Page images
PDF
EPUB

le développement et la prospérité de la nouvelle Société des Sciences, Lettres et Arts de Saumur qui vient d'éclore. Notre confrère le colonel Picard, qui la préside, saura la guider dans la bonne voie.

Je constate avec plaisir que le programme très chargé de nos journées n'effraye pas les dames et les jeunes filles qui veulent s'instruire en prenant part à nos tournées archéologiques et en écoutant nos discussions scientifiques. J'admire leur vaillance et je leur présente mes respectueux hommages. Enfin, nous sommes les obligés de la presse angevine et le concours de ses aimables représentants, qui ont fait valoir l'intérêt de nos excursions, nous a valu de nombreux adhérents.

Après notre séjour à Saumur, Angers recevra notre visite. En 1871, la Société française d'Archéologie y tint un brillant Congrès présidé par M. de Caumont. M. Gustave d'Espinay et M. Godard-Faultrier dissertèrent sur les monuments de la ville et sur les églises romanes de l'Anjou; M. l'abbé Choyer indiqua les caractères de l'architecture religieuse sous les Plantagenets; et notre savant inspecteur M. Louis de Farcy commença l'étude de sa chère cathédrale qu'il devait fouiller plus tard pour exhumer les restes de celle du XIe siècle. Parmi ses autres titres à la reconnaissance des archéologues, je signalerai sa grande monographie de Saint-Maurice d'Angers, dont il a sauvegardé les célèbres tapisseries, et son ouvrage capital sur la broderie qui fait autorité dans le monde scientifique. Je suis heureux que M. le Maire de Saumur ait mis en relief tous les mérites des archéologues et des historiens de cette belle province, comme Célestin Port et ses émules.

L'Anjou, qui fut toujours un centre artistique depuis que Foulques Nerra, ce grand bâtisseur, fit élever de nouveaux monastères, fut soumis à l'influence poitevine jusqu'au milieu du XIIe siècle, comme le prouvent les chevets du Ronceray d'Angers, de Fontevrault et de Cunault, mais à cette époque, les architectes de la région créèrent un style, dit Plantagenet, qu'il serait beaucoup plus logique de désigner sous le nom de style gothique angevin. En effet, c'est à la fin du XIIe siècle et surtout au XIIIe siècle, après la réunion de l'Anjou à la couronne, que cette école présente des caractères vraiment originaux. Son

domaine s'étendit non seulement sur le Poitou, car la cathédrale de Poitiers est certainement l'œuvre d'un architecte angevin, mais aussi sur l'Angoumois, la Saintonge, la Touraine et le Blésois.

La curieuse structure des voûtes d'ogives angevines, dont les nervures traversent les compartiments de remplissage, devrait donner lieu à de nouvelles études techniques. Vous en verrez les meilleurs spécimens à Saint-Serge d'Angers, à Saint-Jean de Saumur, à Asnières, à Airvault et à Saint-Jouin-de-Marnes. Je crois devoir insister sur le fait que ces voûtes ne dérivent pas des coupoles, comme on l'a souvent prétendu, car les voûtains appareillés en lits circulaires, comme dans la tour de SaintAubin d'Angers et sur le carré du transept de Saint-Pierre et de Notre-Dame-de-Nantilly, à Saumur, sont de véritables exceptions. D'ailleurs, les voûtes d'ogives très bombées ne sont pas spéciales à l'Anjou, car on en rencontre dans la plupart des églises du XII' siècle de l'Ile-de-France. Il faudrait aussi étudier les autres particularités de cette école, comme la persistance de la tradition poitevine, qui donne aux bas-côtés la même hauteur qu'à la nef, les chevets plats, les arcatures des façades, les têtes d'anges et les petits animaux qui se détachent sur les tailloirs des chapiteaux.

