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L'architecture romane do'utre-Loire est généralement plus ornée, plus élégante au XII. qu'elle ne l'était en Normandie à la même époque; l'influence du goût oriental est souvent visible dans les monuments d'Outre-Loire ; tandis que ceux de Normandie conservent en général un style plus sévère jusqu'à la naissance du style ogival (1).

D'une part, la forme gracieuse des façades dégagées de ces grosses tours qui chez nous écrasent et rétrécissent les frontispices des églises du XI. et du XII. siècles; de l'autre, l'emploi habituel des rinceaux et des broderies, au lieu du zigzag et des moulures angulaires si fréquentes chez nous, constituent des différences notables qui distinguent, au XII. siècle, le style pictavo-roman du style

normano-roman.

D'un autre côté, la durée de l'architecture à plein cintre peut avoir été un peu plus longue dans certaines provinces que dans d'autres, et si cette supposition était fondée, il serait facile de comprendre pourquoi les monuments du même type offrent dans quelques localités des sculptures plus riches et plus délicates. Je reviendrai tout-à-l'heure sur ce sujet en parlant de l'architecture ogivale.

Quoi qu'il en soit, cette élégance, que nous remarquons dans les monuments romans de quelques parties de la France occidentale, se retrouve en Auvergne et dans d'autres pro

vinces.

(1) Au commencement du XI. siècle la langue romane avait atteint, au-delà de la Loire, un degré de perfection qu'elle n'avait point encore dans les provinces du nord, et les troubadours poitevins savaient tourner leurs vers avec plus d'habileté et d'harmonie que les trouvères normands,ce qui prouve que l'état des arts est presque toujours en rapport avec celui de la littérature.

CHAPITRE VII.

Origine du style ogival.

Nous venons de voir que l'emploi de l'ogive devint fréquent dans le cours du XIIe. siècle ; un changement aussi important que la substitution de cette nouvelle arcade au plein cintre, a piqué vivement la curiosité de ceux qui ont étudié l'histoire de l'architecture. Presque tous ont cherché la solution des deux questions suivantes intimement liées l'une à l'autre : dans quelle contrée l'ogive a-t-elle pris naissance? à quelle époque a-t-elle été adoptée dans l'Europe occidentale ?

Considérée dans toute son étendue, la première question a donné lieu à beaucoup de controverses.

En laissant de côté les opinions plus ou moins bizarres de quelques antiquaires, on peut réduire à trois les principales hypothèses émises sur l'origine du style ogival.

Suivant les uns, ce genre d'architecture existait très-anciennement en Orient, et les Croisés, enthousiasmés de ce qu'ils avaient observé dans ce pays, importèrent l'ogive en Europe, où elle fut généralement adoptée peu de temps après.

Les seconds sont d'accord avec les premiers quant à l'origine de l'ogive; mais ils croient que les Maures avaient introduit cette arcade en Espagne avant les Croisades et qu'elle se répandit de là dans toute l'Europe, en même temps que la philosophie arabe.

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Les troisièmes rejettent les deux systèmes précédents, et prétendent que l'architecture à ogives est née dans l'Europe occidentale.

Contentons-nous de prendre rapidement connaissance des principaux arguments employés pour ou contre ces différentes hypothèses.

D'abord on ne peut nier que l'arcade de tiers point ne fût connue long-temps avant d'être appliquée à un système particulier d'architecture; le type de cette arcade existe dans les ouvertures formées de pierres surplombant les unes sur les autres, comme on en voit dans plusieurs monuments en Chine, en Egypte et ailleurs.

Mais il y a loin de ces arcades grossières aux ogives propreya ment dites et au système d'architecture, dont elles forment l'un des principaux caractères ; aussi de pareils faits ne sontils d'aucune importance pour la solution du problême qui nous occupe.

