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Eh bien! Messieurs, cette situation d'infériorité fàcheuse pourrait presque instantanément cesser au grand avantage de l'Etat, de la propriété et de l'agriculture; il suffirait pour cela de reconnaître à la propriété foncière, source permanente de la richesse nationale, la faculté, le droit dont jouissent déjà les valeurs mobilières, de se présenter sous la forme la mieux appropriée aux besoins du temps présent de se faire mobile et transmissible au lieu d'être immobile et entravée ; d'être, enfin, à des conditions et sous des formes qui garantissent tous les droits légitimes, le seul équivalent général et incontesté de la monnaie d'argent, agissant comme régulateur auxiliaire du taux de l'intérêt par sa faculté d'extension créatrice, subordonnée aux besoins et non au cours des autres valeurs.

Ges considérations fondamentales, Messieurs, existent en principe ou sont exposées et plus ou moins développées dans le livre dont j'ai à vous présenter l'analyse. Elles en forment la partie capitale, et les raisons à l'appui du système entier me semblent considérables.

Toutefois, je ferai précéder mon examen d'une observation générale. L'auteur, en réclamant le libre monétisation ou mobilisation de la propriété comme un bienfait, semble surtout en appliquer l'effet immédiat aux propriétaires gênés et grevés d'inscriptions; mais ce serait une grave erreur de croire que son système ne peut s'appliquer qu'aux propriétaires dans la gêne; car limiter à une seule catégorie d'individus les effets de cette grande transformation de la propriété territoriale serait s'exposer à amoindrir considérablement les consé.

quences bienfaisantes sur l'amélioration de la culture

du sol.

Analysons maintenant l'œuvre de M. Boutard. L'auteur nous dit sommairement ceci :

« Mon système, c'est la mobilisation, la monétisation « et la circulation immédiate de la propriété, dont on fait surgir un capital représenté par des billets dits: Billets-hypothèque-à-rente, ayant un cours forcé, ⚫portant avec eux un intérêt de 1 c. par jour pour 100 fr., soit 3 fr. 65 c. p. 010 par an. Ces billets sont garantis par un titre hypothécaire de toute sûreté, fourni volontairement par chaque emprunteur au nom des porteurs, et qui reste la garantie spéciale des dits porteurs. >

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Ces quelques lignes résument tout le livre. Nous allons en examiner successivement chaque proposition.

Le premier moyen de libération, le plus sage dans tous les cas pour le propriétaire grevé, c'est la vente de sa propriété. Si, cependant, le propriétaire se décide à l'emprunt, l'auteur pense qu'il doit être autorisé par l'État à mettre en circulation contre un titre hypothécaire, et moyennant un droit d'émission, jusqu'à concurrence du tiers ou de la moitié de la valeur estimative de ses biens; mais il se défend vivement de toute assimilation entre ses billets-hypothèque-à-rente et un papier-monnaie. Il nous répète, à plusieurs reprises, que le droit de création est le droit individuel attribué à chaque citoyen propriétaire; que ce droit s'exerce volontairement par chacun des intéressés et sans intervention ni pression de l'État, qui n'apparaît qu'à titre de

surveillance. La somme émise en circulation serait,

«

d'après M. Boutard, divisée en billets-hypothèque<à-rente, et ces billets auraient cours forcé.

J'avoue franchement que cette mesure du cours forcé attribué aux billets hypothèque-à-rente a pendant longtemps éveillé mes scrupules. Je me suis demandé si elle était bien juste, si elle ne pouvait, dans un moment donné, présenter des embarras sérieux? Mais, en rapprochant cette disposition des prescriptions semblables auxquelles nous sommes soumis tous les jours, je me suis promptement convaincu que mes scrupules n'étaient pas fondés; en effet, peut-il y avoir injustice pour quelqu'un à mettre en circulation une valeur garantie pour deux ou trois fois sa valeur en immeubles? Est-ce que nous ne sommes pas tous obligés à recevoir, au cours légal, la monnaie d'or qui représente partout un peu moins que sa valeur circulante et qui, selon toute apparence, subira prochainement une dépréciation sensible, dépréciation qui pourrait devenir telle que les conséquences en fussent désastreuses, si un nouvel équivalent de l'unité monétaire qui est l'argent, équivalent fondé sur une valeur double et presque invariable, le sol, ne venait permettre à temps la démonétisation de l'or.

