un peuple puisse atteindre; et comme autrefois la Grèce vaincue avait fait l'éducation de Rome, l'Italie opprimée et mutilée initia l'Occident au génie des lettres et des arts.

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MILAN, VENISE, FLORENCE, ROME, NAPLES.-JULES II.-LÉON X. Ce beau mouvement des esprits, deux siècles l'avaient préparé. L'étude était devenue la passion nationale. Les galères de Gênes et de Pise avaient en même temps servi à rapporter en Italie les manuscrits de l'antiquité et les produits du Levant. Partout des universités, des académies s'étaient ouvertes. Les savants fugitifs de Constantinople avaient payé l'hospitalité de l'Italie en l'initiant à ces lettres grecques que le moyen âge avait ignorées. Plusieurs générations de princes s'étaient faits à l'envi les protecteurs du génie, de la science et de l'étude. A Rome, les papes Eugène IV et Nicolas V; à Florence, Côme et Laurent de Médicis; à Naples, Alphonse-le-Magnanime; à Milan, Ludovicle-More; à Mantoue, les Gonzague; à Ferrare, la maison d'Este. Une maison de la Romagne donnait à l'Italie ce prodigieux Pic de la Mirandole qui, à vingt-quatre ans, avait épuisé toute la science humaine, et qui devait mourir à trente et un ans dans un cloître. Mais ce fut surtout par les papes Jules II et Léon X, que fut exercée au commencement du seizième siècle cette généreuse protection des œuvres de l'art et de l'esprit. Cet infatigable Jules II, qui poursuivit avec tant de passion la grande idée de délivrer l'Italie en la rattachant au saint-siége, trouvait du temps pour les lettres. Elles sont, disait-il, de l'argent aux roturiers, de l'or aux nobles, des diamants aux princes. Son génie fier, impérieux et magnanime, s'alliait bien avec celui du terrible Michel-Ange. Aussi, à peine fut-il sur le trône qu'il le fit appeler et le chargea d'élever la coupole de Saint-Pierre de Rome. Il le logea au Vatican; un pont-levis qu'il fit construire lui permettait de se rendre en secret et à toute heure dans l'appartement de l'artiste. Jules II, ayant chargé MichelAnge de lui faire sa statue dans des proportions colossales, vint à l'atelier en visiter le modèle; frappé du mouvement du bras droit, qui était fort décidé : la statue, dit-il, donne-t-elle la bénédiction ou la malédiction?— Elle menace le peuple, s'il n'est pas sagę, répondit Michel-Ange.

Elève de Politien et de Chalcondyle, pape à trente-six ans,

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