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les contreforts, malgré la plantation oblique des travées à l'intérieur de l'église.

Une conclusion ressort tout naturellement, c'est que l'éclairage de la nef était à l'origine assuré par les fenêtres hautes, puis que, par la suite, des voûtes ayant été construites à un niveau moins élevé, il fallut, en dessous, percer des baies pour assurer une lumière que les anciennes ne pouvaient plus fournir.

Dans son premier état, la nef n'avait pas de voûtes. Il n'y a pas de sérieuses raisons pour ne pas reconnaître la conception originaire du temps de Foulque. L'accident rapporté par Raoul Glaber prouve qu'elle était couverte de charpente

jour de la consécration. Les grandes fenêtres, beaucoup plus semblables par leurs dimensions aux baies carolingiennes, sont bien antérieures à l'époque où on prit l'habitude de réduire les ouvertures pour éviter d'affaiblir la résistance que les murs opposaient aux poussées des voûtes. Elles sont absolument nues, leur ébrasement est à peine sensible; leur cintre est fait de plusieurs rangs de claveaux assez mal liés, d'où les disjonctions actuelles; c'est une imperfection que nous ne retrouverons pas ailleurs. Les reprises provoquées par l'incrustation des colonnes assurent qu'on se trouve en présence du parement primitif, appareil très régulier d'un échantillon assez fort (1), avec de larges joints. d'un mortier très dur. Sur toute la partie inférieure du mur, où des constructions, aujourd'hui heureusement disparues, étaient venues s'adosser, le parement a disparu, laissant à nu un blocage de cailloux noyés dans le même mortier.

Il ne faudrait pas objecter que la largeur (2) du vaisseau dépasse la portée possible de fermes en charpente, car les exemples ne manquent pas de nefs aussi amples: ainsi celle

(1) La proximité des carrières de Loches explique peut-être l'absence complète de petit appareil.

(2) 14 mètres dans œuvre.

construite par Airard à Saint-Remi de Reims (1005), la nef de Fulbert à Chartres (1025), Saint-Ouen à Rouen. Il n'y a pas lieu non plus de s'étonner de la hauteur où sont pratiquées les fenêtres, car l'importance de la nef exigeait une abondante lumière. Or placées plus bas, leurs dimensions les auraient par trop exposées aux entreprises du dehors, sans compter qu'à l'intérieur la nef eût été inhabitable. Quant à la nudité des murs, elle n'est pas très certaine, car il semble bien que les pierres soient régulièrement piquées, comme pour recevoir un enduit; il aurait pu y avoir des peintures murales, comme dans le transept, où les traces en sont indiscutables.

En somme, à cet âge de l'abbaye, la disposition matérielle ne permet pas de supposer autre chose qu'une nef unique très vaste, très haute, couverte de charpente, dont les éléments se rapportent sans doute au commencement du XIe siècle.

La division de ce vaisseau unique en nef de dix travées flanquée de collatéraux est le second état révélé par ce pan de mur. Nous avons vu qu'on avait relancé des colonnes et établi sur doubleaux des voûtes dont les arrachements sont très visibles. La courbe au départ des sommiers suffirait à elle seule à établir qu'il s'agit d'un berceau plein cintre et non d'une voûte en quart de cercle, comme on l'a prétendu (1); mais une photographie (2), qui est antérieure à la construction de la façade moderne (3), vient confirmer encore cette preuve. Elle montre la retombée d'un doubleau du collatéral sur un des anciens supports enchâssé dans le mur servant de clôture à la partie encore utilisée de la nef. Non seulement elle permet d'affirmer que la voûte était en

(1) Congrès archéologique de Loches, 1869, p. 91.

(2) Phot. mon. hist. 6061.

(3) La façade a été élevée récemment par M. Bruneau, architecte en chef des Monuments historiques, la suite du legs d'un habitant de Beaulieu, M. Meusnier.

plein cintre, mais elle montre que l'architecte du XVe siècle, en restaurant les quatre dernières travées de la nef et des bas-côtés, qui furent voûtés d'ogives, n'a fait que suivre l'ancien plan, car, au revers de la clôture, le support s'aligne sur les piles de l'église. D'ailleurs, des fragments de colonnes très heureusement conservés sur ces piles témoignent qu'elles se composent des anciens supports euxmêmes, simplement retaillés et adaptés aux goûts régnants à ce moment. Le plan se restitue ainsi de lui-même la nef, jadis unique, a été partagée en trois vaisseaux par deux files de supports carrés, flanqués sur chaque face d'une colonne à demi engagée qui supportait les doubleaux et les grandes arcades. Les collatéraux étaient hauts et étroits, mais en raison du faible rayon de la voûte et de la grande. épaisseur des murs, il ne s'est produit aucun déversement. Ainsi remaniée, l'église de Beaulieu se rattachait à l'école. du Poitou.

Le berceau central comportait également des doubleaux, sinon la présence de témoins de colonnes du côté de la nef serait inexplicable. Enfin, il devait être en plein eintre d'une part, en effet, on n'y rencontre aucun tracé brisé avant les travaux du XVe siècle; d'autre part, il est assez singulier de constater que le sommet d'une pareille voûte, facile à déduire en supposant les naissances au même niveau que dans les collatéraux, vient coïncider avec la clef (1) d'un arc énorme, bandé à l'extrémité orientale de la nef, en avant du transept, et qui appartenait certainement à la construction précédente.

A cet endroit, en effet, deux piles carrées, massives, prolongeant les murs des croisillons dans les collatéraux actuels, reçoivent les sommiers d'un arc très épais, composé de deux rangées de claveaux, indépendantes l'une de l'autre, et superposées. Or, si les deux piles occidentales de la.

(1) Hauteur sous clef : 16 mètres.

croisée avaient existé, l'architecte n'aurait pas lancé un arc de 12 mètres d'ouverture pour franchir l'espace d'une seule volée. Il aurait utilisé les supports intermédiaires qui obstruent les collatéraux. Cet arc est donc antérieur aux voûtes il faut le considérer comme l'arc triomphal de la nef unique.

A s'en rapporter aux tendances actuelles, voûter une

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nef indiquerait le XIIe siècle; ici on aurait quelque répugnance à suivre ces théories, on éprouve l'impression d'une époque plus reculée. Comme l'avait très justement fait observer M. Bouet (1), les chapiteaux qui seraient le plus à en rapprocher sont les plus anciens de Saint-Étienne de Caen. Or, Saint-Etienne fut consacré en 1077, et la vogue

(1) Bulletin Monumental, 1868, p. 650, et Congrès archéologique de Loches, 1869, p. 91.

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Église de Beaulieu-les-Loches.

Partie de l'arc triomphal visible sous la voûte.

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