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erratiques d'une même espèce autour de leur gisement originaire est un fait général, qui n'a pas lieu sculement en Norvége, en Suède et en Finlande, mais aussi au midi de la Baltique; ainsi dans le voisinage des points où affleurent des roches secondaires, du calcaire crétacé, par exemple, les fragments arrachés à ce terrain prédominent, mais seulement dans un cercle circonscrit autour de ces affleurements; car à une certaine distance, là où le roc solide est recouvert par une grande épaisseur du dépôt de transport, ce sont les blocs et cailloux formés de granite, c'est-à-dire de la roche la plus répandue en Suède et en Finlande, qui redeviennent prédominants.

Causes de la prédominance du granite dans les dépôts erratiques du nord de l'Europe, des Alpes et des Pyrénées.

Lors de mes différents voyages en Russie, en Allemagne, en Danemarck, en Suède, Norvége et Finlande, j'ai observé que les blocs de granite sont beaucoup plus abondants et plus gros que ceux de gneiss et des autres roches stratifiées, et que leur proportion est beaucoup plus grande qu'elle ne devrait être, même eu égard à la distribution relative du granite et des roches schisteuses à la surface de la Scandinavie. Une observation analogue peut être faite pour le terrain erratique des Alpes et des Pyrénées; ainsi l'on trouve, sur le versant méridional du Jura, beaucoup plus de blocs de granite que de roches stratifiées ; et il en est de même dans les vallées pyrénéennes. Cela me paraît provenir de la tendance du granite à se diviser suivant des surfaces conchoïdales, tendance déjà signalée par M. de Buch; en outre, sous l'influence des causes atmosphériques, les roches pyrogènes ou massives se divisent plus facilement en fragments volumineux que les roches schisteuses; et, en vertu de leur plus grande dureté, ces fragments se conservent mieux dans le transport.

D'ailleurs, la démolition des roches qui a fourni une si énorme quantité de gros blocs livrés au transport, ne me paraît pas avoir eu lieu exclusivement pendant la période diluvienne, mais aussi bien des siècles auparavant, et avoir été activée par la rigueur du climat qui est si favorable aux effets destructeurs de la congélation de l'eau infiltrée dans les fissures des roches.

La présence des blocs gigantesques à la surface du dépôt de transport de la Scandinavie, montre que c'est vers la fin de la période où il se formait que se sont rencontrées les conditions les plus favorables au transport de ces grands quartiers de rochers;

ils présentent souvent dans leur gisement des circonstances analogues à celles qui ont été remarquées en Suisse, comme le montre un gros bloc de granite que l'on voit à 800 mètres environ à l'O. des mines de Falun; il a 8 à 9 mètres de long sur 6 de large et å de hauteur; il est divisé en deux parties et paraît s'être brisé en tombant.

Le transport des blocs erratiques du Nord a été effectué par des glaces flottantes.

J'ai démontré, dans un précédent mémoire (1), que les blocs erratiques répandus dans le nord de l'Allemagne et le Danemarck, se trouvant associés à des dépôts coquilliers, n'ont pu être transportés par des courants violents, qui auraient brisé les coquilles. mais par des glaces flottantes, et j'ai cité, à l'appui de cette manière de voir, leur disposition en amas, en couronnes ou demianneaux sur les flancs des collines, et en général, leur abondance beaucoup plus grande sur les élévations de terrain que dans les dépressions. Cela résulte de ce que les radeaux de glace qui les transportaient ont été arrêtés sur les collines qui formaient alors des îles ou des bas-fonds, et en déposant leur chargement, elles y ont laissé une grande quantité de blocs, tandis qu'ailleurs ils sont disséminés isolément. Le même caractère général se manifeste en Suède; c'est à la surface des åsars, qui forment des exhaussements sur les plaines diluviennes, que les blocs erratiques forment des groupes; ils sont habituellement plus nombreux et en amas plus considérables sur les élévations de terrain que dans les parties basses.

Les glaces flottantes ne proviennent pas de glaciers situés sur les régions de l'ancienne mer scandinave.

