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La parole est donnée à M. Héron de Villefosse, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, délégué de M. le Ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts, qui s'exprime ainsi :

MESDAMES, MESsieurs,

« Être bien tranquille chez soi est le plus atroce de tous les supplices; je ne comprends pas qu'on ne l'ait pas mis en enfer! Comment Dante n'a-t-il pas pensé à nous montrer un homme en robe de chambre au quatrième ou au cinquième cercle de son Enfer, assis au coin de son feu, dans son fauteuil, les pieds dans ses pantoufles? C'eût été certainement le dernier degré de l'horreur et peut-être n'a-t-il pas osé nous tracer un tableau si affreux ».

C'est ainsi que s'exprimait Alfred de Musset, en l'an de grâce 1840, dans une lettre écrite à un ami. Chaque année, au mois de juin, quand, avec le soleil et les fleurs, revient l'époque de votre Congrès, vous éprouvez la même sensation que Musset et, dominés par une attraction toujours nouvelle, vous abandonnez pour quelques jours votre foyer familial afin de vous retremper dans les joies très pures de l'Archéologie. Souffrez que je vous en félicite, heureux de me trouver en parfaite communion d'idées

avec vous.

Il y a quarante-huit ans, presque jour pour jour, en 1862, vous vous réunissiez à Saumur pour la première fois; ici même s'ouvrait votre 29 Congrès qui devait, comme celui-ci, se continuer à Angers. Quand je dis « vous », c'est une manière de parler, car je crains que nous ayons le grand regret de ne pas voir aujourd'hui tous les survivants de cette séance. S'il en est cependant quelques-uns dans cette enceinte, je les salue avec respect; je les prie d'agréer nos premiers compliments. Combien de confrères, hélas! et non des moindres, dont vous gardez fidèlement la mémoire, vous ont été enlevés depuis cette époque et manquent aujourd'hui à l'appel!

Il y a donc près d'un demi-siècle que la ville de Saumur attendait votre retour; à vrai dire, je crois qu'elle vous espérait fermement depuis quelques années. Mais il y a toujours une part

d'imprévu dans vos déplacements et des raisons diverses s'opposent parfois au prompt accomplissement de vos désirs les plus légitimes. Le jour est enfin arrivé où vous avez pris la résolution de revenir dans cette jolie ville, certains d'y goûter les charmes d'une aimable réception et d'un accueil empressé. Nous y célébrons aujourd'hui l'ouverture de votre 77 Congrès; c'est une joie pour tous ceux qui y prennent part de le voir présidé par un éminent enfant de l'Anjou, dont nous saluons la présence comme un gage de bonheur et de succès. Les bonnes fées qui veillent sur vous depuis longtemps et qui protègent vos travaux assurent d'ailleurs que cette année la moisson doit être abondante et féconde.

L'empressement que vous avez mis à venir en Anjou est le plus bel hommage qui puisse être rendu aux monuments de cette province. La renommée du pays vous attirait autant que l'importance des édifices. Au cours de leurs expéditions lointaines et glorieuses, les Angevins n'ont jamais oublié leurs traditions d'art; partout où ils ont passé, partout où ils ont soutenu les droits et l'honneur de la France, on retrouve leur trace éclatante. Nous ne pouvons contempler aujourd'hui sans émotion les monuments qu'ils ont construits sur la terre étrangère et qui y demeurent comme les témoins de leur vaillance et de leur goût. Ceux dont vous vous proposez d'entreprendre la visite et l'étude ont été élevés dans des circonstances et avec des préoccupations différentes. Mais tous font également partie de ce patrimoine artistique; ils parlent tous avec la même éloquence à nos yeux et à nos cœurs. Leur vue transmet aux vivants les traditions du passé; ils rappellent aux foules le génie des ancêtres; ils nous conservent quelque chose de l'âme et des idées de ceux qui ne sont plus. Aussi le programme de ce Congrès devait toucher des esprits comme les vôtres: vous l'avez élargi avec la pensée généreuse d'accorder un souvenir reconnaissant à ceux qui ont travaillé pour la grandeur de la patrie !

Le but poursuivi par la Société française d'Archéologie est à la fois scientifique et moral. Une active curiosité vous pousse à rechercher les monuments que des mains françaises ont bâtis depuis des siècles sur la terre française, à les examiner dans leurs moindres détails, à étudier avec soin les problèmes que

soulève leur construction. Vous vous plaisez à en admirer la hardiesse et l'élégance; vous êtes prêts à en retracer l'histoire, à en établir la chronologie; vous cherchez à retrouver, si c'est possible, les noms de ceux qui les ont élevés. En honorant les œuvres des grands architectes ou de leurs modestes imitateurs, vous les honorez eux-mêmes. En même temps que vous vous efforcez d'assurer la conservation de ces vieux édifices, vous voulez apprendre, à ceux qui ne le comprennent pas encore, le respect qu'on doit à ces pierres vénérables, vous voulez leur montrer les enseignements utiles et salutaires qu'elles peuvent fournir à nos historiens et à nos artistes.

L'heure semble plus favorable que jamais pour exercer cette action morale et protectrice. Vous apportez de la sorte une précieuse collaboration aux pouvoirs publics auxquels incombe le grand devoir de sauvegarder nos monuments historiques. Vos efforts viennent seconder le zèle de la grande Commission qui, depuis tant d'années, préside à la conservation des chefs-d'œuvre de notre architecture nationale, dont elle est devenue comme la tutrice légale. En me faisant l'honneur de me déléguer près de vous, M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts m'a chargé de vous en témoigner sa gratitude. Je suis heureux de vous renouveler en même temps, au nom du Comité des Travaux historiques et, en particulier, au nom de la section d'Archéologie, les assurances d'une sympathie dont vous n'ignorez ni la sincérité, ni la profondeur.

