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cachet savamment barbare, suivant l'expression de M. de Verneilh, le caractérise déjà. Que serait-ce s'il avait subi l'influence caduque du style latin de l'Occident? Mais l'ascendant néo-grec agit au contraire sur le roman de l'époque carlovingienne. Il est au Xe siècle évident à St-Front, qui, pour certains détails, offre de l'analogie avec l'église de Rieux. A St-Front, l'ordre corinthien se rapproche du nôtre. Certains sujets romans des deux églises ont quelque parenté. Comme à Ste-Marie de Rieux, on y trouve encore des piliers à double tailloir formant corniche.

Or, St-Front est un édifice byzantin du X° siècle. St-Benoîtsur-Loire, dont le porche roman date de 1027, nous offre des analogues, dans ses chapiteaux ornés de médaillons et de toutes les décorations romanes de l'époque. Nous en trouvons encore à la nef romane de la cathédrale St-Nazaire de Carcassonne, du XI° siècle ; à quelques parties de l'ornementation de l'ancienne église abbatiale des Bénédictins d'Alet (Aude).

Ce monastère fut pillé et ruiné par le comte de Béziers, en 1032; aussi l'édifice, aujourd'hui en ruines, semble-t-il être du milieu du XI ou du commencement du XII' siècle (1). Nous en trouvons à l'ancienne cathédrale de St-Papoul (Aude), dont l'abside offre des vestiges du style auvergnat du XI° siècle; aux antiques chapiteaux de Ste-Magdeleine de Vezelay; à ceux de St-Sernin de Toulouse, où se contournent des figures grimaçantes; à ceux de l'église de Moissac, où l'on voit, sauf la différence de combinaison et le caprice, s'éloignant à Rieux beaucoup plus de la nature, des lions n'ayant pour deux corps, divisés sur la surface et le retour du chapiteau, qu'une seule tête.

(4) Voir M. Prosper Mérimée. - M. Viollet-Leduc le croit du XII. siècl

Ces reproductions de monstres à deux corps pour une seule tête ou à deux têtes pour un seul corps sont assez générales dans le roman du midi de la France (1).

Arrivée aux rinceaux des montants de la porte principale, la sculpture d'ornementation de l'église de Rieux est à son apogée.

Les deux pieds-droits de l'église de Suger à St-Denis, conservés sauf quelques mutilations, nous offrent un point de comparaison qui n'est pas au désavantage de notre porte dont les montants, fouillés avec autant d'habileté que ceux de 1130, ont cependant un caractère plus archaïque et plus pur.

Ici le faire est le même que dans la sculpture galloromaine. On y distingue les trous nombreux du trépan, la découpure, le coup de ciseau, pour ainsi dire appliqués au corinthianisme antique.

En résumé, l'art néo-grec ou bysantin est un mélange de réminiscences architecturales classiques et de sentiment chrétien, c'est-à-dire l'expression d'un mouvement rénovateur. Le roman est le style latin ou romain dégénéré sans la moindre tentative de renaissance. Et ces amalgames unis parfois à l'imitation très-heureuse de la sculpture antique du Midi, se retrouvent dans la rotonde à coupole que nous essayons d'analyser.

Nous sommes de l'avis de ceux qui pensent que le système développé de la coupole est d'origine romaine. Mais, comme nous l'avons dit, l'Orient a tout une renaissance qui donna le nom de byzantins à des éléments architectoniques romano-grecs très-variés. Nous n'avons guère l'habitude de considérer le Panthéon ou le temple de Bacchus comme les

(1) Elles sont générales dans le roman de toutes les parties de la France. (Observation d'un membre du Congrès.)

modèles qu'au moyen-âge on a voulu directement imiter dans la construction de nos églises à coupoles.

Des types plus chrétiens nous sont offerts par les artistes de Byzance ou de la Syrie, qui se sont efforcés d'approprier une architecture éclectique et renouvelée aux besoins du christianisme.

Et cependant, il faut bien le dire, on pourrait expliquer l'édifice qui nous occupe à l'aide d'un système exclusif de l'imitation byzantine. Le plan circulaire adopté en Orient n'a-t-il pas eu en Occident une influence essentielle ? L'architecture religieuse du temps même de Constantin s'en est inspirée à Rome; St-Vincent-le-Rond (aujourd'hui St-Germain-l'Auxerrois) fut construit à Paris sous Childebert; le St-Sépulcre lui-même ne serait-il pas un monument de la décadence romaine? Le plan et les détails de l'église de Rieux peuvent donc être romans et même gallo-romains.

