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Voulez-vous avoir avoir une idée plus précise de ces différences, comparez l'église de l'abbaye de Sainte-Trinité de Caen, dont le type se trouve reproduit chez nous jusqu'au milieu du XIIe siècle, avec celle de Civray, ou plutôt avec celle de Notre-Dame de Poitiers, et voyez combien celle-ci, avec sa belle façade et ses élégants frontons coupés, l'emporté sur l'église de Sainte- Trinité, dont le frontispice se trouve comprimé entre deux grosses tours (pl. LII).

Maintenant si vous me demandiez à quelles causes on doit rapporter ces différences de style, je serais fort embarrassé de vous répondre; peut-être pourrait-on les attribuer d'abord à ce que certaines contrées étaient plus riches que les autres en monuments romains qui avaient fourni des modèles plus variés et plus parfaits à imiter; secondement à ce que le goût oriental exerça plus ou moins d'influence, et modifia plus ou moins l'architecture indigène, suivant que les circonstances en favorisèrent plus ou moins l'importation ou l'adoption dans telle ou telle partie de la France.

D'un autre côté, la durée de l'architecture à plein cintre peut avoir été un peu plus longue dans certaines provinces que dans d'autres, et

si cette supposition était fondée il serait facile de comprendre pourquoi les monuments du même type offrent dans quelques localités des sculptures plus riches et plus délicates. Je reviendrai tout-à-l'heure sur ce sujet en parlant de l'architecture ogivale.

Quoi qu'il en soit, cette élégance, que nous remarquons dans les monuments romans de quelques parties de la France occidentale, se retrouve en Auvergne et dans d'autres provinces de l'Est et du Sud-Est.

Si je me rappelle bien les communications verbales que me fit M. Le Prévost, à son retour d'un voyage archéologique dans l'Est et le Sud-Est de la France, l'architecture romane aurait, dans cette contrée comme dans le SudOuest, une physionomie particulière et différente de celle qui la distingue dans le NordQuest; elle y serait aussi plus ornée qu'en Normandie. Des feuillages, des rinceaux, des broderies plus ou moins ressemblantes à celles que j'ai remarquées dans le Poitou (voyez la pl. L) domineraient parmi les ornements des édifices romans du Sud-Ouest, qui se distingueraient en outre par des entablements plus complets, des formes plus correctes et des contours plus gracieux.

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CHAPITRE VIII.

Court exposé des principales opinions émises concernant l'origine du style ogival, et recherches sur l'époque de l'introduction de cette architecture dans l'Europe occidentale.—L'ogive paraît en général avoir été substituée au plein cintre pendant le XII. siècle. Quelques-uns font remonter plus haut l'introduction de cette arcade dans nos contrées. Examen des faits allégués pour soutenir cette opinion.- Réflexions sur la difficulté de faire accorder les progrès variables de l'art avec la marché uniforme du temps.

Nous venons de voir que l'emploi de l'ogive devint fréquent dans le cours du XIIe siècle; un changement aussi important que la substitution de cette nouvelle arcade au plein-cintre, a piqué vivement la curiosité de ceux qui ont étudié l'histoire de l'architecture. Presque tous ont cherché la solution des deux questions suivantes intimement liées l'une à l'autre : dans quelle contrée l'ogive a-t-elle pris naissance? à quelle époque a-t-elle été adoptée dans l'Europe occidentale?

Considérée dans toute son étendue, la pre

mière question a donné lieu à beaucoup de

controverses.

En laissant de côté les opinions plus ou moins bizarres de quelques antiquaires, on peut réduire à trois les principales hypothèses émises sur l'origine du style ogival.

Suivant les uns, ce genre d'architecture existait très-anciennement en Orient, et les Croisés, enthousiasmés de ce qu'ils avaient observé dans ce pays, importèrent l'ogive en Europe, où elle fut généralement adoptée peu de temps après.

Les seconds sont d'accord avec les premiers quant à l'origine de l'ogive; mais ils croient que les Maures avaient introduit cette arcade en Espagne avant les Croisades, et qu'elle se répandit de là dans toute l'Europe, en même temps que la philosophie arabe.

Les troisièmes rejettent les deux systèmes précédents, et prétendent que l'architecture à ogives est née dans l'Europe occidentale.

Contentons-nous de prendre rapidement connaissance des principaux arguments employés pour ou contre ces différentes hypothèses.

D'abord on ne peut nier que l'arcade en tiers point ne fût connue long-temps avant d'être appliquée à un système particulier d'architecture

le type de cette arcade existe dans les ouvertures formées de pierres surplombant les unes sur les autres,comme on en voit dans plusieurs monuments en Chine, en Egypte et ailleurs (1).

Mais il y a loin de ces arcades grossières aux ogives proprement dites et au système d'architecture, dont elles forment l'un des principaux caractères ; aussi de pareils faits ne sont-ils d'aucune importance pour la solution du problême qui nous occupe.

Whittington et lord Aberdeen regardent le style ogival comme originaire de l'Orient. Ainsi que je l'ai dit précédemment (voir les pages 15 et 16), 15 et 16), ils ont habilement défendu cette opinion, et leurs arguments ont beaucoup contribué à la faire prévaloir aux yeux de quelques antiquaires.

Lord Aberdeen affirme (2) que si l'on traçait une ligne partant du Pont-Euxin, passant par Constantinople et se terminant en Egypte, on

(1) M. Hawkins fait observer que la courbe nécessaire pour produire la forme géométrique de l'ogive est clairement exprimée dans la première proposition du problême d'Euclyde, qui indique la manière de tirer un triangle équilatéral sur une ligne droite. Euclyde vivait plus de trois siècles avant l'ère chrétienne.

(2) Dans la préface placée en tête de l'ouvrage de Whittington que j'ai déjà cité( voir p. 16).

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