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l'histoire de l'art à partir de l'époque où la Gaule envahie par les barbares cessa de faire partie de l'empire romain.

Ici, Messieurs, nous entrons dans une ère de dix siècles, dont la dernière partie surtout a produit une immense quantité d'édifices. La France va se présenter devant vous comme un vaste musée dont vous ne pourrez vous lasser d'admirer les richesses et la variété.

Nous avons vu que les monuments de l'époque romaine sont rares sur notre sol, qu'ils y sont disséminés, et tous plus ou moins dégradés ; les monuments du moyen âge se trouvent au contraire répandus avec profusion dans nos villes et jusqu'au fond de nos campagnes, et la plupart sont encore aujourd'hui dans un état parfait de conservation (1).

Avec tant de richesses monumentales, avec l'esprit d'investigation et d'examen qui distingue notre siècle, il semblerait que l'histoire des arts du moyen âge a dû être étudiée par un grand nombre de savants et d'artistes, et que par suite elle est fort avancée; mais il en

(1) Je ne parle ici, comme on le verra par la suite, que des monuments postérieurs au X. siècle, c'est-à-dire de ceux des cinq derniers siècles du moyen âge; les monuments des cinq premiers siècles sont extrêmement rares.

est tout autrement: à peine existe-t-il en France cinquante personnes passablement versées dans la connaissance des monuments du moyen âge.

Ce chiffre vous étonne, Messieurs, et cependant je crains qu'il ne soit encore trop élevé.

On dirait que pour nous il n'y a pas d'intervalle entre le règne des derniers empereurs romains sous lesquels la décadence de l'art antique devint complète, et celui de François Ier. où l'art moderne naquit et parvint à une assez haute perfection.

Dix siècles pourtant séparent ces deux époques, et c'est dans cette longue période qu'il faut chercher le berceau et le développement de nos arts, de nos institutions, de notre société moderne toute entière.

A quoi donc attribuer le peu de popularité que les arts du moyen âge ont obtenu jusqu'ici parmi nous ? On peut en indiquer plusieurs causes principales, telles que : l'ignorance des mœurs, des habitudes, des goûts, des besoins qui existaient alors; la sécheresse et la rareté des documents historiques sur les procédés des artistes ; le préjugé que le inoyen âge étant signalé comme une époque de barbarie, tout ce qui s'y rattachait devait être barbare; enfin

l'admiration trop exclusive pour l'antiquité, qui, depuis la renaissance des lettres jusque vers la fin du siècle dernier, régna généralement en Europe, et qui trouvant dans les monuments classiques des chefs-d'oeuvre en tout genre, enveloppa dans une même indifférence ou plutôt dans un égal mépris tout ce qui s'écartait de ces modèles.

Rien de plus déraisonnable ni de plus injuste, Messieurs, que cette aversion de personnes d'ailleurs éclairées, contre les arts du moyen âge, dont elles ne comprennent point le génie. Un tel aveuglement ne saurait long-temps subsister; les préventions commencent à s'affaiblir; elles tomberont tout-à-fait devant les progrès du goût et de la raison. Déjà des architectes du premier ordre, parmi lesquels on peut citer MM. Alavoine et Hittorff, ne croient plus avilir leur art en reproduisant les styles du moyen âge dans la restauration des monuments religieux de cette époque. Leur exemple est trop sage pour n'être pas bientôt suivi comme règle.

Les hommes du monde, aussi bien que les artistes vraiment dignes de ce nom,conviennent aujourd'hui que non seulement notre architecture nationale est pleine de grandeur et de beautés, mais qu'elle est en rapport, plus

qu'aucune autre, avec nos sites, nos paysages, notre ciel et nos croyances.

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<< Evidemment, disait M. Guizot dans une << de ses dernières leçons (1), l'imagination se plaît aujourd'hui à se reporter vers le moyen âge; ses monuments ses traditions, ses << mœurs, ses aventures, ont pour le public « un attrait qu'on ne saurait méconnaître. On << peut interroger à ce sujet les lettres et les « arts; on peut ouvrir les histoires, les romans, « les poésies de notre temps; on peut entrer << chez les marchands de meubles, de curio«sités : partout on verra le moyen âge exploité, reproduit, occupant la pensée, amu<< sant le goût de cette portion du public qui « a du temps à donner à ses besoins ou à ses plaisirs intellectuels. »

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Pour nous, Messieurs, nous étudierons le moyen âge comme les autres époques de l'histoire de l'art, sans prévention aucune, avec la plus stricte impartialité.

Libres des préjugés classiques qui ont sou · vent égaré les esprits les plus droits, en leur inspirant une sorte d'idolâtrie pour les pro

(1) Cours d'Histoire moderne professé à la faculté des lettres de Paris,

ductions de l'antiquité grecque ou romaine, nous tâcherons d'apprécier justement le mérite de l'architecture du moyen âge, dont les défauts sont rachetés par tant de richesses et de majesté; nous exprimerons bardiment notre admiration pour ces magnifiques basiliques dont la piété de nos ancêtres orna la terre que nous habitons; et nous serons toujours pénétrés de ce principe: que les défauts sont les taches du temps, mais que les beautés forment le patrimoine de tous les áges.

Deux méthodes se présentent pour décrire et classer chronologiquement les monuments qui vont nous occuper. L'une consisterait à vous présenter, siècle par siècle, l'état de l'architecture religieuse, civile et militaire, celui de la peinture et des autres arts dont j'ai à

vous entretenir.

L'autre, à traiter successivement et isolément chaque partie dans son enticr, c'est-àdire, à épuiser tout ce qui concerne l'architecture religieuse, avant de passer à l'architecture militaire, et ainsi de suite.

La première méthode offre, je crois, plusieurs inconvénients dont le plus grave serait de porter continuellement l'attention sur des sujets différents, de donner ainsi un plus grand

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