La Société française d'Archéologie, heureuse d'avoir recruté de nouveaux adhérents en Anjou, comprend aujourd'hui 1.130 membres. Sa vitalité s'est affirmée cette année par les conférences de votre directeur sur les clochers romans; de M. Cagnat, membre de l'Institut, sur Timgad et Pompéi; de M. Vitry, sur la sculpture de la Renaissance au Musée du Trocadéro, et de M. Henry d'Allemagne, sur son voyage en Perse. Les excursions faites à Meaux, La Ferté-Milon, Saint-Loup-de-Naud, Provins, Rouen, Boscherville, Caudebec, Saint-Wandrille et Jumièges ont été suivies par une centaine de nos confrères. Chacun de vous a reçu les deux volumes du Congrès de Caen qui renferment l'excellent guide de notre secrétaire général M. Serbat, et des mémoires rédigés avec le plus grand soin. Trois cent dix-neuf phototypies et dessins accompagnent le texte : nous ne pouvions fêter par un résultat plus durable le soixante-quinzième anniversaire de notre fondation.

Le Bulletin Monumental continue à n'insérer que des articles de choix sur les églises et les châteaux de la France. Je saisis cette occasion de remercier mes fidèles collaborateurs, ainsi que les auteurs des petites monographies nouvellement parues dans la collection dirigée par mes soins et éditée par notre confrère M. Laurens, sous les auspices de notre Société. M. Anglès, inspecteur de l'Aveyron, a fait paraître celle de l'abbaye de Moissac; M. Demaison, inspecteur général, celle de la cathédrale de Reims; M. Jean Laran, inspecteur du Tarn, celle de la cathédrale d'Albi, et M. Gabriel Fleury, inspecteur de la Sarthe, celle de la cathédrale du Mans. L'histoire de ces beaux édifices et les problèmes qui se rattachent à leur construction se trouvent ainsi mis au point. Une description sommaire, mais précise, accompagnée d'un bon plan et d'une abondante illustration, rafraichit la mémoire du lecteur ou le prépare à une visite plus documentée.

En tête de la liste des distinctions dont les membres de notre Société ont été l'objet en 1910, se place l'élection de M. Maurice Prou à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Nous nous réjouissons tous de voir ainsi consacrée l'érudition si sûre d'un professeur à l'École des Chartes, qui est aussi versé dans la paléographie que dans la critique des textes, dans la diplomatique que dans la numismatique. Notre confrère trouve encore le temps de publier le Bulletin archéologique, de suivre les séances de la Société archéologique de Sens et quelques excursions de nos Congrès. Je prie Mme Prou de lui transmettre les cordiales félicitations de ses nombreux amis.

Nos confrères MM. Georges Sens et Paul Tesnière ont été nommés chevaliers de la Légion d'honneur, et M. Lauer vient d'être promu officier de l'Instruction publique. La Société centrale des architectes a décerné des grandes médailles à MM. Alfred Besnard et Ernest Bizot, pour leurs études sur les monuments français.

La mort a fait cette année un grand vide dans notre Comité d'honneur en nous enlevant notre éminent confrère M. Auguste Choisy, inspecteur général des ponts et chaussées. Il avait puisé le goût de l'archéologie dans ses voyages en Orient et dans ses leçons aux élèves de l'École polytechnique. Ses travaux si remar

quables sur l'art de bâtir chez les Romains, chez les Byzantins et chez les Égyptiens servent en quelque sorte de préface à cette magistrale Histoire de l'Architecture où il a su condenser tant de notes, tant de recherches et de nouvelles théories sur l'origine des formes. De nombreux croquis schématiques et des perspectives très originales permettent au lecteur de comprendre toutes les particularités de la structure de tel ou tel édifice.

