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faits qui touchent à l'origine et aux progrès des différents styles; l'histoire de l'architecture du moyen age est encore à faire. D'ailleurs il ne faut pas croire que la découverte des faits, quelque importants, quelque nombreux qu'ils puissent être, suffise à elle seule pour constituer la science, ils n'en sont que les éléments, que les matériaux ; il n'y a de science qu'autant qu'on est parvenu à les lier, à les coordonner entre eux, à les féconder par l'induction et à former ainsi ce qu'on appelle des corps de doctrine.

Telle est, Messieurs, la tâche que je vais entreprendre pour l'architecture du moyen âge ; je veux essayer d'en débrouiller l'origine et d'en suivre les progrès: mon but, en un mot, est de vous présenter un tableau historique qui n'a été qu'imparfaitement esquissé en Angleterre et en Allemagne, que personne avant moi n'a ébauché en France. Je ne me dissimule pas combien cette entreprise présente de difficultés ; j'espère toutefois la conduire à bien, pourvu que vous veuilliez me con tinuer votre indulgence et votre attention.

CHAPITRE III.

De la classification des styles architectoniques du moyen âge - Nécessité d'adopter pour les désigner une nomenclature plus rationnelle que celle dont on se sert ordinairement. Exposé d'une nouvelle nomenclature et des motifs qui doivent la faire préférer aux autres. Tableau indicatif de la durée des principaux genres d'architecture qui ont régné depuis le V. siècle jusqu'au XVI.

Les Francs, les Saxons et les autres barbares n'avaient qu'une industrie très-bornée, qui ne dut exercer aucune influence sur les arts de la Gaule au Ve. siècle. La masse de la population demeura romaine pour ainsi dire, et les envahisseurs eux-mêmes subirent bientôt l'empire de la civilisation. Mais la décadence qui avait déjà fait tant de progrès s'accrut encore par leur présence et par l'isolement et le découragement où les populations furent plongées dans ces temps de désastres et de destruc

tion.

L'architecture des premiers siècles du moyen âge offrait donc tous les caractères de l'archi

tecture romaine, mais dans un état avancé de dégénérescence; nous la désignerons sous le nom d'architecture romane. Cette dénomination d'abord employée par M. de Gerville, et que j'ai adoptée en 1823 dans mon essai sur l'architecture religieuse du moyen âge, me paraît préférable à celles de lombarde, saxonne, normande, gothique - ancienne, et à plusieurs autres dont on s'est servi pour désigner l'architecture postérieure à la domination romaine et antérieure au XIIe. siècle.

Ces noms impliquent en effet une idée fausse, car ils peuvent faire croire que l'architecture dont nous parlons est venue des Goths des Saxons, des Normands, des Lombards; il faut absolument les remplacer par un nom unique, puisque l'architecture qu'ils désignent est partout la même, sauf quelques différences dans les accessoires: celui que je propose, d'après M. de Gerville, réunit, je crois, toutes les conditions qui peuvent le faire préférer ; il a le mérite d'indiquer l'origine du style d'ar chitecture auquel je l'applique, et il n'est pas nouveau, puisqu'on s'en sert déjà pour désigner la langue du même temps. Tout le monde sait que la langue romane est la langue latine dégénérée; pourquoi ne désignerait-on pas

aussi l'architecture romaine abâtardie, sous le nom d'architecture romane?

encore,

Malgré tant de motifs pour adopter cette dénomination, quelques savants s'y refusent et j'avoue que leurs raisons ne me paraissent nullement péremptoires. L'un d'eux, par exemple, M. Ed. Bold, lieutenant de la marine britannique et auteur d'un ouvrage élémentaire que je me plais à citer comme un excellent résumé (1), nous reproche, à M. de Gerville et à moi, d'avoir abandonné la qualification d'architecture normande, consacrée en Angleterre et en Normandie: il prétend qu'en cela nous avons manqué de patriotisme.

Mais je vous le demande, Messieurs, ne répugne-t-il pas à la raison d'appeler architecture normande un style qui évidemment n'a pas été inventé par les Normands, qui ne leur est pas spécial, et qu'ils ont tout au plus modifié dans ses accessoires, sans y faire de changements essentiels? Est-il possible d'appeler également architecture normande celle du même type qui existe dans le Berry, l'Auvergne,

(1) Cet ouvrage sans date a paru à Londres vers l'année 1828, lest intitulé: A concise history and analysis of all the principal style of Architecture; il n'a que 120 pages petit in-8°. avec des planches intercalées dans le texte.

le midi de la France, en Allemagne ou en Italie? Non sans doute, et il fallait absolument, je le répète, un mot générique pour désigner une architecture qui a été adoptée dans plusieurs contrées différentes.

Quant au reproche de manquer de patriotisme, j'y suis pour ma part très-peu sensible; je ne reconnais en effet de patriotisme que celui qui est basé sur la vérité et sur la bonne foi: hors de là je ne vois dans ce prétendu patriotisme que de ridicules prétentions et de puériles sentimens d'amour propre.

Du reste, si quelques personnes ont cru devoir protester contre la dénomination d'architecture romane, il est vrai de dire aussi qu'un très-grand nombre d'antiquaires l'ont adoptée surtout depuis la publication de mon essai sur l'architecture du moyen âge (1), et j'ai lieu de croire que tôt ou tard cette adoption deviendra générale.

(1) On peut s'en convaincre en lisant plusieurs mémoires descriptifs publiés sur différents points de la France, et dans lesquels on s'est servi de mes dénominatio ns et de mon système de classification.

la

Je pourrais citer entre autres le grand ouvrage de MM. Schweighauser et de Golbery sur les antiquités de l'Alsace ( V. page 55), et l'essai historique et descriptif de M. Alexandre du Mège de Toulouse, sur la cathédrale d'Arles, qui fait partie de la collection publiée par M. Engelmann.

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