MM. Murchison et de Verneuil regardent aussi le transport des blocs erratiques comme s'étant effectué à l'aide de radeaux de glaces flottantes; mais dans l'explication de ce phénomène, ils ont attribué aux glaces une autre origine que celle indiquée dans mon précédent mémoire : ils supposent que des glaciers bordaient l'ancienne mer diluvienne, dont les rivages se trouvaient au pied de la chaîne de montagnes qui sépare la Suède de la Norvége et de la Laponie ; des masses de glace, détachées de ces glaciers, auront

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emporté avec elles les blocs qui se trouvaient à leur surface, et auront déposé leur chargement à de très grandes distances. Mais cette bande montagneuse, d'où auraient été détachés les blocs, est composée principalement de roches schisteuses, et le granite y est en petite quantité, tandis que la plus grande partie des blocs transportés vers le Midi est formée de granite : la nature et la composition minéralogique des matériaux déposés au sud de la Baltique dans les parties méridionales de la Suède, montrent qu'ils proviennent des collines basses et mamelonnées de la Suède et de la Finlande plutôt que des hautes régions. Les blocs ont été saisis sur presque toute la surface des contrées soumises aux actions rratiques, même dans les régions situées au midi de la Baltique, témoins les blocs de calcaire jurassique de la Pologne et ceux de calcaire à bélemnites du nord de l'Allemagne; mais ces roches étant beaucoup moins dures et moins tenaces que les roches granitiques de la Scandinavie, les blocs qui en proviennent sont resserrés dans des zones circonscrites autour de leur gisement originaire, et n'ont pas été transportés à d'aussi grandes distances. Puisque les blocs erratiques proviennent principalement de l'intérieur des contrées scandinaves et non de la bande montagneuse située entre la Norvége et la Suède, on ne peut admettre que la glace qui les a transportés ait été détachée de glaciers situés entre les montagnes sur les rivages extérieurs du bassin diluvien; une semblable origine pourrait être vraie pour quelques blocs provenant des régions élevées; mais ce n'est pas le cas général. Il y a eu dans ce phénomène des circonstances locales d'une certaine complexité; mais l'explication qui me paraît la plus simple et qui rend le mieux raison de l'ensemble des faits, est celle que j'ai développée dans le mémoire déjà cité; elle consiste à supposer que pendant les hivers de la période diluvienne, plus froids qu'ils ne le sont aujourd'hui, des glaces d'une assez grande épaisseur se sont formées sur des côtes basses et ont emprisonné les blocs qui s'y trouvaient, et ensuite ayant été mises à flot lors des débâcles du printemps, elles les ont transportées au loin. Ce phénomène qui se produit encore aujourd'hui, sur une petite échelle, sur les côtes de la Baltique, sur les bords des fleuves et des lacs du nord de l'Europe, a dû avoir lieu pendant toute la série d'années où s'est faite l'émersion graduelle des contrées scandinaves, émersion par suite de laquelle les niveaux relatifs des roches et de la surface des eaux ont varié d'une manière successive.

Il est plus difficile d'expliquer le transport des blocs erratiques que l'on rencontre fréquemment sur le haut des sommités très éle

vées, sur Åreskuttan, par exemple, à une altitude de 1,484 mètres ; mais ces blocs sont, en général, beaucoup moins gros que ceux des contrées basses; leur volume dépasse rarement 2 mètres cubes, leurs angles sont aussi moins aigus; ils sont analogues à ceux que l'on trouve à l'intérieur des dépôts des débris entassés confusément sur le penchant des collines; leur transport se conçoit plus aiséinent, sans avoir besoin de recourir à des glaces flottantes, que celui de blocs ayant un volume de plus de 100 mètres cubes et ne présentant aucune trace de frottement.

Dépôts formés dans les ravins sur les flancs des hautes montagnes en Suède et en Norvége.

