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proviennent presque toujours d'une méprise. En effet, beaucoup d'églises ont été plusieurs fois reconstruites depuis leur origine, sans pour cela changer de nom, et c'est une erreur manifeste que de prendre les édifices actuellement subsistants pour ceux qui furent élevés dès le principe.

CHAPITRE VI.

Architecture Romane de transition.

(XII. siècle.)

Nous sommes arrivés à l'une des époques les plus intéressantes de l'histoire monumentale. « Au XII. siècle, époque incomparable, tout naît, tout resplendit à la fois dans le monde moderne. Chevalerie, croisades, architecture, langues, littérature, nouvelles; tout jaillit « ensemble comme par la même explosion, c'est là que « débute véritablement l'histoire de nos arts, de notre

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littérature, de notre civilisation, comme celles des autres << arts et des autres civilisations de l'Europe; c'est au XII. « siècle que se termine la transformation du monde ancien, impérial, romain, payen, qui devient le monde nou« veau, féodal et chrétien (1).

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Une grande impulsion donnée au commerce de l'Italie avec l'Orient, les pélerinages à Jérusalem devenus plus fréquents, et surtout les croisades, établirent à cette époque entre l'Orient et l'Occident des relations nouvelles qui favorisèrent de plus en plus la naturalisation du goût byzantin dans

(1) M. Ampere, histoire littéraire de la France.

nos contrées. Aussi voit-on, au XIIe. siècle, un luxe de moulures que n'avaient point encore montré les monuments du XI.

Ce nouveau travail d'assimilation, dont il est si intéressant de suivre les progrès, va s'opérer en même temps que l'adoption d'une forme nouvelle pour les voûtes et les arcades.

C'est aussi, en effet, à partir de la fin du XI. siècle jusqu'à la fin du XII. que l'ogive a été substituée au cintre, comme je l'ai dit précédemment.

Un double intérêt se rattache donc à la période que nous allons étudier, et pour procéder avec ordre, je vais d'abord présenter l'état de l'architecture au XII. siècle, après quoi j'exposerai les différentes opinions qui ont été émises sur l'origine de l'ogive et du style dont elle forme l'un des principaux caractères.

Forme des églises. La forme des églises n'éprouva pas au XII. siècle de changements notables. Il est vrai que vers cette époque on construisit quelques églises rondes, peutêtre à l'imitation du saint sépulcre de Jérusalem, mais ces exemples sont assez rares.

Au nombre des églises circulaires est celle de Charroux, département de la Vienne, dont la date ne m'est pas connue, mais qui, selon toute apparence, est au moins en grande partie postérieure à la première croisade.

Il ne faut pas croire en effet que cette église puisse être reportée au temps de la fondation de l'abbaye dont elle dépendait, et qui eut lieu sous le règne de Charlemagne ; s'il reste quelques parties de la primitive construction, elles doivent être peu considérables, puisque les Normands ra

vagèrent l'abbaye, et que plus tard elle fut ruinée par un incendie vers la fin du Xe. siècle. Le monument actuel présente une nef rectangulaire terminée par un chœur circulaire (voyez la figure 12, pl. Ire.), au centre duquel s'élève un autel entouré de huit colonnes qui supportent une tour octogone. Quarante-quatre autres colonnes disposées en cercle sur deux rangs forment deux nefs autour du sanctuaire (1).

L'église de Charroux n'est pas la seule en France dont le plan circulaire rappelle la rotonde du saint sépulcre ; on connaît la curieuse église octogone de Montmorillon à laquelle on a pendant long-temps attribué une origine trèsreculée, mais qui ne peut remonter au-delà du XIIe. siècle ou du XI. M. de Saulcy connaît à Metz une autre église circulaire, servant aujourd'hui de magasin, et appelée l'église du temple.Près de Carcassonne, l'église circulaire de Rieux-Mérenville,qui vient d'être décrite par M.deTournal, paraît, ainsi que la précédente, dater du XII. siècle (2); il existe aussi plusieurs églises de cette forme en Angleterre, et le nom qu'elles portent encore aujourd'hui semble prouver que l'intention des architectes anglais était conforme à celle que je suppose avoir déterminé les architectes de Charroux et de Metz. En effet, l'église ronde qui existe à Cambridge et

