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l'Évangile : non, il faut un aliment à son intelligence, une occupation à ses loisirs, un délassement à ses travaux, et trop souvent une distraction à ses chagrins.

Mais on les demanderait en vain à ces plaisirs frivoles, dont la saveur s'évapore avec la jeunesse ; moins encore à l'orgie qui abrutit ou aux voluptés au sein desquelles l'âge mûr ne recueille que les regrets et l'impuissance! Seuls, l'étude des lettres ou des sciences, ou le culte des arts, que le poète appelle si justement consolateurs, peuvent donner ces délassements qui fortifient, ces distractions qui consolent et qui souvent charment ces heures que l'ennui réclamait.

Ici le champ est vaste, chacun peut consulter ses aptitudes et suivre ses préférences; mais ne soyons pas exclusifs et montrons quelque indulgence pour les goûts que nous ne partageons pas.

La musique a des charmes; la nature a des mystères que la science se plaît à sonder; les fleurs ont leur éclat et leur parfum. Les ruines, aussi, ont leur poésie et leur enseignement, et ces vieux cailloux, dont le nom vous fait sourire, ne sont pas muets pour l'antiquaire; pas plus que ce fossile informe en apparence, que cette plante incolore, mais peu connue ne le sont pour le naturaliste.

L'étude des antiquités a cela de commun avec l'étude de la plupart des sciences naturelles, qu'elle découvre une valeur cachée dans une foule d'objets devant lesquels le profane reste indifférent; qu'elle prête un charme inconnu aux lieux en apparence les plus tristement sauvages.

Voyez cette lande aride et inculte, ces lignes monotones que le regard suit sans rencontrer un point où

se reposer le touriste s'en éloigne, lui jetant à peine un regard distrait et dédaigneux. Mais si le naturaliste qui la parcourt y a trouvé des richesses pour ses collections, il revient avec bonheur vers ces solitudes qui lui promettent de nouvelles et pures jouissances.

Il en est de même de l'antiquaire, si le hasard, ce grand pourvoyeur de la science, ou si de laborieuses investigations lui ont fait rencontrer quelques débris des vieux âges, quelque ruine non encore explorée. Et ces bonnes fortunes ne sont pas rares! Sur quel point, dans nos contrées surtout, les générations qui se sont succédé depuis tant de siècles, n'ont-elles pas laissé des traces de leur passage, des témoignages de leurs discordes ? La pierre taillée par le choc d'une autre pierre nous montre les premiers efforts de l'industrie naissante. A chaque pas, des armes brisées attestent des luttes sanglantes, et le silex façonné en forme de lance ou de flèche et rendu tranchant par de patients efforts, dit assez que la triste humanité n'avait attendu ni l'âge de fer ni l'âge de bronze pour armer des mains homicides.

Cet intérêt, d'une légitime curiosité, que l'archéologie partage avec d'autres sciences, n'est pas le seul qu'elle puisse revendiquer. Il en est un surtout qui lui est propre et qui naît du concours qu'elle prête, du contingent qu'elle apporte aux études historiques dont elle a souvent éclairci les obscurités ou comblé les lacunes.

N'est-ce pas elle qui, relevant le défi que les sphinx gigantesques de Thèbes et de Louqsor semblaient avoir jeté à tout jamais à l'avenir, a su deviner enfin ces énigmes, que la mystérieuse Égypte des Pharaons avait proposées à la postérité? N'est-ce pas elle qui nous a

montré les splendeurs à peine soupçonnées de Ninive et de Babylone?

A l'aspect de ces fastueux débris d'une prospérité sans égale, suivie d'une si complète décadence, on se prend à rêver; on se dit que cette richesse, après laquelle soupirent toutes les nations, renferme le germe de leur ruine, en ce qu'elle excite la convoitise des conquérants contre la rapacité desquels elles se trouvent un jour impuissantes à se défendre, énervées qu'elles sont par les habitudes du bien-être, abâtardies par les préoccupations égoïstes de l'intérêt personnel, divisées par l'antagonisme que suscite le spectacle de ce luxe décevant au cœur des déshérités, et que les factions sont si habiles à entretenir.

La pensée se reporte alors sur la patrie bien-aimée et on se demande, avec angoisse, si les mêmes causes n'appelleront pas les mêmes catastrophes.

