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marets gardent leur atticisme et leur ironie même quand on vient de lire les petites lettres contre Escobar et Sanchez. Et, en même temps qu'il retrouvait l'art de Pascal, il traduisait l'œuvre de Pascal. Nicole signa du pseudonyme de Wendroke sa traduction latine des Provinciales, comme Pascal avait écrit les Provinciales elles-mêmes sous le masque de Louis de Montalte. Wendroke savait le latin comme Quintilien Louis de Montalte avait bien su le français comme Pascal! Supercherie des supercheries! Le travestissement est à tout le monde, à Port-Royal comme à Ferney, à Pascal ou à Nicole, qui écrivent pour leur Dieu, comme à Voltaire qui écrit « pour son couvent. » Le monde de l'esprit, quelque sérieux que soient les personnages, est un carnaval, même le mercredi des Cendres. Mais heureux sont ceux qui, le matin, sous le soleil du bon Dieu, dénouent leur masque sans rougir!

SAINT ÉVREMONT

1613 1703

Dans cette histoire de notre quarante et unième fauteuil, il faut s'attendre à saluer beaucoup de types divers, à descendre et à remonter les mille courants de la pensée française. Ce fauteuil, n'est-ce pas le siége des libres génies? - Ainsi chaque élection témoignera d'un nouvel accident intellectuel. Après l'abstracteur de quintessences, le rapsode enivré de son ode amoureuse! Après l'historien qui ment la plupart du temps à l'unique fin de se rallier des amis du vrai, le romancier qui ressaisit, par un pan doré de son manteau, la vérité toute trébuchante sur la margelle du puits symbolique! Que de variantes et que de variations du défunt de l'après-midi au candidat du soir, du mystique abîmé dans Jésus au sceptique moins occupé que distrait par le monde, d'Arnauld, fâché de quitter, pour prendre séance, son Évangile et ses pauvres, à Saint

Évremont s'empressant de passer la Manche et de débarquer à Paris pour prononcer un remercîment lu, noté et approuvé déjà par la plus docte de ces élégantes demoiselles Mancini !

Saint-Évremont au fauteuil d'Arnauld! Rapprochement où l'esprit ne se déplaît pas ! Auprès l'austère docteur qui, de Paris plein de sa gloire, voulut faire comme une seconde Thébaïde, j'aime entrevoir Saint-Évremont sage, ingénieux, honnête homme au plus beau sens de l'expression, mais non pas rhéteur; profond parfois, jamais nuageux, écrivain pur comme il est ami sûr, homme accompli enfin, si toutefois la véritable grandeur existait dans une âme que n'a pas renouvelée le rayon divin. Saint-Évremont se trompait, comme tous les épicuriens, comme tous les sensualistes de la terre homme, il s'en tenait à l'humanité, et Dieu ne veut pas que rien aboutisse de ce qui se fait sans lui! Ah! qu'un prône de Pascal eût agi efficacement sur ce cœur! comme il eût tout guéri, tout achevé, tout réparé! Mais Saint-Évremont s'est instruit ailleurs il avait pris ses degrés théologiques à la faculté de Ninon et de la duchesse de Mazarin, qu'il suivit à Londres en son exil! S'il s'attache à d'autres amitiés, ce ne seront pas celles-là encore qui donneront à son intelligence cette vision idéale qui lui manque, en dépit de tant d'autres qualités charmantes! Ni le chevalier de Méré, ni Waller, ni La Fontaine, ni Chaulieu, n'en savent assez sur la métaphysique pour tenir école et se charger d'un tel élève! Ainsi, et faute de son prédécesseur Arnauld, Saint-Évremont court grand risque de ne pas

élever son talent à cette dernière forme de la science morale que n'apprennent ni les Romains ni les Grecs!» Plus ingénieux, plus sagace, moins surchargé surtout que Balzac, il n'eût pas composé pourtant l'éloquente amplification du Socrate chrétien, lui qui, si volontiers, répétait cette parole trouvée par lui plutôt que par Ninon, sa commère: « La joie de l'esprit en marque la force! » Prenons-le donc comme il se livre à nous dans tant d'essais et de dialogues, dans tant de lettres exquises ne lui demandons pas les vertus de Bossuet ou de de Maistre! Mais fêtons-le cordialement s'il nous apparaît riche de ses sentiments délicats enfermés dans un langage d'un tour net et subtil, non pas trop désabusé de la vie, mais pas trop confiant dans l'humaine espèce, affable jusqu'en ses ironies discrètes, Français enfin, et Français de bonne race, qui, d'une main, fraternise avec Charron, et qui, de l'autre, invite déjà Fontenelle à poursuivre! Et qu'à cette heure où, dans ce cercle de maîtres, il revendique aussi son honneur de maîtrise, il soit accueilli, non pas sans doute avec acclamations et transports, mais avec faveur du moins, escorté par l'unanime sourire des Parisiens de l'Attique éternelle, contents de réintégrer un citoyen de plus dans Athènes.

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BOURDALOUE

1632 1704

Quand le choix unanime de l'Académie appela le père Bourdaloue au quarante et unième fauteuil, l'éloquent prédicateur refusa. Il lui fallut l'ordre exprès du supérieur général des jésuites pour le décider à accepter cette gloire qui ne profitait pas au divin Maître.

Bourdaloue, en effet, devait se trouver un peu dépaysé sitôt qu'il n'était plus dans son couvent ou dans l'église. Il était né prêtre, il a vécu prédicateur, il est resté apôtre jusqu'à la mort. Il n'a pas eu besoin pour aller à Dieu d'une de ces crises singulières qui disposent l'àme et qui l'enlèvent à la terre; il n'a pas eu son rayon sur le chemin de Damas! Non. Il a très-simplement grandi dans un milieu catholique; il n'a pas cru qu'il existât pour lui un autre logis que le cloître, un autre rôle à jouer que le sacerdoce. Sans effort, sans prétention d'austérité, sans les raffinements infinis de

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