Page images
PDF
EPUB

ont puisé dans le repentir chrétien l'habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes, et dans leurs pieuses méditations une tendance à s'écarter de la nature physique et à tout exalter, principalement à l'époque où l'enthousiasme religieux a tout embrasé, durant le XIII. siècle. De ce moment tout fut hors de proportion avec les idées terrestres ; l'esprit de spiritualité parut dans l'architecture au point que les édifices furent à jour couverts de ciselures et de broderies qui semblaient rivaliser avec les subtilités de la pensée.

La forme est tout dans l'architecture antique, dans l'architecture ogivale il y a la forme et la pensée, car dans cet élancement des parties vers le ciel et dans la plupart des combinaisons usitées au XIII. siècle (1), on ne peut méconnaître l'expression d'une idée mystique. Qui sait même si la forme triangulaire de l'ogive n'était point un symbole aux yeux des architectes? Mais sans insister sur ces considérations qui intéressent à un très-haut degré la philosophie de l'histoire de l'art, je me borne à poser en principe ; que si l'architecture des anciens est plus pure comme art, celle des modernes est plus touchante et plus religieuse.

Il suffit, en effet, d'observer sans prévention l'aspect magnifique des grandes églises élevées par les architectes

(1) Il est évident que les architectes voulaient rendre hommage à la Trinité en disposant les fenêtres trois à trois ou deux à deux avec une rosace en-dessus. D'autres combinaisons exprimaient d'autres idées symboliques; le nombre 7 que l'on re. marque assez souvent dans la distribution des chapelles et des rosaces, rappelle les sept jours de la création : le nombre 12 est commémoratif des 12 apôtres, etc., etc.

[ocr errors]

du moyen âge, pour se convaincre que le style ogival convient plus particulièrement à nos temples, auxquels il imprime un caractère solennel, que n'offrent point en ce genre les imitations plus ou moins heureuses de l'architecture antique. Les basiliques de Saint-Pierre de Rome, de Saint-Paul de Londres, de Sainte-Geneviève de Paris, chefsd'œuvre de l'école moderne, sont loin, malgré leur grandiose et leur somptuosité, d'exciter en nous ce sentiment involontaire de vénération et de grandeur, cette émotion indéfinissable qui s'empare de notre âme quand nous contemplons, même avec des dispositions indifférentes, l'intérieur des édifices étonnants, bâtis dans les XII., XII. et XIV. siècles (1).

Moyens d'exécution. Il est facile de comprendre comment on parvenait à bâtir, au XII. et au XIIIe siècles, ces immenses, et élégantes basiliques, répandues en si grand nombre dans toutes les parties de la France.

D'abord, le clergé possédait des revenus considérables, et quelquefois il pouvait entreprendre de grands travaux sans réclamer de secours étrangers. Mais il lui fallait bien souvent recourir à l'assistance des fidèles ; alors il trouvait dans le zèle extraordinaire, dans l'enthousiasme inconcevable qui animait les esprits, de telles ressources de tout genre, qu'au lieu de se borner à construire de nouvelles églises et à réparer les anciennes, on en renversait quelquefois de très-solides pour les réédifier d'après, les règles du style ogival. Non contents de contribuer par des offrandes à la construction des basiliques (2), les fidèles se rendaient

[ocr errors]

(1) De Jolimont, description des cathédrales de France.

(2) Au XIIIe siècle, un des moyens les plus puissants pour

eu foule dans les lieux où l'on en élevait, pour prendre

part aux travaux les plus pénibles. C'était une sorte de pélerinage qu'on entreprenait pour racheter ses fautes et pour obtenir des grâces spirituelles.

Dans une lettre écrite, en 1145, aux religieux de l'abbaye de Tuttebery en Angleterre, Haimon, abbé de SaintPierre-sur-Dive, peint l'empressement avec lequel on se livrait à ces actes de dévotion.