Nous nous sommes fait ces observations, qui nous ont paru très-justes; et cependant, comme depuis les monuments religieux de l'époque carlovingienne et les rapports multipliés de l'Orient et de l'Occident, toutes les écoles architecturales, y compris celles de Toulouse, d'Auvergne et de Provence, avaient heureusement subi l'influence byzantine, nous avons cru la reconnaître, à notre tour, dans cette église de l'ancien diocèse de Narbonne.

La rotonde du St-Sépulcre, d'ailleurs, qu'on a sans doute voulu imiter à Rieux, n'a-t-elle pas été bâtie par des architectes grecs, plus ou moins initiés aux arts de Byzance? Aussi, l'ordre corinthien imité, mais simplifié, la forme d'un polygone régulier, les colonnes, les arcs plus élevés que dans les constructions romaines, les chapelets de perles, les entrelacs, la couverture placée directement sur l'extrados des voûtes, la coupole centrale épaulée par des voûtes latérales en quart de sphère, la galerie circulaire comme à

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l'église du St-Sépulcre de Jérusalem, sont des traits qui nous ont paru byzantins ou dénotant un effort vers l'esthétique.

L'appareil régulier et moyen (aux joints assez larges), en pierres layées au dehors et piquées au dedans pour recevoir un enduit, les fenêtres de petite dimension, la porte sans narthex, les chapiteaux historiés ou bien figurant des animaux bizarres, tirés des bestiaires, peut-être même d'inspiration gnostique; les matériaux peu précieux et n'ayant jamais servi; les torsades et quelques détails d'ornementation grossièrement ciselés, ressemblent plus particulièrement au roman de la seconde période; les divers membres de l'architecture, n'apparaissant qu'en raison de leur fonction réelle, peuvent également se rattacher aux traditions romanes byzantines.

Il nous est donc permis de compter l'église de RieuxMinervois au nombre des édifices romano-byzantins qui précédèrent la transition du dernier style roman à la transformation ogivale.

Nous avions cru, à ce sujet, remarquer certains retroussis pouvant amener les crochets, mais quelques bouts de feuilles un peu déformés tiennent à tout autre cause. Le temps a principalement sur ceux-là exercé ses ravages.

Le chapiteau, d'ailleurs, qui à la fin de la période romane s'amoindrit et devient plus bas, est encore ici très-saillant, très-élevé et conserve son tailloir carré sur la corbeille, aux quatre cornes très-visibles.

On nous dira peut-être qu'à toutes les époques il y a des artistes avancés et retardataires.

Tout en suivant une impulsion générale, la sculpture, nous le savons, s'est développée, comme tous les arts, d'après les aptitudes particulières des exécutants, les influences de la contrée et le génie des races diverses.

Elle a pu, dans le Midi, rester plus longtemps romaine, pour les raisons que nous avons déjà données.

Mais les termes de comparaison avec les monuments du Languedoc, de l'Aquitaine et de la Provence (1) doivent nous éclairer.

Nous avons autour de nous des édifices à dates certaines qui nous fixent, tantôt par un élément, tantôt par un

autre.

Aussi nous attachons-nous, pour apprécier l'âge de cette église, à la filiation des types plutôt qu'à des textes incertains, parce qu'ils sont obscurs et souvent incomplets.

Nous ne voudrions pas les négliger, toutefois; car l'archéologue doit, selon M. Charles Lenormant, expliquer les monuments par les livres et les livres par les monuments.

Les plus petits renseignements nous sont d'ailleurs indispensables, ayant besoin pour notre fonds des moindres parcelles du trésor scientifique.

Nous nous garderons bien de négliger les documents que les chroniques fournissent à nos recherches.

Ils vont nous aider à lire la date que les arts du moyenâge ont inscrite sur les murs de cette enceinte huit fois séculaire, où répondra bientôt, si nous l'interrogeons, un écho du passé.

« Le plus ancien titre que nous connaissons de Rieux<< Minervois, nous dit le Cartulaire de Carcassonne, ne << remonte pas au-delà de la fin du XIe siècle; mais ce titre « suppose déjà une existence de quelque importance. >>

Or ce titre, que l'excellent recueil de M. Mahul prend dans Catel, et dont nous avons lu la teneur dans le Gallia

(1) La chapelle à coupole de Montmayor, près Arles, fut bâtie en 1019. Viollet-Leduc, Mérimée, C. Lenormant. Charte de fondation de cette chapelle,

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