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sont nécessaires à l'architecture navale. Dans aucun cas les particuliers ne peuvent spéculer sur la croissance des futaies séculaires.

L'État seul compte par siècles, et seul il peut récolter la futaie qu'il a semée. Il a besoin de forêts étendues, plantureuses, pour le service de sa marine, ce bois, il doit le trouver chez lui comme le cheval de guerre, et non le demander à l'étranger. Qu'il vende les parties arides ou buissonneuses de ses forèts, rien de mieux! mais il doit garder parmi ses trésors les plus précieux parmi ses réserves suprêmes, ces belles forêts qui lui garantissent des tiges monumentales pour ses vaisseaux de guerre.

Notre dissidence exprimée sur ces deux points, nous nous empressons de reconnaître le Guide du cultivateur améliorateur comme un livre d'une haute portée. C'est un cours d'économie rurale complet, et presque un cours d'économie politique tout entier. Ce livre n'est pas seulement utile au cultivateur, il l'est au propriétaire le plus éloigné de son domaine; il lui enseigne l'art d'administrer son bien dans une voie de progrès, de concilier dans ses transactions le triple intérêt du propriétaire, du sol et du fermier; il est digne des méditations des hommes sérieux. Un intérêt profond se lie à cette étude des relations de l'homme avec la terre qui le nourrit; et ces relations ne peuvent être exposées d'une manière plus animée et plus puissante qu'elles ne le sont dans l'œuvre du directeur des cultures de l'ancien institut agronomique de Versailles.

RÉFLEXIONS

SUR

LES FAUX SYSTÈMES

ET

LES RÊVES SCIENTIFIQUES

Par le docteur J.-B. MÈGE

DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, ETC., ETC.

Les hommes qui s'occupent de sciences naturelles et physiques avec cet esprit positif et analytique qui caractérise le vrai savoir, ont l'habitude, dans leurs écrits, de protester contre les idées préconçues qui enfantent les faux systèmes, les doctrines à priori, les utopies inapplicables. C'est une espèce de profession de foi qu'ils ont raison de faire, afin de n'être pas confondus avec cette catégorie de savants qui rejettent l'observation ou l'interprètent mal, et n'imaginent que des romans scientifiques. Néanmoins il faut reconnaître les services qu'ils ont rendus, tout en parcourant le vaste champ des abstractions, et accepter les faits et les résultats constituant des découvertes utiles, quelquefois importantes, presque toujours inespérées, mais qui, par droit de conquête sur la nature cachée, sont entrées

dans le domaine de la science et doivent y rester. C'est ainsi que les astrologues, pleins d'extravagances et de superstitions, n'en ont pas moins laissé des faits et des observations utiles à l'astronomie; et que leurs erreurs, reconnues plus tard, ont démontré la fausseté de leur science et contribué, par là, à faire naître la méthode rationelle de l'observation et du calcul. Il en fut de même des alchimistes, qui, tout en cherchant la transmutation des métaux, la pierre philosophale, nous ont aussi légué d'importantes découvertes, des lois d'agrégation et d'affinité qu'ils ne cherchaient pas, et qui seraient peut-être encore inconnues sans les travaux de ces rêveurs. Les problèmes et les calculs sur la quadrature du cercle ou le soi-disant mouvement perpétuel, l'extraction de la racine de certains nombres, les vains efforts tentés pour maîtriser les aérostats, etc., ont valu à la géométrie, à l'algèbre, à la mécanique, à la météorologie des faits et des combinaisons intéressants.

Les romantiques, pris d'un superbe dédain pour les règles vieillies de l'art d'écrire, pour les classiques purs, pour les formes du langage trop circonscrites de nos grands maîtres en littérature, ont donné dans l'excès opposé. Au lieu de perfectionner les règles et les préceptes consacrés, en signalant ce qu'ils pouvaient avoir de trop absolu, de trop exclusif, et conservant, respectant ce qu'il y avait de fondé sur le bon goût, le noble, le vraisemblable, ils sont tombés dans le galimatias, le dévergondage d'idées, la sensiblerie boursouflée ou le pastiche rappelant le genre

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faux et exalté de Goëthe dans Werther; ou bien ils ont affecté un néologisme barbare, stérile et ridicule ; ils ont osé se moquer de notre inimitable Molière, de notre pur et suave Racine, de notre classique et satirique Boileau!... Les fats! Et pleins d'un sot orgueil, ne pouvant égaler ces hommes de génie, que dis-je, voulant les surpasser, ils ont cherché à produire des émotions mélodramatiques par des tableaux horribles, des peintures de mœurs d'une vérité dégoûtante, préférant ainsi le vrai, puisé dans l'ignoble, le trivial ou le grotesque aux beautés de la nature, aux magnificences de style de nos grands écrivains... Enfin, ils n'ont enfanté que des monstres littéraires tout en voulant créer un nouvel Apollon.

Et cependant, ces monstruosités présentent des beautés partielles, des vues hardies, des conceptions ingénieuses dont l'art d'écrire s'est enrichi.

Châteaubriand, l'un de ces premiers novateurs, s'est heureusement affranchi de cet alliage incohérent, et il s'est hâté de séparer l'ivraie d'avec le bon grain, pour ne plus se servir que de ce dernier, laissant aux d'Arlincourt et tutti quanti, l'amalgame fantastique du nouveau genre d'écrire, nommé romantisme, renouvelé du moyen-âge et habilement épuré, modernisé par son illustre grand-prêtre, Victor Hugo. Voyant que ses créations excentriques avaient fait leur temps, que l'enthousiasme de ses prosélytes, de ses imitateurs ne dépassait pas le seuil de sa petite église, et visant d'ailleurs aux premières distinctions littéraires, ce grand poète s'était décidé à modifier sa manière,

faire disparaitre ce qu'il y avait de choquant dans ses inversions, de contraire aux règles grammaticales les plus simples, aux mépris desquelles il n'eût jamais obtenu les suffrages des dispensateurs de fauteuils académiques. Aussi n'est-il entré à l'Académie française qu'en laissant à la porte tout ce qu'il y avait de barbare, de faux, de ridicule et de laid dans la plupart de ses œuvres. Les peintres, les sculpteurs, voire mème des musiciens qui avaient adopté les idés du romantique dans leurs compositions, ont abandonné ce qu'elles avaient de contraire au bon goût et à la décence.

D'autres esprits faux ou charlatans avaient aussi fait irruption dans l'ordre intellectuel et social. Les SaintSimoniens ont voulu créer une nouvelle religion, une politique plus large et donner d'autres bases à la société, à l'industrie: affectant des prétentions gigantesques et sublimes, ils se sont annoncés comme les rénovateurs du vieux monde; comme les apôtres d'une religion à laquelle ils ont donné pour révélateur l'homme le plus immoral, le plus corrompu de son temps. Ils ont déifié ce Saint-Simon, qui écrivait à sa sœur, qu'il avait épousé sa femme parce qu'elle était perdue de réputation (1). Ce débauché ne se doutait guères que peu de temps après sa mort, dans le XIX

(1) Je tiens ce propos de quelqu'un qui l'a beaucoup connu; de défunt M. Rihouet, intendant-général des domaines du prince de Talleyrand.

M. de Lingrée, auteur d'un recueil de pensées, m'a aussi communiqué une correspondance entre sa mère et le cornte de Saint-Simon qui voulait lui escroquer une somme de 30,000 francs.

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