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et tous les matériaux nécessaires pour la construction de l'édifice sacré. Quelquefois mille personnes, hommes et femmes, sont attelées au même char (tant la charge est considérable) et cependant il règne un si grand silence qu'on n'entend pas le moindre murmure. Quand on s'arrête dans les chemins, on parle, mais seulement de ses péchés dont on fait confession avec des larmes et des prières; alors les prêtres engagent à étouffer les haines, à remettre les dettes, etc., etc. S'il se trouve quelqu'un assez endurci pour ne pas vouloir pardonner à ses ennemis, et refuser de se soumettre à ces pieuses exhortations, aussitôt il est détaché du char, et chassé de la sainte compagnie (1)..

Haimon rapporte ensuite que pendant la nuit on allumait des cierges sur les chariots, autour de l'Eglise en construction, et qu'on veillait en chantant des hymnes et des cantiques.

Enfin, il nous apprend (et ceci est intéressant à noter) que ce pieux usage de se réunir,

(1) Cette lettre insérée dans les annales de l'ordre de saint Benoit, n. .67, t. VI, a été traduite et reproduite par M. Richome, membre de la société des Antiquaires de Normandie, dans un mémoire sur l'abbaye de Saint-Pierre-sur-Dive.

pour travailler à la construction des églises, avait pris naissance à Chatres, à l'occasion des travaux qui furent faits à la cathédrale de cette ville; que d'autres réunions eurent lieu peu de temps après àSaint-Pierre-sur-Dive pour aider à construire l'église de cette abbaye, et qu'ensuite de semblables congrégations se formèrent dans toute la Normandie, surtout dans les lieux où l'on élevait des temples sous l'invocation de la sainte Vierge(1).

On trouve aussi dans une lettre de Hugues, archevêque de Rouen, que j'ai déjà cité (page 227) des détails sur ces grandes réunions d'ouvriers bénévoles. Je ne puis résister au désir de vous rapporter un fragment de cette lettre.

Les habitants de Chartres (dit l'archevêque de Rouen), ont concouru à la construction

(1) Hujus sacræ institutionis ritus apud carnotensem ecclesiam est inchoatus, ac deindè in nostrâ virtutibus innumeris confir matus, postremò per totam ferè Normanniam longè latèque convaluit ac loca per singula matri misericordiæ dicata, præcipuè occupavit. (Annales de l'ordre de saint Benoît, t. 6, p.394.

Il est à remarquer qu'on eut pour la sainte Vierge une trèsgrande dévotion à partir du XII. siècle; c'est à cette époque que l'on commença à donner à la chapelle qui lui était dédiée de plus vastes dimensions qu'aux autres.

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de leur église en charriant des matériaux; notre Seigneur a récompensé leur humble zèle par des miracles qui ont excité les Normands à imiter la piété de leurs voisins. Nos diocésains ayant donc reçu notre bénédiction se sont transportés à Chartres où ils ont accompli leur

vœu..

Depuis lors, les fidèles de notre diocèse et des autres contrées voisines ont formé des associations dans un but semblable; ils n'admettent personne dans leur compagnie, à moins qu'il ne se soit confessé, qu'il n'ait renoncé. aux animosités et aux vengeances et ne se soit réconcilié avec ses ennemis.

Cela fait, ils élisent un chef sous la conduite duquel ils tirent leurs chariots en silence et avec humilité (1). D

Mais cette foule qui venait travailler par corvées à la construction des églises n'avait aucunes notions d'architecture; elle agissait évidemment sous la direction des architectes (2), et ceux-ci devaient être fort nombreux, puis

(1) Voir le reste de cette lettre dans le mémoire de M. Richome sur l'abbaye de Saint-Pierre-sur-Dive.

(2) Les travailleurs bénévoles étaient principalement occupés à transporter les matériaux. Plusieurs antiquaires attribuent à la difficulté que l'on devait éprouver à voiturer les pierres, le

qu'on bâtissait partout avec tant d'ardeur au XII. et au XIIIe. siècles.

Il paraît que, dès cette époque, les maçons ou tailleurs de pierre se réunirent en compagnies, qui avaient leurs statuts et leurs chefs et qui allaient s'établir dans les lieux où il y avait des édifices religieux à construire. Les différents travaux n'étaient pas indistinctement exécutés par tous les membres; les uns sculptaient les chapiteaux des colonnes, les autres des bas-reliefs ou des statues: chacun avait une partie dont il s'occupait exclusivement et dans laquelle il excellait (1). Du reste, ces associa tions différaient beaucoup, je crois, de la confrérie des francs-maçons, qui se forma plus tard sur les bords du Rhin, et dont je parlerai dans la prochaine conférence.

Quand on considère la perfection et l'uniformité des monuments du XIIIe. siècle, on ne peut douter qu'il n'existât parmi les architectes

volume peu considérable qu'elles offrent presque toutes dans les constructions du moyen âge; il faut compter aussi pour beau. coup la facilité que l'on trouvait à manier des pièces d'un petit Volume, surtout lorsqu'il fallait les placer dans les pyramides et dans des murs élevés des églises.

(1) Voyez mon Essai sur l'architecture religieuse du moyen âge, Caen, 1824, page 77, et le premier volume de la société des Antiquaires de Normandie, p. 613.

une doctrine bien arrêtée, et des connaissances beaucoup plus étendues qu'on ne l'a supposé pendant long-temps. Il y a lieu de croire que ces connaissances, ou si l'on veut, les secrets de l'art, se transmettaient oralement et en pratiquant, car on n'a rien trouvé sur cette matière dans les manuscrits des bibliothèques conventuelles, ni dans les autres dépôts où l'on pouvait s'attendre à les rencontrer.

Il est encore à remarquer que la plupart des grands monuments qui nous attestent le génie des architectes au XII. siècle et au XIIIe., sont sans noms d'auteurs. Cela vient, comme le pensent avec raison ceux qui ont étudié le moyen âge, de ce que, durant cette période éminemment catholique, il n'y eut point d'individus, pour ainsi dire, mais seulement des confréries, des monastères, où l'on mettait en commun, non seulement sa vie, ses biens, ses espérances, mais encore ses pensées, son âme et son génie.

Toutefois, dès la fin du XIIe. siècle, l'art commençait à s'individualiser, et les noms de quelques habiles architectes du XIIIe. siècle sont parvenus jusqu'à nous.

Une inscription sépulcrale nous apprend

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