Autre exemple: Est-ce que, il y a quelques années à peine, nous n'avons pas été obligés d'accepter les billets de la Banque de France comme argent comptant? Or, si la mise en circulation obligée d'une valeur garantie seulement par le tiers de son chiffre en espèces a été sans inconvénient, quel mal youlez-vous attribuer à la

mise en circulation d'une valeur garantie par deux et trois fois son chiffre d'émission?

Les mots cours forcé dont se sert l'auteur seraient donc bien plus convenablement remplacés par ceux de cours légal, puisqu'il s'agit d'un signe en papier représentant deux ou trois fois son équivalent en monnaie d'argent, et non de la valeur fictive et sans base, connue jusqu'ici sous le nom de papier-monnaie. Les gouvernements, en reconnaissant à ce papier le caractère d'équivalent à la monnaie d'argent jouissant du cours légal, ne feraient pas une chose moins juste ou moins honnête qu'en mettant leur empreinte sur la monnaie d'argent qu'ils fabriquent tous les jours, puisque cette monnaie-papier, sous sa forme nouvelle, offrirait toute garantie de sa valeur réelle en argent.

Il n'y a donc pas à hésiter à affirmer ceci : Les billetshypothèque-à-rente sont l'équivalent incontestable de la monnaie réelle en argent, le seul que l'on puisse appeler invariable, grâce à sa garantie de double valeur ; et à ce titre ils doivent être dotés du cours légal. Sans cette assimilation, rien n'est possible, et mieux vaudrait renoncer à tous les avantages résultant de la mobilisation du sol, si l'on devait contester les droits au signe représentatif de sa valeur.

Quels sont donc les grands avantages résultant de la faculté nouvelle donnée à la propriété ? J'en vois deux principaux, Messieurs: 1° C'est de fixer d'une manière presque invariable entre 3 et 5 p. 010, le taux de l'intérêt; 2o de former une réserve inépuisable pour le crédit public et privé en temps de crise quelconque. En

effet, M. Boutard fixe l'intérêt de ses billets à rente à 3 213 ou 1 centime par jour pour cent francs. Ajoutez à cela pour droits d'émission à l'État, frais et honoraires variables, de 0=85° à 1=35° 010. Vous arrivez ainsi au taux de 4 112 à 5 p. 010 au maximum. Si la prospé rité publique est grande, si le numéraire est abondant et le taux d'intérêt modéré, bien certainement on usera peu de la faculté de création des billets-hypothèque-àrente; l'institution se ralentira d'elle-même. Pourquoi créer des valeurs nouvelles quand l'argent numéraire est suffisant et à un taux convenable? Mais vienne une crise commerciale ou autre, l'argent est insuffisant ou, faute de confiance, se retire. Oh! c'est alors que le fonctionnement des billets-hypothèque-à-rente rendra d'immenses services, non-seulement en venant en aide aux propriétaires obérés; mais protégée par le cours légal dont nous voulons doter son signe monétaire, la propriété non-obérée, chaque jour mieux convaincue de la solidarité de ses intérêts avec ceux de la richesse mobilière et commerciale, pourra dans certains moments se prêter à la création de billets-hypothèque-à-rente lorsque la différence entre leur taux d'émission et le taux réel de l'intérêt commercial lui assurera un bénéfice suffisant.

La conséquence logique et certaine de cette apparition d'une valeur incontestée ayant cours légal, venant, moyennant prime pour État, se substituer aux simples valeurs mobilières et commerciales sur le marché, arrètera ou même préviendra les catastrophes qu'a subies à plusieurs reprises la fortune publique mobilière. Tels

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