(1)Aujourd'hui(1835)la curieuse église de Charroux est presque totalement détruite, il n'en reste plus que la tour centrale et quelques pans de murs. Elle vient d'être soigneusement décrite par M. de Chergé,membre de la société des antiquaires de Poitiers:

(2) Le singulier oratoire octogone appelé la tour d'Évrault, que l'on voit à l'abbaye de Fontévrault et qui a été figuré dans l'ouvrage de M. Bodin, est aussi du XIIo. J'ai vu autrefois une tour presque semblable àl'abbaye de St.-Florent de Saumur ; mais elle était un peu moins ancienne, sans toutefois, je crois, appartenir à une époque plus récente que le XIII. siècle.

celle de Northampton s'appellent encore l'une et l'autre églises du saint sépulcre; celle de Londres dont une vue a été publiée dans le sixième volume de l'archéologie Eritannique est connue sous le nom d'église du temple. Ces trois monuments appartiennent au XII. siècle, et l'on pent supposer qu'ils ont été construits par des architectes qui avaient visité la terre sainte; plusieurs autres églises de cette forme que je pourrais encore citer, sont attribuées aux Templiers.

Élévations. On multiplia les retraits dans l'élévation des murs de manière à marier les lignes obliques aux lignes verticales et à détruire la monotonie des coupes perpendiculaires en les combinant à des plans inclinés, étagés symétriquement. Les frontons coupés, tels qu'on en voit à l'église Notre-Dame de Poitiers, ornent plusieurs édifices du XII. siècle, et les façades ont généralement à cette époque plus de grâce que dans les siècles précédents.

Moulures. Parmi les ornements qui paraissent appartenir plus spécialement à Parchitecture romane tertiaire, on peut citer les rinceaux, les arabesques, les entrelacs et différents genres d'enroulements ressemblant plus ou moins à ceux que j'ai figurés sur la pl. VII, les perles, les bandelettes, les dentelles et certaines ciselures qui imitent le tissu travaillé des étoffes richement ornées, comme on en fabriquait à Constantinople. On peut citer encore les festons légers, les moulures nattées, les trèfles, les quatre feuilles et quelques autres dessins d'une élégance et d'une finesse remarquables, que l'observation apprendra à connaître bien mieux que les descriptions que je pourrais en faire.

Les zigzags, les frètes et les autres ornements que j'ai décrits en parlant de l'architecture romane secondaire, sont

aussi assez communs sur les monuments du XII. siècle, surtout en Normandie, et l'absence des moulures que j'indique comme appartenant plus spécialement que les autres au roman tertiaire, n'est pas toujours une preuve de l'ancienneté des édifices.

D'un autre côté, on peut trouver des ornements caractéristiques du XII. siècle, sur des églises qui ont été bâties dans le XI. siècle, suivant des documents certains. Il paraît, en effet, qu'un très-grand nombre de portes et de façades ont été sculptées postérieurement à l'érection des églises dont elles font partie.

Ainsi l'on élevait des portes avec des archivoltes unies que l'on ciselait plus ou moins long-temps après l'achèvement de l'édifice. J'en connais plusieurs du XI. siècle, qui ne sont ornées qu'à moitié et qui prouvent ainsi la vérité de mon assertion (1).

1

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Bas-reliefs et statues. Jusqu'à la fin du XIe siècle on avait rendu la figure humaine de la manière la plus bizarre et la plus incorrecte; encore s'était-on borné à la représenter en demi-relief principalement sur les chapiteaux des colonnes. Je n'ai jamais vu dans nos églises de statues proprement dites qui aient une date antérieure à celle que je viens d'indiquer, et tandis qu'on excellait dans certaines moulures, ne savait représenter la figure humaine que d'une manière on pourrait dire hideuse.

on

(1) On sculptait fréquemment d'avance, et avant de les assembler, les pièces qui devaient composer les cintres des portes; mais quelquefois elles ne l'étaient qu'après leur assemblage: la nature des ciselures influait sans doute sur le choix du procédé que l'on suivait à cet égard.

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