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réunion à Avallon, p. 705), M. Royer prétend que les géologues du Jura ont synchronisé à tort plusieurs séries d'assises qui se trouvent dans ces montagnes avec les groupes portlandien et kimméridien de la Haute-Marne et des autres parties de la France; et que MM. Thirria et Thurmann ont pris pour portlandien et kimméridien la base des marnes kimméridiennes et le groupe à Astartes du bassin de Paris, ainsi que quelques assises du corallien. Voyons si les opinions, ou plutôt si les conjectures probables de M. Royer (car ce géologue ne les donne qu'avec beaucoup de réserve), sont en rapport avec les faits observés, et si réellement notre Jura est déshérité des groupes portlandien et kimméridien.

M. Thirria, dans ses deux mémoires sur le terrain jurassique de la Haute-Saône, n'établit pas, à la vérité, une distinction bien tranchée entre les groupes kimméridien et portlandien, qu'il réunit sous le nom de calcaires et marnes à Exogyres, quoique l'on trouve dans les coupes que ce savant géologue donne dans sa Statistique géologique de la Haute-Saône les assises constituantes du portlandien et du kimméridien, et qu'il n'y ait qu'à les grouper pour opérer les distinctions entre les deux divisions. Si M. Thirria n'a pas opéré ce groupement, cela tient à l'époque où ce géologue étudiait la Haute-Saône, ainsi qu'aux difficultés que présentent les dislocations jurassiques; car le véritable portlandien ne se rencontre que par lambeau dans le fond de quelques vallées et sur de petits monticules, où il n'a pas été entièrement enlevé par les grandes dénudations qui ont eu lieu dans le Jura; et d'un autre côté, il ne faut pas oublier que c'est à M. Thirria que l'on doit les premières bonnes descriptions du terrain jurassique sur le continent, et que l'on connaissait alors un très petit nombre de fossiles du sol français. Mais, avec les connaissances paléontologiques et géognostiques actuelles, on ne peut pas visiter les différents points décrits par M. Thirria sans y reconnaître immédiatement les deux groupes kimméridien et portlandien. Ainsi, dans les environs de Gray, cités par M. Royer, on trouve ces deux groupes très bien développés et très distincts, comme je le montrerai plus loin.

Dans ses Essais sur les soulèvements jurassiques du Porrentruy, M. Thurmann donne une coupe descriptive du terrain jurassique à partir de Porrentruy jusqu'au cirque liaso-keupérien de Cornol dans le Mont-Terrible. Cette coupe, dont l'exactitude dans les détails ne peut être comparée qu'aux ingénieuses théories du savant géologue du Jura bernois, ne renferme pas le véritable groupe portlandien, qui ne se trouve pas au Banné, point de départ

de la coupe. M. Thurmann désigne, à la vérité, le calcaire qui forme la montagne du Banné sous le nom de calcaire portlandien ; erreur qui provient de ce que M. Thurmann n'avait pas encore, à cette époque, reconnu le véritable portlandien dans les environs de Porrentruy, et de ce qu'il avait cru, par suite de la ressemblance de plusieurs fossiles des calcaires du Banné avec ceux décrits et cités par MM. Sowerby et Buckland dans l'île de Portland, pouvoir synchroniser ces calcaires avec le portland-stone. De sorte qu'il a désigné sous le nom de calcaire portlandien une série d'assises calcaires qui se trouvent au-dessus des marnes kimméridiennes et qui ne sont autres que le faciès calcaire du kimmeridge, clay, que j'ai désigné sous le nom de calcaire kimméridien (voir Bulletin de la Société géol., t. III, 2° série, p. 507). Avec les mémoires de M. Thurmann à la main, sans avoir même visité les lieux, il n'est guère possible de pouvoir classer les marnes et calcaires du Banné dans le groupe des Astartes, ou tout-à-fait à la partie inférieure du kimméridien, comme l'a fait M. Royer, qui du reste a visité Porrentruy lors de l'assemblée de la Société géologique de France dans cette ville, et qui alors a pu faire la comparaison. avec le kimméridien de Bourgogne et du Boulonnais, dont les fossiles sont presque tous les mêmes. D'ailleurs le groupe séquanien ou à Astartes se trouve très bien développé sur la montagne la Perche, située vis-à-vis du Banné au-dessus du village de Fontenois, et dans le bois du côté de Courchavon près du pont d'Able. Ainsi, il n'y a aucune équivoque sur le synchronisme des marnes et calcaires du Banné avec le groupe kimméridien. Quant au véritable groupe portlandien, M. Thurmann l'a reconnu depuis quelques années sur plusieurs points des environs de Porrentruy, notamment à Alle et au coin du bois près de Courtedoux, où j'ai eu le plaisir de l'étudier dernièrement avec ce savant géologue ; et si je n'en donne plus loin que quelques notes de description, c'est que M. Thurmann prépare en ce moment un travail très détaillé sur les groupes séquanien, kimméridien et portlandien des environs de Porrentruy, travail qui sera très prochainement adressé à la Société géologique,

