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auraient dû se développer et se mouvoir dans de tout autres conditions que les glaciers actuels. Il semble que l'on éviterait ces difficultés en supposant, comme le conçoit M. Rozet, que les niveaux relatifs des diverses parties de la Scandinavie aient été autrefois fort différents de ce qu'ils sont aujourd'hui; mais comme les surfaces sur lesquelles se sont mus les agents erratiques sont alternativement inclinées dans les deux sens, de la même manière que les côtés opposés de toits successifs, dont les arètes sont représentées par les lignes de partage des eaux; comme ces surfaces offrent sur de grandes étendues de terrain des pentes, tantôt ascensionnelles, tantôt descensionnelles, il faudrait supposer que les phénomènes qui ont produit l'accidentation générale de ces contrées, ou la disposition des lignes de partage des eaux, sont postérieurs à la période diluvienne, ce qui est tout-à-fait inadmissible.

D'ailleurs, si l'on considère l'iminense étendue des contrées où l'on observe des stries et des sillons disposés dans le même sens et venant des mêmes points, on reconnaît qu'il faudrait supposer d'énormes changements de niveau pour y faire naître des plans inclinés, tels que ceux sur lesquels se meuvent aujourd'hui les glaciers: ainsi, par exemple, pour que le sol de la Finlande eût offert aux agents erratiques qui l'ont traversée sur 500 kilomètres de longueur, de Gamle-Carleby jusqu'à l'extrémité du golfe de Finlande, un plan incliné de 1o seulement, il aurait fallu que le bord oriental de la dépression du golfe de Botnie, sur lequel on voit des stries s'élever du N.-N.-O. vers le S.-S.-E., fût plus élevé de 8,726 mètres que la côte de Viborg pour un plan incliné de 1/2o seulement, la différence de niveau aurait dû être de 4,363 mètres, bien peu de géologues admettront qu'une déformation aussi énorme se soit opérée depuis la dernière période géologique. D'ailleurs la présence des coquilles marines que l'on trouve à la partie inférieure des åsars de la contrée d'Upsal démontre qu'à cette époque le golfe de Botnie était un fond de mer comme aujourd'hui; et l'ensemble des faits généraux que l'on observe en Scandinavie porte à croire que la partie centrale de cette contrée a éprouvé depuis la période erratique une élévation de niveau. plutôt qu'un affaissement.

Difficultés relatives à la traversée des golfes de Botnie et de Finlande ainsi que de la Baltique.

Que les agents erratiques, qui ont strié la surface de la Finlande, proviennent du golfe de Botnie ou de la partie de la Suède qui est

située entre le 64° et le 69° degré de latitude, il y a une égale difficulté pour la théorie glaciaire, dans le premier cas à considérer le golfe de Botnie comme ayant été le berceau des glaciers, dans le second cas à leur faire traverser cette profonde dépression pour remonter sur les collines de la Finlande. La difficulté est encore compliquée par ce fait qu'une partie des masses érosives a dû franchir le golfe de Finlande et la Baltique, vu que sur les îles qui s'y trouvent, ainsi que dans le nord de la Russie et de l'Allemagne on a observé des érosions semblables à celles de la Scandinavie. On voit que la théorie glaciaire offre des difficultés très graves et incontestables, quand on veut l'appliquer au nord de l'Europe; et les glacialistes doivent penser que si beaucoup de géologues la repoussent, ce n'est pas par esprit de système, mais parce qu'ils y trouvent des obstacles fort difficiles à lever. Je reconnais d'ailleurs que les glaciers peuvent user, polir et strier les rochers, transporter de gros fragments loin de leur gisement; mais la nature a bien des manières de produire les mêmes effets: la minéralogie, la géologie et la chimie nous en offrent de nombreux exemples. D'ailleurs je ne puis comprendre qu'un changement de climat, tel que le comporte l'état de nos connaissances en géologie et en physique terrestre, puisse donner lieu à un développement de glaciers aussi gigantesque tant en puissance qu'en superficie, et puisse déterminer leur mouvement dans des conditions tout autres que celles où a lieu le mouvement des glaciers actuels.