« C'est un prodige ( dit-il ) que de voir des hommes puissants, fiers de leur naissance et de leurs richesses, accoutumés à une vie molle et voluptueuse, s'attacher à un char avec des traits et voiturer les pierres, la chaux, le bois, et tous les matériaux nécessaires pour la construction de l'édifice sacré. Quelquefois mille personnes, hommes et femmes, sont attelées au même char (tant la charge est considérable), et cependant il règne un si grand silence qu'on n'entend pas le moindre murmure. Quand on s'arrête dans les chemins, on parle, mais seulement de ses péchés dont on fait confession avec des larmes et des prières ; alors les prêtres engagent à étouffer les haines, à remettre les dettes, etc., etc. S'il se trouve quelqu'un assez endurci pour ne pas vouloir pardonner à ses ennemis, et refuser de se soumettre à ces pieuses exhortations, aussitôt il est détaché du char, et chassé de la sainte compagnie » (1).

exciter la générosité des fidèles était d'accorder des indulgences à ceux qui contribuaient par leurs offrandes à la construction des églises; le pape donnait tres-fréquemment aux évêques et aux abbés le pouvoir d'accorder les grâces spirituelles à ceux qui les auraient méritées de cette manière.

(1) Cette lettre insérée dans les annales de l'ordre de saint Benoit, no. 67, t. VI, a été traduite et reproduite par M. Ri.

Haimon rapporte ensuite que pendant la nuit on allumait des cierges sur les chariots, autour de l'Eglise en construction, et qu'on veillait en chantant des hymnes et des cantiques.

Enfin, il nous apprend (et ceci est intéressant à noter) que ce pieux usage de se réunir, pour travailler à la construction des églises, avait pris naissance à Chartres, à l'occasion des travaux qui furent faits à la cathédrale de cette ville; que d'autres réunions eurent lieu peu de temps après à Saint-Pierre-sur-Dive pour aider à construire l'église de cette abbaye, et qu'ensuite de semblables congrégations se formèrent dans toute la Normandie surtout dans les lieux où l'on élevait des temples sous l'invocation de la sainte Vierge (1)."

[ocr errors]

On trouve aussi dans une lettre de Hugues, archevêque de Rouen, des détails sur ces grandes réunions d'ouvriers bénévoles. Je vais citer un fragment de cette lettre.

• Des habitants de Chartres (dit l'archevêque de Rouen), ont coucouru à la construction de leur église en charriant des matériaux; notre Seigneur a récompensé leur humble

chome, membre de la société des Antiquaires de Normandie, dans un mémoire sur l'abbaye de Saint-Pierre-sur Dive.

(1)Hujus sacræ institutionis ritus apud carnotensem ecclesiam est inchoatus, ac deindè in nostrâ virtutibus innumeris confirmatus, postremò per totam ferè Normanniam longè latèque convaluit ac loca per singula matri misericordiæ dicata,præcipuè occupavit. (Annales de l'ordre de saint Benoit, t. 6, p 394.

Il est à remarquer qu'on eut pour la sainte Vierge une trèsgrande dévotion à partir du XIIe. siècle; c'est à cette époque que l'on commença à donner à la chapelle qui lui était dédiée de plus vastes dimensions qu'aux autres.

zèle par des miracles qui ont excité les Normands à imiter la piété de leurs voisins. Nos diocésains ayant donc reçu notre bénédiction se sont transportés à Chartres où ils ont accompli

leur vœu.

[ocr errors]

Depuis lors, les fidèles de notre diocèse et des autres contrées voisines ont formé des associations dans un but semblable; ils n'admettent personne dans leur compagnie, à moins qu'il ne se soit confessé, qu'il n'ait renoncé aux animosités et aux vengeances et ne soit réconcilié avec ses ennemis.

. Cela fait, ils élisent un chef sous la conduite duquel ils tirent leurs chariots en silence et avec humilité »

Mais cette foule, qui venait travailler par corvées à la construction des églises, n'avait aucunes notions d'architecture ; elle agissait évidemment sous la direction des architectes (1), et ceux-ci devaient être fort nombreux, puisqu'on bâtissait partout avec tant d'ardeur au XII. et au XIII. siècles.

Il paraît que, dès cette époque, les maçons ou tailleurs de pierre se réunirent en compagnies, qui avaient leurs statuts et leurs chefs, et qui allaient s'établir dans les lieux où il y avait des édifices religieux à construire. Les différents travaux n'étaient pas indistinctement exécutés par tous les membres ; les uns sculptaient les chapiteaux des colonnes, les autres

(1) Les travailleurs bénévoles étaient principalement occupés à transporter les matériaux. Plusieurs antiquaires attribuent à la difficulté que l'on devait éprouver à voiturer les pierres, le volume peu considérable qu'elles offrent presque toutes dans les constructions du moyen âge; il faut compter aussi pour beaucoup, la facilité que l'on trouvait à manier des pièces d'un petit volume, surtout lorsqu'il fallait les placer dans les pyramides et dans les murs élevés des églises.

« PreviousContinue »