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la tête est armée de deux antennes composées de six articles, et pourvue d'un bec ou suçoir assez long et articulé. Cet insecte est très-lent dans ses mouvements et vit en société.

L'ensemble de ces principaux caractères a suffi pour nous faire reconnaître un insecte du genre des pucerons et du sous-genre des lachnus, ou lanigères, nom qui vient de la matière laineuse ou cotonneuse blanche qui transsude de toutes parts au travers de sa peau, et sert à l'insecte d'enveloppe préservatrice.

Le puceron lanigère, si funeste aux pommiers, fut observé pour la première fois en Angleterre, en 1787, où l'on croit qu'il a été importé d'Amérique. Il paraît n'avoir pas été vu en France avant 1812, et il n'y fut bien étudié qu'en 1824, époque où l'on fut effrayé de ses ravages. Nous ignorons quand il apparut en Touraine; mais il y a vingt ans environ que nous l'avons vu sur des pommiers de reinette. Actuellement cet insecte est fort commun dans nos campagnes: on le voit particulièrement sur quelques conifères, sur les pommiers cultivés; les pommiers sauvages même en sont souvent infestés.

Depuis longtemps, les pucerons ont attiré l'attention des observateurs; ces insectes sont d'une abondance extrême dans nos pays du centre, où ils se développent avec une prodigieuse rapidité. Chaque espèce de végétal a, pour ainsi diré, son puceron, et souvent sur le même végétal on en observe plusieurs espèces, chacune s'attachant aux parties de la plante qui lui conviennent le mieux. Il paraît que notre climat est

le plus favorable à ce genre de parasites; car on a remarqué qu'ils sont moins communs dans les régions du nord et du midi de l'Europe que dans sa partie centrale.

Ce qui a surtout excité au plus haut degré l'intérêt des naturalistes à l'égard des pucerons, c'est leur singulier mode de génération. Buffon, pour l'expliquer, prétendait que ces animaux étaient également pères et mères, androgynes, hermaphrodites, qu'ils engendraient sans copulation. Mais depuis plus d'un siècle, on connaît (1) les moyens que la nature emploie pour les faire pulluler avec une étonnante, rapidité. Ces singuliers animaux ne sont ovipares qu'à leur dernière portée d'automne; toutes les autres produisent des femelles vivipares venues de l'œuf fécondé. Du printemps à l'automne, ces femelles donnent une série de générations de femelles, qui ont la propriété de se reproduire sans la fécondation du måle, et cela pendant neuf à dix générations successives. Les pucerons vivent peu de temps après la portée d'automne; c'est du reste une loi assez générale que les insectes périssent après avoir assuré l'existence de leur postérité.

D'après des observations attentives, M. Morren a calculé qu'une seule femelle fécondée donnait, dès sa première génération, quatre-vingt-dix femelles, et cellesci devenaient la souche, en dix générations successives et annuelles, d'un quintillion d'individus, nombre qui surpasse tellement l'imagination qu'on peut à peine y

(4) Traité d'insectologie, ou observations sur les pucerons, par Charles Bonnet, avec gravures (Paris, 1745.)

ajouter foi. Le même observateur a vu, en septembre 1834, la lumière du jour obscurcie lors de l'émigration d'une nuée de pucerons du pêcher.

Je ne pousserai pas plus loin les détails entomologiques; on les lira avec plus d'intérêt dans les ouvrages spéciaux.

H.

Le but principal de mes recherches ce sont les détails pratiques dont je vais entretenir la Société et qui 'intéresseront davantage les agriculteurs et les horticnlteurs praticiens.

Comme vous le savez, Messieurs, le puceron lanigère compte au nombre des insectes que le cultivateur a le plus à redouter. Il s'attaque particulièrement aux pommiers, et, à plusieurs reprises, il a été, pour la Normandie, le Maine, le Perche, la Bretagne et la partie nord de notre département, un fléau dont les ravages ont été longs à réparer.

Je ne sache pas cependant qu'on ait eu beaucoup à se plaindre en Touraine des dégâts du puceron sur les conifères, et particulièrement sur le mélèze : l'année 1854 est peut-être celle dans laquelle il s'est fait le plus sentir, et encore n'a-t-il exercé que peu de mal.

Le mélèze croît naturellement sur les montagnes des Alpes, où il est depuis longtemps connu et cultivé avec succès. Dans notre pays, où il demande une exposition au nord et bien aérée, il n'est encore considéré que comme arbre d'agrément et sert surtout pour

orner les jardins anglais, les grands parcs; cependant nous avons vu avec plaisir qu'on commence à le placer sur la lisière des bois du côté du nord et à le cultiver comme arbre de rapport.

Les accidents causés sur le mélèze par le puceron lanigère ne sont pas tellement à craindre qu'ils soient un obstacle à la multiplication de ce bel arbre et à l'extension de sa culture; nos pins, nos sapins sont depuis longtemps attaqués par cet insecte sans que, pour cela, ils aient eu trop à en souffrir; ce sont à nos yeux des garanties d'avenir pour nos sylviculteurs.

Voici quelques faits que nous avons observés dans notre pays durant l'année 1854. Les fréquentes variations de l'atmosphère ont été très-favorables au développement et à la propagation des insectes parasites. Le printemps et l'été ont eu presque constamment des journées d'une chaleur excessive; quelques-unes, seulement, légèrement humides, n'ont fait qu'humecter les feuilles des plantes et la superficie du sol. Aussi le sol profond a-t-il été, pendant dix-huit mois, extrêmement sec et cette sécheresse qui a été une cause de langueur, de ralentissement dans la végétation des plantes à racines profondes, a favorisé le développement des insectes nuisibles à beaucoup de végéteaux, et, par suite, occasionné aux agriculteurs un préjudice très-regrettable.

Dans les années ordinaires, lorsque la végétation est rapide, luxuriante, ces insectes produisent peu d'effet, souvent même quelque bien, en diminuant l'activité de la sève.

Mais quand on voit la végétation languir, les plantes se faner, se racornir, les feuilles se recoquiller, se déformer ou donner naissance à des tubercules ou à des vessies, comme on la remarqué sur quelques arbres, c'est que les insectes se sont multipliés à outrance. Alors ils font périr les jeunes greffes des pommiers et quelquefois même les grands arbres surtout si le mal continue deux ou trois années de suite. Le plus ordinairement leurs ravages ne produisent qu'une diminution dans la grosseur des tiges.

Tout le monde a pu observer sur notre beau mail de Tours quelques ormeaux desséchés, laissant suinter du tronc une liqueur sucrée, que les guêpes, les, abeilles et les fourmis recherchaient avec avidité : cette liqueur était le produit de la succion d'une grande quantité de pucerons. En août et septembre la succion a été si active que ces arbres ont fait écouler au dehors presque tout leur suc, précisément au moment où ils avaient le plus grand besoin de le conserver, puisque le sol leur en fournit peu à cette époque; aussi ont-ils perdu prématurément toutes leurs feuilles, tandis que ceux des arbres voisins qui n'étaient pas attaqués par les pucerons ont conservé les leurs jusqu'à l'époque ordinaire.

Nous devons noter encore ici que souvent c'est à tort qu'on impute aux fourmis le mauvais état des arbres, ainsi qu'on l'a dit pour les ormeaux de notre mail. Lorsque les fourmis voyagent sur les arbres, c'est uniquement pour sucer la liqueur que les pucerons ont fait sortir par les plaies qu'ils ont faites à l'écorce.

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