Un autre géologue, non moins savant et aussi bon observateur que MM, Thurmann et Thirria, M. Gressly, dans son excellent mémoire sur le Jura soleurois, n'établit pas d'une manière bien tranchée les subdivisions de la partie supérieure de l'étage oolitique supérieur, qu'il comprend sous la dénomination de terrain porțiandien. Cependant M. Gressly avait très bien aperçu les différences notables qui existent entre la pétrographie et la paléontologie des

différentes assises qui composent cette partie supérieure du Jura; et il est certain que si ce savant géologue eût rencontré une coupe présentant la série bien complète et facile à suivre de l'étage oolitique supérieur, il aurait très bien distingué les groupes séquanien, kimméridien et portlandien, qu'il a réunis dans un même groupe, tout en établissant dans ce groupe des faciès tout-à-fait différents et qui ne sont autres que ces groupes, mais regardés comme étant des facies du portlandien. De sorte que M. Gressly n'a pas appliqué, dans ce cas, avec exactitude sa belle théorie des différents faciès d'un même groupe, et qu'une rectification est nécessaire pour cette partie de son beau mémoire,

Les recherches que j'ai pu faire dans les diverses parties des Monts-Jura m'ont conduit à regarder de la manière suivante les différents faciès du terrain portlandien, établis par M. Gressly. Le facies littoral(a) vaseux à Exogyres et à Pterocères (1) n'est autre que le groupe kimméridien comprenant les marnes et calcaires kimméridiens, dont le type se trouve dans les environs de Porrentruy, au Banné et à Haute-Cœuve. Quant à son faciès des marnes à Astartes de Bure près Porrentruy, qu'il regarde comme une transformation du faciès (a), ce n'est autre chose qu'un faciès vasomarneux tout-à-fait analogue au faciès (a), mais appartenant au groupe à Astartes ou séquanien. De plus, partout où l'on rencontre des Exogyra virgula avec association d'Acéphales, faciès qu'il comprend encore dans son faciès (a) ( voir page 133 du mémoire cité précédemment), on est dans les couches des marnes portlandiennes véritables; car l'Exogyra virgula ne se montre jamais dans le kimméridien des Monts-Jura. Le faciès corallien (b) n'est autre que le groupe séquanien avec bancs de coraux, dont le type se trouve dans les environs de Salins et à Roedersdorf dans le Haut-Rhin. M. Gressly avait remarqué, avec beaucoup de justesse, que ce faciès coralligène se trouvait en compagnie des Astartes (voir pages 139 et 140); de sorte qu'il ne lui a manqué qu'une coupe où la superposition fût certaine, pour qu'il distinguât les deux groupes séquanien et kimméridien dans les environs de Laufon. Le facies de charriage portlandien (c) paraît devoir se rapporter au même faciès, mais dans le groupe séquanien. Quant à ses faciès (d) et (e) à polypiers spongieux, eugéniacrines, et calcaire à tortues, pélagique et subpelagique, ils se rapportent,

(4) Voir Observations géologiques sur le Jura soleurois, pages 127 et suivantes, par M. Gressly; inséré dans les Nouveaur Mémoires de la Société helvétique, tome IV,

selon toute apparence, au véritable groupe portlandien. Ainsi, l'on voit que les divers groupes de l'étage oolitique supérieur ne sont pas bornés au bassin parisien, mais se retrouvent encore dans les cantons de Berne et de Soleure, et que M. Gressly, en établissant les divers faciès de son terrain portlandien, n'a fait que distinguer les divers groupes qui en réalité constituent cette partie jurassique supérieure, et qu'il ne lui a manqué qu'une coupe présentant toute la série sur le même point, pour opérer cette distinction par groupe, au lieu d'en faire les divers faciès d'un même groupe, comme il l'a établi.