Coup d'ail sur les théories proposées pour expliquer les phenomenes erratiques du nord de l'Europe.

Les faits que j'ai exposés montrent qu'il serait prématuré d'établir une théorie pour expliquer dans tous leurs détails les phénomènes erratiques du nord de l'Europe: ils sont beaucoup plus compliqués que je ne le pensais, lorsque je les étudiai, il y a sept ans, en Finlande, où ils se présentent avec des caractères beaucoup plus uniformes qu'en Suède et en Norvége; du reste, ils ont été jugés par la plupart des observateurs plus simples qu'ils ne le sont réellement. Vu la grande étendue des pays dont la surface a été érodée; vu leur inclinaison, qui est seulement de quelques minutes pour la Suède, et qui est même nulle pour la Finlande; vu l'absence de masses montagneuses offrant des conditions de structure, d'élévation et de position locale analogues à celles que présentent les Alpes; vu que les érosions de la Suède et de la Finlande n'offrent point une disposition divergente à partir des

plus hautes sommités, on ne peut appliquer aux phénomènes erratiques du Nord l'hypothèse d'une fusion instantanée de neiges et de glaces, que l'on a imaginée pour expliquer ceux des Alpes et des Pyrénées. Ce sont à peu près les mêmes objections qui ne permettent pas d'admettre la théorie des glacialistes, car les circonstances dans lesquelles la théorie d'une fusion de neiges et de glaces est applicable sont aussi celles qui facilitent le développement des glaciers. La theorie qui paraît s'appliquer le mieux au nord de l'Europe est celle qui suppose une émersion brusque de la Scandinavie, plongée antérieurement sous les eaux de la mer; pour rendre compte de la disposition des divers systèmes de sulcatures, il faut supposer qu'il y a eu, non pas un soulèvement unique en un point central, mais plusieurs soulèvements locaux dont les centres et les axes correspondent aux points d'où sont partis les divers systèmes d'érosion; ainsi d'énormes masses d'eau ont été mises en mouvement et poussées dans des sens différents. Beaucoup de ces soulèvements ont dû être simultanés, mais probablement pas tous; il est vraisemblable qu'ils ont eu lieu pendant une certaine période de temps. Les systèmes de sulcatures affectent en général une disposition rayonnante, et, comme nous l'avons vu, il en est que l'on peut réunir ensemble, ou considérer comme les branches d'un système général produit par le soulèvement d'une même région Cependant il ne faut point attacher à cette manière de voir une importance fondamentale; elle me paraît convenir mieux que les autres à l'ensemble des faits counus, mais elle donne lieu aussi à quelques difficultés; ainsi on n'a pas de preuve positive qu'à l'époque antediluvienne la Suède et la Norvége aient été plongées dans une grande partie de leur étendue sous les eaux de la mer. Comme le phénomène paraît être complexe et qu'il peut avoir été produit par des causes de natures diverses, je pense qu'au lieu de chercher à en donner immédiatement une théorie définitive, il faut attendre que les effets erratiques aient été étudiés sur toute la surface du nord de l'Europe, et que toutes les parties des régions scandinaves aient été minutieusement explorées. Si une étude semblable des directions des stries était faite dans le nord du continent américain, peut-être éclaircirait-elle les questions épineuses qui, depuis plusieurs années, ont si vivement excité l'attention des géologues.

COUP D'OEIL SUR LES PHÉNOMÈNES ERRATIQUES DES ALPES ET DES PYRÉNÉES, COMPARÉS A CEUX du nord de l'EUROPE.

Je vais ajouter quelques détails succincts pour indiquer les caractères d'analogie et les différences qui existent entre les phénomènes erratiques du nord de l'Europe et ceux des Alpes et des Pyrénées, que j'ai étudiés en 1840 et 1841. J'ai fait connaître en 1841 (1) l'existence des érosions et des blocs erratiques dans les vallées des Pyrénées, et dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences, en avril 1843 (2), et inséré dans les Voyages en Scandinavie (Géographie physique, tome Ier, 2e partie), j'ai exposé les principaux faits que j'avais observés dans les Alpes et les Pyrénées. Depuis l'époque où ce mémoire a été présenté à l'Académie, M. de Collegno (3) et M. Dupont (4) ont publié des observations très intéressantes sur les phénomènes erratiques des Pyrénées.

