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« et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles << qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l'es«prit bien fait, j'aime mieux leur conversation que «< celle des hommes on y trouve une certaine douceur <<< qui ne se rencontre point parmi nous; et il me sem«ble, outre cela, qu'elles s'expliquent avec plus de << netteté, et qu'elles donnent un tour plus agréable aux «< choses qu'elles disent. Pour galant, je l'ai été un peu « autrefois; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J'ai renoncé aux fleurettes; et je << m'étonne seulement de ce qu'il y a encore tant d'hon« nêtes gens qui s'occupent à en débiter.

« J'approuve extrêmement les belles passions: elles «< marquent la grandeur de l'àme; et, quoique dans les <«< inquiétudes qu'elles donnent il y ait quelque chose « de contraire à la sévère sagesse, elles s'accommodent « si bien d'ailleurs avec la plus austère vertu, que je <«< crois qu'on ne les saurait condamner avec justice. <«< Moi qui connais tout ce qu'il y a de délicat et de « fort dans les grands sentiments de l'amour, si jamais « je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte; <«mais, de la façon dont je suis, je ne crois pas que «< cette connaissance que j'ai me passe jamais de l'es«prit au cœur. Et pourtant si je n'ai plus la science du <«< cœur, comment vivre? L'esprit, messieurs de l'Aca«démie, ne saurait jouer longtemps le personnage du

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LE GRAND ARNAULD*

1612 1694

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On demandait à Arnauld, assis dans le 41° fauteuil, ce qu'il fallait faire pour se former un bon style. « Lire Cicéron, répondit-il. C'est bien; mais il ne s'agit pas d'écrire en latin. Comment peut-on se former un bon style pour écrire en français? -Ah! si c'est pour écrire en français, reprit Arnauld, il faut lire Cicéron. »

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Arnauld et Ménage se disputèrent le 41° fauteuil à la mort de La Rochefoucauld.

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Ménage, qui était un homme de lettres dans la vieille acception de ce mot, avait écrit contre l'Académie. L'Académie l'avait jusque-là dédaigné. « Au lieu de l'exclure, avait dit un académicien spirituel, -il y en a toujours eu, il faut l'admettre comme on condamne un homme qui a déshonoré une fille à l'épouser. » On sollicita Ménage à se présenter. « Ce ne sera, dit-il, qu'un mariage in extremis, qui ne fera honneur ni à l'un ni à l'autre. » Cependant il se présenta, comme pour obéir au vœu de vieille date de la reine Chris

Malheureusement Arnauld lut Cicéron, mais ne le lut pas bien, ce qui explique aujourd'hui pourquoi on a à peine dans sa bibliothèque un seul volume de celui-là qui fut appelé le grand Arnauld et qui écrivit cent cinquante volumes.

Arnauld a dépensé toute sa force dans les guerres civiles de la religion. Nicole, son compagnon d'études ou plutôt son compagnon de guerre, lui dit un jour qu'il était temps de se reposer. « Vous reposer? N'aurez-vous pas pour vous reposer l'éternité tout entière? » Qui croirait que l'auteur de la Perpétuité de la foi fut, comme Nicole, obligé d'aller cacher son nom et ses œuvres? On peut dire qu'il fut l'âme de la controverse au dix septième siècle. Il eut pour lui Dieu toujours et le pape presque toujours. Aussi, quand l'Église de Paris se réjouissait de la mort de cet hérésiarque, Rome tout entière le pleura comme le plus grand écrivain des temps anciens et modernes. La raison humaine est comme le soleil, qui est resplendissant ici et couvert de nuages là-bas.

tine, qui s'était tant étonnée de ne pas trouver son cher Ménage à l'Académie.

Ménage avait été redouté pour son empire littéraire; comme Balzac et Boileau, ses jugements passaient dans l'opinion. Il avait vécu en poétique familiarité avec Balzac, Scudéri, Benserade, Pellisson et Chapelain. Il avait eu pour protecteur le cardinal Mazarin, pour admirateur la reine Christine, pour écolières madame de Sévigné et madame de La Fayette. C'était un savant plein de trait, mais trop amoureux du bel esprit : il avait un peu fréquenté les Italiens. Boileau lui prit sa place au soleil, Molière l'immola sous le nom de Vadius.

Racine, le grand Racine, osa seul suivre le convoi du grand Arnauld: Boileau, je le dis à la gloire de son esprit, osa consacrer ces vers à la mémoire de son ami de Port-Royal :

Au pied de cet autel de structure grossière,
Git sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit ;
Arnauld, qui sur la gràce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'Église, a, dans l'Église même,
Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein d'un feu qu'en son cœur souffla l'Esprit divin,
Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin;

De tous ces faux docteurs confondit la morale :
Mais, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par la noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'en eùt jamais laissé les cendres en repos,
Si Dieu lui-même, ici, de son ouaille sainte
A ces loups dévorants n'avait caché les os.

Voltaire ne veut pas qu'on plaigne les malheurs de tous ces apôtres de la vérité théologique ou philosophique. Dans leurs disputes, dans les calomnies, dans l'exil même, il trouve une gloire qui les fortifie et des amis qui les consolent, une gloire et des amis qu'ils n'eussent point trouvés en vivant dans la quiétude de l'esprit.

Arnauld aimait tant à disputer, que, se trouvant un jour dans le coche d'Orléans avec des jansénistes trèsenthousiastes de son génie, il s'amusa à les réfuter de

point en point. «Arnauld, le grand Arnauld, ditesvous, si vous le connaissiez comme moi, vous rabattriez beaucoup de votre admiration pour lui.» Et les enthousiastes de s'indigner, et Arnauld d'aller plus loin dans sa guerre contre lui-même. « Croyez-moi, j'ai pris la peine de l'étudier à fond, et dans tout ce fatras je n'ai trouvé que le néant de l'orgueil humain. » Le grand controversiste avait exaspéré à un tel point ses admirateurs, que ceux-ci tinrent conseil pour savoir s'ils ne lui feraient pas un mauvais parti; mais son frère, l'étant venu chercher en carrosse, interrompit la dispute et apprit à tout le monde, à Arnauld lui-même, car il l'avait oublié, que c'était là le grand Arnauld de PortRoyal.

Si cependant un de ses adversaires l'eût pris au mot et lui eût dit alors qu'il avait raison de croire au néant de son esprit et de son orgueil, il lui aurait dit la vérité.

Quel silence aujourd'hui sur son tombeau ! J'écoute, et je n'entends rien que le bruit du vent dans les herbes. Et pourtant il a rempli de son nom et de ses idées tout le dix-septième siècle. Quand il publiait un livre, Rome était émue et l'enfer frémissait, selon les paroles du temps".

« Aujourd'hui le plus beau titre de Port-Royal est d'avoir été l'école de Racine. On ne lit plus Nicole, Hermant, Sacy. La gloire d'Arnauld est un problème; ses querelles paraissent un ridicule. Cependant les esprits les plus éclairés d'un siècle poli ont étudié avec admiration ces auteurs si dédaignés; et Louis XIV a fait lutter sa politique et sa puissance contre la fermeté de quelques théologiens. Port-Royal avait donc une grandeur réelle attestée par la persécution comme par l'enthousiasme. » VILLEMAIN.

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