Une autre branche de l'archéologie, la numismatique, appelle aussi notre attention.

Les monnaies romaines n'avaient pas la stérile uniformité de nos pièces modernes. Les Romains, qui croyaient à la perpétuité de leur empire, Roma æternæ, travaillaient pour la postérité et confiaient à leurs monnaies le soin de lui transmettre le souvenir des événements mémorables de chaque règne. C'était en quelque sorte les fastes populaires. De là le nom de médailles qui leur a été donné ; de là aussi leur intérêt au point de vue historique. De plus, elles ont cet autre avantage de reproduire les traits, souvent burinés avec art, de ces maîtres du monde, si rarement dignes de l'être? L'artiste y suit en quelque sorte jour pour jour la trace des progrès ou de la décadence des arts, et le sage, en contemplant la foule de ces tyrans

éphémères, se prend de pitié pour ces ambitieux qui achetaient par un crime ou par des promesses insensées, le privilége d'être assassinés à leur tour.

Leur impuissance et leur charlatanisme se trahissent sur leurs monnaies. L'empire une fois acheté, il faut le payer. N'ayant pas, comme dans nos temps modernes, la ressource facile des emprunts d'état, on y supplée en altérant les monnaies, et chaque nouveau parvenu, ajoutant à la fraude de ses prédécesseurs, la pièce d'argent n'est bientôt plus que du cuivre trempé dans l'étain. Vainement se proclament-ils, sur ces pièces frelatées, les arbitres du monde (1), les pacificateurs de l'univers (2). Plus vainement encore vantent-ils leurs largesses (3), la fidélité des soldats (4), la félicité publique (5), et jusqu'à leur satisfaction personnelle (6).

Ces innombrables enfouissements de numéraire, que les propriétaires ne devaient pas retrouver, leur donnent un éclatant démenti et témoignent de la perturbation et de la misère de ces époques agitées. Il n'y avait de satisfait que quelques convoitises, et chaque révolution, ajoutant fatalement son contingent à la misère publique, les peuples toujours déçus abandonnaient bientôt ces heureux d'un moment, prêts à se jeter dans les bras de nouveaux empiriques où les attendaient de nouvelles déceptions.

Je ne parlerai que pour mémoire de la céramique,

(4) Rector orbis.
(2) Pacator orbis.
(3) Liberalitas aug.

(4) Fides militum.
(5) Felicitas publica.
(6) Hilaritas aug.

dont l'étude cependant pleine d'intérêt nous initie à la connaissance des usages, des coutumes et des mœurs des anciens, par les figures nombreuses et les scènes variées qui décorent les vases antiques, ceux du moins qui constituaient la poterie de luxe. Elle nous permet de suivre à travers les siècles cette utile industrie du potier, depuis l'époque de ces grossières ébauches où l'artiste inexpérimenté laissait dans l'argile l'empreinte des doigts qui la façonnaient, et dont le tumulus de Fontenay-le-Marmion nous a fourni de curieux spécimens, jusqu'à ces vases grecs d'une élégance de forme irréprochable et dont la décoration d'un dessin si pur sert encore de modèle à nos artistes qui s'en inspirent sans jamais les surpasser.

Puis voici venir le moyen-âge voyez ces mottes féodales, ces vieux donjons à demi renversés, ces armes massives dont le poids effraie notre faiblesse. Elles nous révèlent ces hauts faits d'armes de la chevalerie, en même temps que ces ruines, éparses sur le sol, rappellent les tristes époques de la féodalité, où, comtes et barons, souverains au petit pied dans leurs domaines, guerroyaient sans cesse avec leurs voisins, et se livraient, sans que le droit public d'alors y trouvât à redire, à ces actes de destruction et de spoliation dont les grands états se sont de nos jours réservés le monopole.

L'archéologie toutefois nous découvre des horizons moins sombres, de plus suaves perspectives. L'aspect des monuments religieux soulage le cœur et réjouit la vue. Ce temple rustique, devant lequel la foule passe inattentive, appelle l'antiquaire. Il s'entretient avec lui ; la coupe des pierres, le style de la décoration lui disent l'âge du monument. Il compte les siècles qui se sont

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