J'ai encore à signaler une manière d'être sous laquelle se présentent quelquefois les dépôts de transport de la Scandinavie, mais seulement dans les régions montagneuses de la Suède et de la Norvége, et cette manière d'être est la seule qui me paraisse offrir quelque analogie avec les moraines des glaciers; ce sont les dépôts occupant le fond des ravins ou de vallons étroits, fortement inclinés, peu étendus en longueur et aboutissant à une crête de montagne ou à un plateau élevé (fig. 8). On y voit une accumulation confuse de débris de divers grosseurs, qui diffère des åsars diluviens, non seulement par la forme, mais aussi en ce qu'il s'y trouve généralement moins de sable et de menus détritus, et en ce que les fragments, bien qu'un peu usés par frottement, ne sont pas arrondis comme dans la plupart des åsars, et au lieu de provenir de lieux éloignés, ils ont été détachés du massif montaneux sur le penchant duquel ils se trouvent; les torrents ont habituellement creusé leur lit au milieu de ces dépôts, et y ont fait des coupes sur lesquelles on peut en étudier la composition. On en voit beaucoup d'exemples dans les ravins ou petits vallons qui descendent du Dovre, du Langfield, etc., et débouchent dans les vallées principales; sur le penchant d'Åreskuttan et des montagnes qui séparent la Suède de la Norvége. On voit des accumulations de débris du même genre dans les ravins ou découpures que présente le flanc des montagnes dans les Alpes et les Pyrénées.

Remarques sur l'origine de ces dépôts.

Les partisans de l'école glacialiste considèrent ces dépôts comme d'anciennes moraines; cependant leur origine est problématique, et

peut se rattacher à des causes diverses: ainsi ils peuvent avoir été formés par des courants boueux ou d'énormes avalanches de débris provenant d'une fonte subite de neiges et de glaces, ou bien ils peuvent être le résultat d'une accumulation de détritus entraînés de dessus la pente des rochers à la fonte des neiges, qui a lieu chaque printemps; c'est surtout dans le nord de l'Europe que la surface des montagnes est couverte de débris, et souvent il est presque impossible de voir la roche en place. Au-dessous des grandes plaques isolées de névé, qui sont couchées sur le flanc des hautes sommités, dans les crevasses ou les ravins, et qui forment comme des glaciers éphémères, j'ai remarqué des amas souvent fort considérables de gros et petits fragments, de menus détritus, constamment imprégnés d'eau par la fonte des névés, et formant une masse boueuse qui glisse le long de la pente du terrain, et coule sous les pieds lorsqu'on se hasarde à marcher dessus. Il en résulte des dépôts qui sont égalisés par les eaux, et qui ressemblent à ceux que l'on trouve aujourd'hui dans les ravins, à un niveau beaucoup plus bas, à 500 mètres seulement au-dessus de la mer. Quelle que soit l'origine de ces derniers, il faut distinguer les actions locales qui les ont produites des actions générales qui ont formé les dépôts des grandes vallées ou des plaines, et qui ont produit de profondes érosions sur le flanc des montagnes. Je n'ai point vu dans ces ravins de stries ni de sillons disposés dans le sens de leur inclinaison; mais, sur les rochers qui les bordent, on voit très souvent des stries peu éloignées de l'horizontalité, disposées parallèlement à l'axe des montagnes, c'est-à-dire dans un sens à peu près transversal à ces ravins.

Distinction des actions locales et des actions générales facile à Åreskuttan.

Sur le massif d'Åreskuttan, qui est formé de micaschiste, la distinction est facile à faire; dans le ravin le long duquel descend le torrent qui fait mouvoir les soufflets de l'usine à cuivre d'Huså, est un dépôt formé de gros fragments non arrondis et de menus détritus de micaschiste détachés de cette montagne, et descendus de la crête vers le lac Kalln; mais, sur le versant septentrional de cette montagne, on voit en beaucoup d'endroits une petite couche de sable, de graviers et de cailloux bien arrondis, les uns de micaschiste et de gneiss, les autres de granite, et il s'y trouve aussi des blocs erratiques de granite. Quant aux stries que j'ai vues sur cette montagne et à son pied, elles sont toutes disposées à peu près paSoc. géol., 2 série, tome IV.

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