Whittington et lord Aberdeen regardent le style ogival comme originaire de l'Orient. Ainsi que je l'ai dit précédemment (voir les pages 15 et 16), ils ont habilement défendu cette opinion, et leurs arguments ont beaucoup contribué à la faire prévaloir aux yeux de quelques antiquaires. Lord Aberdeen affirme que si l'on traçait une ligne partant du Pont-Euxin, passant par Constantinople et se terminant en Egypte, on trouverait dans plusieurs régions, à l'Est de cette zône, de fréquents exemples d'arcades pointues accompagnées des formes maigres et légères qui caractérisent l'architecture ogivale; notamment dans l'Asie mineure, l'Arabie la Perse et sur les bords de la mer Caspienne jusqu'aux déserts de la Tartarie. Le noble écrivain convient qu'il serait impossible de préciser les dates de ces édifices, mais il pense qu'on doit les regarder comme remontant à une haute antiquité.

M. Haggit, dans les lettres remplies d'érudition qu'il a publiées sur l'architecture à ogive, annonce qu'on a remarqué

A

des inscriptions en caractères cufiques sur des arcades en tiers point, et comme il paraît que cette écriture a été abandonnée dans le X. siècle, il résulterait du fait annoncé que l'ogive aurait été conuue en Orient long-temps avant les Croisades.

Des observations plus récentes, faites en Sicile par un architecte français, M. Hittorf. paraissent confirmer les inductions tirées par M. Haggit,des inscriptions précédentes(1).

Parmi les monuments à ogives, auxquels M. Hittorf assigne une date reculée, est le château de la Ziza, dont j'ai reproduit une esquisse, pl. XIII. Ce château, situé sur la route de Monréal à Palerme, a été construit, à ce qu'on croit, du IX. au XI. siècle, par les Emirs sarrazins qui occupaient la Sicile. La plupart des arcades qu'on y voit à l'intérieur et à l'extérieur sont légèrement aiguës et tout à fait ressemblantes à celles que nous trouvons souvent en France dans les monuments de la fin du XIIe. siècle et du XIII.

Quoi qu'il en soit, le petit nombre de faits recueillis par des observateurs consommés, force les antiquaires qui attribuent au style ogival une origine étrangère à mettre beaucoup de réserve dans leurs assertions; à défaut de renseignements sur les dates des édifices, ils établissent un raisonnement que l'on peut formuler de la manière suivante :

Comment expliquer autrement, disent-ils, la grande révolution qui s'opéra dans l'art de bâtir? Croira-t-on qu'un architecte de France, d'Angleterre ou d'Allemagne ait inventé le style ogival, et que malgré la difficulté des communications, malgré le penchant ordinaire à suivre les anciennes routines, tous les architectes d'Europe se soient entendus pour adopter

(1) Communications verbales de M. Dureau De la Malle et de M. Hittorf.

les nouvelles formes à peu près dans le même temps? ou bien admettra-t-on que plusieurs architectes aient spontanément créé l'architecture à ogives dans les diverses contrées de l'Europe? Cette supposition serait moins vraisemblable

première.

encore que

la

Il est bien plus naturel de penser que le débordement de la population européenne en Orient, qui d'ailleurs a produit une amélioration générale dans les arts et les sciences, fut aussi la cause du changement qui s'opéra dans l'architecture. Les Croisés, partis de tous les points de l'Europe, rapportèrent dans leurs patries respectives l'idée de ce qu'ils avaient vu ; ils voulurent en retracer l'image, aussi l'architecture à ogives s'introduisit dans l'Europe occidentale, vers le temps des Croisades.

Voyons maintenant comment procèdent les antiquaires qui regardent le style ogival comme une invention de l'Occident.

M. Bentham, recherchant l'origine de l'ogive, avoue qu'il n'a pu acquérir de notions satisfaisantes sur cette origine, mais que le croisement des arcs semi-circulaires forme des arcades aiguës (pl. XIII, fig. 1, 2, 3), et que cette combinaison pourrait avoir donné la première idée de l'ogive.

La même opinion a été adoptée par le docteur Milner, qui en a fait l'objet d'une théorie complète, et qui a posé hardiment en principe que l'arcaile en tiers point fut découverte par ceux qui avaient observé les nouvelles formes résultant des cintres enlacés (pl. XII), tels qu'on les disposa sur les murs, pour l'ornement, au XIo. et au XII®. siècles. Afin de combattre Whittington et son noble éditeur, Lord Aberdeen, Milner affirme que ces habiles écrivains ont étudié les monuments de l'Orient sur des planches gravées, inexactes pour la plupart, et auxquelles on ne peut accorder une grande confiance.

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