Après avoir passé en revue les ouvrages des trois principaux géologues qui ont écrit sur les Monts-Jura, et avoir cherché à montrer qu'en ayant seulement les mémoires de ces savants à sa disposition, on ne peut guère nier l'existence du kimméridien et du portlandien dans le Jura français et suisse, je vais essayer de prouver à M. Royer, au moyen des observations que j'ai faites sur divers points du Jura, que réellement nous possédons bien tous les groupes jurassiques supérieurs, et que l'opinion hardie (comme il le dit très bien) qu'il émet est des plus hasardées.

Dans le Jura salinois, voici quel est l'ordre de superposition des couches et les fossiles principaux que l'on y rencontre. Avec l'apparition des Crinoïdes, Cidarides et Polypiers, commencent les premières assises calcaréo-marneuses du groupe corallien, qui, suivant qu'on l'observe dans des régions littorales, subpélagiques ou pélagiques, présente trois faciès bien distincts. Le faciès littoral est caractérisé par un immense développement de Polypiers et de Radiaires, qui ont formé d'énormes bancs coralligènes, autour desquels vivaient quelques acéphales à test fortement plissé et orné le plus souvent de pointes aiguës, ce qui leur donnait un habitus propre à résister aux dangers continuels auxquels ils étaient exposés par les vagues qui venaient se briser sur ces basfonds et îles coralliennes. Dans les régions subpélagiques, les bancs coralligènes ont beaucoup diminué et ne se présentent plus que çà et là isolés sur quelques bas-fonds où ils ont été englobés au milieu des assises calcaires alors en voie de formation. De sorte que le faciès subpélagique est caractérisé par un immense développement d'assises calcaires, qui succède à la formation vaso-marneuse de l'étage oxfordien, avec accidents de bancs de coraux et quelques couches lumachelliques formées par des polypiers roulés et usés par les charriages. Quant au faciès pélagique, on le distingue en ce qu'il est composé d'une énorme série d'assises de calcaires compactes, renfermant de temps à autre quelques fragments

de Lithodendres ou d'Astrées, qui, détachés des bancs coralligènes littoraux ou subpélagiques, ont été entraînés en pleine iner par les courants océaniques.

Les assises supérieures du groupe corallien présentent dans toutes les régions un calcaire très oolitique, qui les a fait distinguter des autres assises du groupe sous le nom d'oolite corallienne. Quelquefois on y rencontre plusieurs couches qui sont pétries d'une petite Nérinée connue sous le nom de Nerinea bruntrutana, Thurm.; mais cette manière d'être de l'oolite corallienne est bornée à un assez petit nombre de points du Jura berhibis, de la Haute-Saône et des environs de Salins, ce qui m'a obligé de supprimer cette division du calcaire à Nérinées, et de ne la regarder qué comme un faciès de l'oolite corallienne.

M. Royer, dans la coupe qu'il donne du terrain jurassique de la Haute-Marne, distingue, avec beaucoup de justesse, les deux manières d'être du corallien qu'il regarde comme synchroniques, et établit deux aspects pour ce terrain: son aspect (a) qui n'est autre que le faciès pélagique, et son aspect (b) le faciès littoral coralligène. Cette remarque judicieuse de M. Royer, remarquè qui avait été déjà faite bien antérieurement par M. Gressly, me fournit l'occasion de donner quelques explications sur la dénomination de groupe corallien donnée aux assises de roches qui constituent ce groupe. Je pense que les désignations des différents groupes qui constituent un étage, puis un terrain, doivent être choisies de telle manière qu'elles rappellent la région géographique où ce groupe se présente dans son plus beau développement, en prenant ce point comme type descriptif du groupe. Si l'on avait toujours suivi cette méthode, au lieu de donner des noms paléontologiques ou technologiques, on n'aurait pas eu à rectifier et à replacer dans leur véritable ordre clironologique un grand nombre de séries de couches, dont le synchronisine avec les assises d'un pays décrit auxquelles on voulait les rapporter était loin d'être exact. Plusieurs géologues très distingués ont reconnu depuis longtemps l'abus que l'on pouvait faire de ces sortes de désignations empruntées à l'industrie et aux fossiles, et se sont appliqués à créer des noms qui, tout en rappelant la région géographique où le groupe peut être le mieux étudié et présente son plus beau développement, n'entraînent pas avec eux les inconvénients de vouloir rappeler que les roches qui le constituent servent dans tel endroit à un usage industriel, coinine le mot quadersandstein, ou bien que l'on doit y trouver partout le même fossile, comme par exemple les marnes à Astartes, le calcaire à Nérinées, etc.

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