Des érosions dans les Alpes et dans les Pyrénées.

Les érosions tracées à la surface des rochers en Scandinavie, dans les Alpes et les Pyrénées présentent à peu près les mêmes formes; on y voit des surfaces mamelonnées, moutonnées et polies; des sillons cylindroïdes de quelques pouces de largeur, accompagnés de stries, ayant seulement quelques lignes de diamètre et quelquefois si fines qu'elles ne s'aperçoivent qu'à l'aide du reflet de la lumière. Les sulcatures des Alpes et des Pyrénées offrent souvent, comme en Scandinavie, une allure un peu ondulée, et quelquefois d'un même centre on voit partir plusieurs sillons et stries qui vont en divergeant ; j'en ai représenté (fig. 2) un exemple dessiné dans la vallée de l'Aar, entre le Grimsel et la Handeck. Dans la vallée de la Tète-Noire, qui conduit à Valorsine, on voit sur un monticule de poudingue un exemple analogue (fig. 10): d'un sillon large d'environ 20 centimètres on voit partir une multitude de stries divergentes; ce sillon forme une entaille cylin

(1) Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 no

vembre 1844.

(2) Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 avril

1843.

(3) Mémoire sur les terrains diluviens des Pyrénées.

des sciences géologiques, 1843.

(4) Annales des mines, 1844.

Annales

drique creusée sur une paroi de rocher très inclinée ; il a en (A) une profondeur de 10 à 12 centimètres.

Quelquefois les stries semblent aller en montant vers la partie inférieure des vallées, comme on le voit (fig. 7) dans la vallée de l'Aar entre le Grimsel et la Handeck; on remarque cette circonstance lorsque la vallée se resserre beaucoup; alors les masses dont le frottement a strié les rochers ont dû suivre une ligne diagonale résultant de leur mouvement général le long de la vallée et du mouvement ascensionnel déterminé par le resserrement des parois. On a remarqué que dans les Alpes les érosions sont en général mieux marquées sur les cols et dans les parties voisines (les cols du Saint-Gothard, du Grimsel, du Saint-Bernard), que dans les parties inférieures des vallées. Ce fait est peut-être indépendant de la cause qui a tracé les sillons et les stries; en effet, du côté de la Suisse, les contreforts des Alpes et les rochers qui forment l'embouchure des grandes vallées, sont composés de roches calcaires ou de roches tendres, telle que la mollasse; tandis que l'axe de la chaîne centrale est formé, en grande partie, de roches dures, granite, gneiss, serpentine et autres roches cristallines, qui résistent mieux aux actions atmosphériques, et j'ai remarqué dans plusieurs vallées, ainsi dans celle de la Reuss, que dès l'instant où on entre dans la zone des roches cristallines, on voit apparaître les sillons et les stries fort bien marqués ; certaines vallées en offrent jusqu'à leur extrémité; ainsi dans celle d'Aoste on en voit jusqu'à l'entrée de la plaine du Piémont, près d'Ivrée. J'ajouterai que dans le fond de plusieurs vallées des Vosges, qui sont formées de granite, telles que celle de la Moselle et de plusicurs de ses affluents, les sulcatures m'ont paru être plus distinctes que sur les parties élevées. Dans les Pyrénées, je n'en ai observé sur aucun col élevé ; cela tient peut-être à ce que la plupart de ces cols sont beaucoup plus étroits que ceux des Alpes et se réduisent souvent à des arêtes aiguës. On voit, d'après cela, qu'il ne faut pas attacher une importance très grande à ce fait que les sulcatures sont plus marquées dans les hautes régions des Alpes, que dans les régions basses.

Élévation maximum des traces du phenomene erratique dans les Alpes.

Néanmoins dans les Alpes, les traces d'usure et de polissage ne s'étendent pas jusqu'au sommet des montagnes; ainsi on ne peut s'empêcher de remarquer le contraste frappant qu'offrent les ro

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