Depuis longtemps, il travaillait à une nouvelle traduction des œuvres de Vitruve, accompagnée d'un savant commentaire. Le troisième volume était achevé, quand un malencontreux accident a mis fin à sa laborieuse existence. L'Académie des Inscriptions lui avait décerné le prix Bordin, et la Société des Architectes britanniques l'avait choisi comme titulaire d'une grande médaille d'or, mais M. Choisy ne recherchait ni les titres, ni les honneurs. Son seul plaisir était de s'asseoir à sa table de travail, de mettre au point un dessin difficile et d'être utile à ceux qui étudient les monuments du passé.

Nous avons également perdu deux inspecteurs divisionnaires. M. Antoine Vachez, président de l'Académie des Sciences, BellesLettres et Arts de Lyon, ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats, avait souvent pris part à nos Congrès et avait écrit une intéressante étude sur les vases acoustiques, dans le Bulletin Monumental. Il avait conservé dans sa vieillesse toute l'activité de son esprit, et les discours prononcés à ses obsèques prouvent en quelle estime notre confrère était tenu par l'élite de la Société lyonnaise.

M. le marquis Albert des Méloizes, inspecteur divisionnaire du Berri, du Nivernais et du Bourbonnais, comptait beaucoup d'amis dans vos rangs. Président de la Société des Antiquaires du Centre, il avait voué aux monuments de Bourges un véritable culte artistique. Faut-il rappeler ici tous les titres de ses ouvrages, comme cette magnifique monographie des vitraux de la cathédrale qui fera toujours autorité, ces études sur les antiquités préhistoriques et gallo-romaines du Berri, cet armorial des archevêques qui est sa dernière œuvre, et toutes ces notices qui portent l'empreinte de sa profonde érudition? Il avait formé le projet d'écrire l'histoire de Bourges à travers les âges, afin de faire profiter ses concitoyens de toutes ses recherches sur l'épigra

phie, la numismatique, l'iconographie et de mettre en relief toutes les richesses archéologiques de la ville.

En 1898, quand mon prédécesseur résolut de tenir un Congrès à Bourges, notre regretté confrère fut l'organisateur le plus zélé de cette session. Il avait rédigé un guide très intéressant sur les monuments de la région, et quand M. le comte de Marsy s'excusa de ne pouvoir lui décerner pour la seconde fois la grande médaille de vermeil qui lui avait été attribuée quelques années auparavant, les applaudissements de l'auditoire furent la meilleure récompense de ses mérites et de sa modestie.

Travailleur infatigable, toujours prêt à encourager les efforts de ses collègues, il se plaisait à enrichir ses dossiers de notes substantielles où les érudits pourront puiser de précieux documents. C'était un noble cœur, un modèle de désintéressement, qui savait pratiquer discrètement la charité, comme tant d'autres vertus. En adressant à son fils, membre de notre Société, les douloureuses sympathies de tous nos confrères, je suis certain qu'il sera le digne continuateur des traditions paternelles.

Pour remplacer ces deux dignitaires, votre Conseil a fait choix de M. Lucien Bégule, auteur de la grande monographie de la cathédrale de Lyon, et de M. François Deshoulières, inspecteur du Cher, qui a donné à notre Société tant de preuves de zèle et de dévouement.

M. Arthur Bouneault, inspecteur des Deux-Sèvres, architecte à Niort, qui avait surveillé les travaux de restauration de plusieurs monuments historiques du Poitou, a légué au Musée lapidaire, dont il était conservateur, une précieuse collection de relevés et de moulages. Lauréat du Congrès de Poitiers, il avait été initié à l'archéologie par notre ami Berthelé, qui se plaisait à reconnaître les mérites de son collaborateur. Je tiens à rendre encore un dernier hommage à Ernest Prarond, ancien président de la Société d'émulation d'Abbeville, bien connu par ses importants ouvrages sur l'histoire et les rues de cette vieille cité, sur les communes du Ponthieu et sur la topographie locale; à Victor Canet, ancien professeur de droit à l'Institut catholique de Lille; à Lucien Wiener, conservateur honoraire du Musée historique lorrain, et à Louis Dessain, dont la modestie égalait le savoir.

« PreviousContinue »