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Maintenant que nous sommes arrivés à l'époque où la révolution architectonique opérée par l'adoption du style ogival est terminée, essayons de mieux saisir les rapports qui existent entre ce nouveau style et celui qui régnait aux XI. et XII®. siècles. Voyons si nous ne trouverons pas dans l'architecture romane les principales combinaisons que nous venons de remarquer dans l'architecture ogivale de la première époque; en d'autres termes, si la première ne renfermait pas une grande partie des éléments de la seconde.

D'abord, si nous comparons les fenêtres aiguës du XIII. siècle avec les fenêtres semi-circulaires du XI. et du XII., nous pourrons remarquer que les lancettes géminées nous représentent absolument, sauf la forme aiguë des arcades, les cintres géminés si souvent employés dans l'architecture romane (pl. VIII, fig, 9—11); les fenêtres disposées trois à trois, telles qu'on en voit à la fin du XII. siècle (pl. VIII, fig. 14), et au XIII., nous rappellent aussi les cintres disposés de même dans le siècle précédent (même pl., fig. 10), et les lancettes géminées surmontées d'une rosace (fig. 19), si fréquentes dans l'architecture ogivale de la première époque ont évidemment leur type dans les cintres géminés surmontés d'une ouverture ronde comme on en trouve, rarement à la vérité, au XII. (fig. 12).

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Dans les XII. et XIII. siècles, on plaçait souvent sur la porte d'entrée, au milieu de la façade de l'Ouest, trois fenêtres régulièrement espacées (Mortain, GourChartres, Saint-Denis, etc.). Nous retrouvons la même combinaison dans les trois fenêtres placées dans beaucoup de façades du XI. et de la première moitié du XIIe siècle.

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La distribution des arcades et des portes est, à peu de chose près, la même dans le XIII. que dans les siècles précédents; si l'on subdivisa en deux parties les principales portes des grands édifices, les arcades géminées réunies sous une autre arcade d'un plus grand diamètre (pl. VIII, fig. 9) avaient donné depuis long-temps l'idée de cette combinaison : nous avons même un exemple de cet accouplement dans les fausses portes de Civray (pl. XII), de Notre-Dame de Poitiers, et de plusieurs autres églises.

Nous avons vu que l'agroupement ou la disposition des colonnes en faisceaux (pl. VIII, fig. 7), l'un des éléments les plus caractéristiques de l'architecture ogivale, avait été fréquent dès le XI. siècle (voir le pilier n°. 4, même pl.), et que dès le commencement du XII. siècle, les chapiteaux présentaient parfois d'élégants feuillages comme dans le XIII.

Quant aux ornements, on peut dire que les trèfles, les quatrefeuilles et quelques autres moulures habituellement employées dans le XIII s'étaient parfois montrés dans le XI. siècle.

Nous pourrions pousser beaucoup plus loin notre examen comparatif, si ce court aperçu ne suffisait pour prouver que la plupart des éléments du nouveau style étaient compris dans l'architecture romane de la dernière époque ; du reste il n'est pas moins extraordinaire que presque partout et presqu'en même temps on ait abandonné le cintre pour l'ogive, l'ancien système pour le nouveau.

J'ai toujours pensé que la belle époque de l'architecture ogivale est le XIII. siècle. Dès la fin du XIV., il y eut moins de rectitude dans les lignes, moins d'harmonie dans l'ensemble, l'architecture perdit de son élévation.

Il faudrait être tout-à-fait dépourvu de sensibilité et d'enthousiasme pour contempler sans émotion l'effet magique de nos belles églises du XIII. Les heureuses proportions observées par les architectes dans la forme des arcades et des fenêtres, la vaste étendue des nefs, ces murs aériens sur lesquels on a semé les découpures et les élégantes broderies; toutes ces merveilles de sculpture et de hardiesse rehaussées par la clarté mystérieuse d'un jour que les vitraux peints ont terni, impriment à l'âme un sentiment éminemment religieux.

Et lorsque placé sous le portique d'une cathédrale, l'œil saisit tout l'espace du temple, parcourt la nef centrale, glisse avec étonnement sous ces voûtes à la fois légères et gigantesques pour venir se perdre dans le lointain où apparaît le rond point, on ne peut se défendre d'une vive exalta'ion, d'une sorte de tressaillement; l'aspect d'une basilique frappe les sens comme le ferait une poésie sublime ou une belle mélodie.

Si de l'intérieur on passe à l'extérieur, on n'est pas moins charmé des proportions à la fois vastes et gracieuses du vaisseau, de l'élégance des tours, de la profusion des clochetons, des arc-boutants et des contreforts.

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L'examen le plus superficiel suffit pour convaincre qu'une pensée prédomine dans les monuments du XIII. siècle, savoir l'élancement, et la direction vers le ciel. Cette forme pyramidale qui se reproduit dans toutes les parties dominantes des édifices, non seulement dans les frontons, les tours, les clochetons; mais encore dans les fenêtres en lancettes, contribue beaucoup à donner aux basiliques une apparence de hauteur qu'elles n'ont pas toujours en réalité. C'est aussi de cet accord dans les formes que naît l'harmo

nie et l'unité qui distinguent si heureusement les monuments de la première époque ogivale.

Quoi qu'il en soit, l'architecture du treizième siècle, cet art admirable qui se brise sous les pesantes mains de nos artistes modernes, est souvent dépréciée par eux et dédaignée comme barbare; la fausseté d'un pareil jugement vient de ce qu'on s'est acharné à comparer l'architecture ogivale avec l'architecture antique, sans réfléchir qu'elles n'ont entre elles aucun rapport et que leurs éléments sont incompatibles.

Pour comprendre l'architecture du moyen âge, il faut d'abord reconnaître que, dans tous les siècles, les croyances religieuses ont puissamment influé sur le caractère de l'architecture. Ainsi, chez les Grecs et les Romains, la religion toute matérielle, je pourrais dire toute naturelle, a produit et devait produire une architecture basée sur des proportions qui ne dépassent pas ce qu'on est convenu d'appeler le bon goût; l'ensemble des parties devait montrer cette grâce, cette élégante simplicité, et en même temps cette richesse que nous admirons dans les édifices des anciens, parce que l'imagination était fixée sur des choses naturelles, et que le type du vrai beau, par rapport à eux, ne sortait pas de la nature physique. La pensée, mue par une religion dont tous les dogmes étaient à la portée de l'intelligence humaine, n'avait rien d'inspiré; ainsi, dans l'architecture antique, tout était méthodique, simple et raisonné (1).

Il n'en est pas de même dans l'architecture ogivale, que l'on pourrait appeler architecture chrétienne; les modernes

(1) Voyez mon Essai sur l'architecture du moyen âge. Cacn 1824, pages 63 et suivantes.

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