Si les édifices religieux et civils du moyen âge tiennent une large place dans vos préoccupations, votre programme vous autorise cependant à traiter toutes les questions relatives à nos origines et à notre histoire la plus lointaine. On le constate aisément en ouvrant ce beau volume du Congrès de Caen, dont l'illustration hors ligne, jointe à un texte de valeur, dont les dimensions extraordinaires elles-mêmes peuvent à bon droit Vous causer quelque fierté. Votre dévoué secrétaire général, M. Serbat, en fut le meilleur et le plus laborieux ouvrier. Ce volume, qu'il me semble difficile de surpasser, renferme des travaux d'un vif intérêt et d'une variété frappante. Sans parler de la partie fondamentale consacrée à notre architecture médiévale, on y trouve, à côté de considérations sur les temps préhistoriques,

plusieurs études documentaires concernant l'époque de l'indépendance ou ceile de la domination romaine. Vous vous efforcez d'accueillir toutes les recherches et d'encourager toutes les bonnes volontés.

C'est dans les séances du soir, après les longues journées consacrées aux excursions, qu'oubliant leurs fatigues, les plus intrépides d'entre vous entretiennent le Congrès des antiquités locales, trop souvent mal connues, mais que d'ingénieuses observations savent toujours mettre en pleine lumière. Dans un pays où les grands monuments de l'antiquité ont péri, où les témoins de la civilisation romaine demeurent si rares, où peut-être on a quelque peu tardé à les apprécier et à les recueillir, nous ne devons rien négliger de ce qui peut nous aider à pénétrer dans le passé. C'est ce qui m'enhardit à vous rappeler une découverte faite dans ce département, il y a bientôt soixante-quinze ans, et dont l'histoire, à mon avis, mériterait quelques nouvelles recherches. Je crains que ces objets n'aient été un peu oubliés des archéologues angevins. Il est vrai qu'ils leur ont été enlevés et que les absents ont souvent tort! Pourquoi ne sont-ils pas restés en Anjou? Par une de ces circonstances fatales contre lesquelles on ne peut rien. Vendus à la mort de leur premier possesseur, ils ont pris de suite le chemin de l'exil. Heureusement, ils n'ont pas franchi les mers, ils sont restés en France; c'est au Musée du Louvre qu'ils ont trouvé un asile sûr et définitif.

Découvert au moment où l'on était encore sous l'impression des magnificences du trésor de Bernay, celui de Notre-Damed'Allençon resta dans l'ombre et passa presque inaperçu. Il ne méritait pas ce sort injuste. Si les inscriptions que portent quelques-uns de ses vases ont été déchiffrées par des spécialistes, jamais on n'a publié de bonnes images des soixante pièces d'argenterie dont il se compose et dont quelques-unes présentent encore des traces fort apparentes de dorure.

Mercure était le dieu des gens heureux ou, du moins, des gens qui prétendaient trouver le bonheur dans la possession des biens terrestres. Ceux dont il favorisait les entreprises pouvaient le récompenser de ses bontés par des présents somptueux. Si le trésor de Bernay nous éblouit par sa richesse, par l'éclat des œu

vres d'art, par la conception des scènes représentées et le travail délicat des reliefs qui rappellent les plus belles pièces d'argenterie trouvées à Pompéi ou à Boscoréale, celui de Notre-Damed'Allençon offre un tout autre caractère. Il nous attire et nous charme par sa simplicité; il nous fait pénétrer dans un de ces sanctuaires, comme il devait y en avoir beaucoup en Gaule à l'époque romaine, où la piété populaire s'affirmait sans tapage, par des offrandes plus modestes, par des dons utiles à la célébration du culte, produits pour la plupart de l'industrie indigène.

Deux grands masques de femme, de style franchement gaulois. mais d'un caractère indécis qui ne permet pas de les attribuer avec précision à une déesse, en sont peut-être les plus curieux morceaux. On y trouve de petits bustes ayant servi à la décoration de meubles ou de vases, des emblemata détachés de leurs cadres, dont l'un représente Apollon entouré de ses attributs, l'autre un personnage victorieux dans lequel on a cru reconnaìtre l'empereur Caracalla, de petits génies ailés en marche et des oiseaux gazouillant sous de frais ombrages. Le reste de cette argenterie comprend surtout des ustensiles de nombreuses coupes aussi différentes de forme que de décor, tantôt complètement unies, tantôt ornées de poursuites d'animaux, de feuillages, de godrons, de filets concentriques, de cannelures, de rosaces, de coquilles, de rinceaux et de points en relief. On y rencontre également des patères à manche en forme de casserole, des cuillers et de ces feuilles d'arbres dont les nervures légères sont exprimées par des traits repoussés, offrandes assez fréquentes dans les sanctuaires antiques. Tel est l'état sommaire de ce trésor qui contient quelques spécimens fort intéressants de l'argenterie courante, fabriquée en Gaule, aussi bien pour le service des dieux que pour celui des humains.

Près de l'endroit où eut lieu cette découverte, il y avait sans doute un temple et probablement un lieu de pèlerinage. On y venait implorer une divinité dans le secours de laquelle on avait quelque confiance. C'était la sage Minerve; son nom, légèrement tracé à la pointe, se lit encore sur bon nombre des objets en question. Deux de ces ex-voto nous apprennent que Gaudilla et Primilla, pieuses femmes qui avaient prié la déesse, avaient été exaucées et qu'elles s'empressèrent de lui témoigner leur

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