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Saluons Molière, ce rire étincelant des dieux de l'0lympe, cette gaieté souvent scarronesque, mais toujours humaine. Cette passion profonde qui se nourrit de roses et d'absinthe. Saluons, saluons Molière, parce que, en traversant tous les jours le roman comique *,

n'oblige pas le jeune prem'er à se prendre lui-même pour sujet d'une leçon psychologique; parce qu'Horace, par exemple, ne demande pas à la création entière des termes de comparaison dignes de sa maîtresse; parce qu'il ne s'adresse pas aux violettes et aux étoiles pour exprimer la modestie ou la splendeur de sa bien-aimée. N'en déplaise à vos majorités savantes, Horace, messieurs, est pour moi un personnage vraiment lyrique; il ne veut pas perdre à discourir le temps qu'il peut employer plus utilement pour Agnès et pour lui. Je ne dis pas qu'il récite des odes dignes de Pindare, ni des sonnets dignes de Pétrarque; mais il est lyrique autant qu'il est permis de l'être dans la comédie. » GUSTAVE PLANCHE.

Un jeune poëte, qui aime le dix-septième siècle et qui se souvient du seizième siècle quand il écrit, M. Philoxène Boyer, a peint fraîchement le tableau du Roman comique de Molière :

Il a trente ans, et la charrette

Où vagit son art nouveau-né,
Par un clair jour d'avril, s'arrête
Sur un coteau du Dauphiné.

Tout en défripant leurs costumes
Que décolore le matin,

La Duparc arrange ses plumes,
Gros-René presse le festin!

Mais lui, les pieds dans la rosée,
Humant l'air vif, gai du soleil,
lans sa tête fertilisée

Glane un vers, fleur de son sommeil.

Ou bien, l'entraînant, il demande

A Béjart, qui se fait prier,
Si sa petite sœur Armande
N'est pas d'âge à se marier!

en jouant tous les personnages, depuis le directeur de la troupe de Molière jusqu'au valet de chambre de Louis XIV, il trouvait le temps de pénétrer tous les livres et de connaître tous les cœurs, excepté celui de madame Molière. S'il raillait si gaiement les avocats et les médecins, c'est qu'il aurait pu plaider et signer ordonnance. S'il ne pardonnait pas aux chansons de Mascarille ou au sonnet de Trissotin, c'est qu'il savait Horace par cœur, et qu'il y avait dans son cœur un autre Horace *.

Il aimait tout, comme La Fontaine. Il aimait la musique de Lulli et la peinture de Mignard. Il croyait trop facilement que Mignard continuait Michel-Ange. Mais comme Michel-Ange eût été fier si Molière, à Rome, eût chanté la gloire de la chapelle Sixtine comme il chanta à Paris la Gloire du Val-de-Grâce!

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Il aimait tout, Imais combien d'ennemis sur sa route, depuis Tartufe qu'il a haï jusqu'à sa femme qu'il a aimée !

Pendant que l'Adadémie commençait son Dictionnaire, pendant que Boileau écrivait l'Art poétique, Mo

* « Jamais il ne montre ses personnages corrigés par la leçon qu'ils ont reçue. Il envoie le Misanthrope dans un désert, le Tartufc au cachot; ses jaloux n'imaginent qu'un moyen de ne plus l'être, c'est de renoncer aux femmes; le superstitieux Orgon, trompé par un hypocrite, ne croira plus aux honnêtes gens: il croit abjurer son caractère, et l'auteur le lui conserve par un trait de génie. Son pinceau a si bien réuni la force et la fidélité, que, s'il existait un être isolé, qui ne connût ni l'homme de la nature, ni l'homme de la société, la lecture réfléchie de ce poëte pourrait lui tenir lieu de tous es livres de morale. » CHAMFORT.

lière trouvait, sans les chercher, la grammaire et la poétique des grands esprits. Son théâtre n'est pas seulement l'école de la raison : c'est l'école du bien dire. Le dimanche, en manière de récréation, les collégiens vont rire avec leur ami Molière. Et il se trouve qu'ils en ont plus appris le dimanche que pendant les six jours de classe. Quel professeur les initierait ainsi soudainement à cette langue nourricière et lumineuse, forte comme Dorine, belle comme Célimène?

Au milieu de toutes les transformations nationales, on pourrait dire des ruines de la vieille société, la comédie de Molière, préservée par son masque qui rit de tout sans offenser la vérité, n'a pas subi les atteintes du torrent. Le Vésuve des révolutions a tout englouti, a tout dévoré, a tout châtié; la comédie de Molière a survécu dans sa philosophie, dans sa gaieté, dans son génie tou -/ jours vivant, comme ces fresques d'Herculanum et de Pompéia, qui, après deux mille ans, sont éblouissantes de fraîcheur et de jeunesse, les unes riant encore du beau rire athénien, et les autres penchant toujours la tête au souvenir des passions qui ont agité leur cœur.

LE CARDINAL DE RETZ

1614

1679

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Les livres ont fait plus d'hommes que les hommes n'ont écrit de livres. Sans Homère, sans l'Achille idéal, Alexandre n'aurait peut-être pas franchi l'Hellespont et triomphé au Granique; sans Salluste et sans Plutarque, le cardinal de Retz n'aurait jamais couvé les vanités du conspirateur, et la France aurait eu de moins beaucoup d'émeutes et un admirable écrivain.

Comment, dans la maison de Gondi, eut-on l'idée de vouer à l'Église « l'esprit le moins ecclésiastique qui fût dans l'univers? » Comment ces parents imprévoyants n'avaient-ils pas deviné tout de suite par quels fantômes était obsédé le futur abbé? Catilina, les

*Celui-ci était meilleur comédien que Molière. Aussi, dans son discours de réception, il a dit ces paroles qu'on n'a pas oubliées : « M. de Molière n'a cu qu'un tort, celui d'être comédien. »

Gracques, Rienzi, Lorenzino de Médicis voilà les modèles que se propose, dès sa première année d'études, ce Florentin-Français pour qui l'on rêvait déjà la tiare de Grégoire VII? Tout au plus eût-il continué Jules II, casque en tête et pistolet au poing. Et encore eût-il regretté sous la tente la Morosina et les soupers de Sa Sainteté Léon X. Mais pourquoi chercher des semblables à Paul de Gondi dans cette Rome de la catholicité? Ses frères à lui, je les ai nommés, c'est Catilina, «< Catilina, » dit le président Hénault, avec plus d'esprit, moins grand et moins mé. chant; c'est César encore, le César des premières aventures, voluptueux, endetté, traître à son pays, charmant en somme comme un fils aîné de Vénus. « J'ai supputé, » s'écriait le cardinal de Retz, « et j'ai trouvé qu'à mon âge César devait six fois plus que moi. » Et il allait, voulant se remettre au niveau, attachant sa vanité, c'est La Rochefoucauld qui parle, « à sentir qu'il avait un tel crédit et à entreprendre de s'acquitter. >>

Cette manie d'imitation, c'est le caractère tout entier du cardinal de Retz. Il se résout, « en six jours, à faire le mal par dessein, » encouragé au crime « par d'illustres exemples, justifié par les périls dont il faudra supporter les chances. » Pourvu que le rôle soit théâtral, pourvu qu'il y ait lieu de se remuer, d'être éloquent et d'effrayer les femmes, la moralité de l'action importe peu. Dans les affaires privées, et une fois les portes closes, le cardinal de Retz est un excellent homme, affectueux et facile. Sitôt que la politique recommence,

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