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Il faut aussi mentionner les belles clefs de voûtes circulaires décorées de véritables bas-reliefs à plusieurs personnages et les motifs qui occupent l'extrémité des liernes. C'est à la même époque qu'il faut attribuer, croyons-nous, les quatre grandes statues qui furent posées sur les chapiteaux romans, à l'entrée des croisillons, pour dissimuler la trop grande saillie de ces chapiteaux par rapport à la nouvelle arcade. Enfin, c'est à cette campagne de travaux qu'appartiennent les fenêtres en lancette et une chapelle à voûtes angevines, détruite au XIVe siècle et dont M. l'abbé Plat a retrouvé les traces dans le mur oriental du croisillon sud.

Dans la même abbaye de la Trinité, non loin du chœur de l'église, est une chapelle, aujourd'hui désaffectée et comprise dans le quartier de cavalerie qui occupe les anciens bâtiments abbatiaux. La nef de cette chapelle est romane. mais le choeur a été rebâti, au XIIIe siècle, dans le style angevin. Il se compose d'une travée rectangulaire et d'une abside à trois pans. La travée rectangulaire et non pas carrée, comme il est d'usage dans les édifices de ce style — a une voûte bombée à liernes; la voûte de l'abside a deux branches d'ogives et trois liernes venant se réunir au sommet du doubleau à tore unique qui la sépare de la travée précédente. Les colonnettes d'angle encadrant exactement les fenêtres en lancette, flanquées elles-mêmes, de chaque côté, d'une double colonnette, les surfaces murales, contrairement à ce qu'on observe habituellement dans les églises angevines, sont presque complètement supprimées.

Telles sont, sauf omission,

toutes les églises de style gothique angevin, assez nombreuses et assez intéressantes, comme on voit, que l'on rencontre dans le départe

ment de Loir-et-Cher. Nous ne prétendons pas, dans les

notes sommaires que nous leur avons consacrées, avoir épuisé le sujet; quelques-unes d'entre elles mériteraient d'ailleurs à elles seules une monographie spéciale. Nous estimerons, cependant, avoir atteint le but que nous nous étions proposé si ce travail peut faire connaître aux archéologues quelques monuments nouveaux, et s'il peut fournir des matériaux suffisamment détaillés et précis aux érudits. qui entreprendront un jour une étude complète de l'architecture gothique du sud-ouest de la France.

XV

LA CROIX

D'ANJOU

Par M. L. de FARCY.

Pour la seconde fois depuis le XVe siècle, la célèbre vraie-croix de l'abbaye de La Boissière, conservée aujourd'hui aux Incurables de Baugé, fut apportée à Angers.

Il s'agissait de faire connaître aux membres du Congrès de la Société française d'Archéologie cette précieuse relique, de leur montrer ses beaux fleurons d'or enrichis de perles et de pierreries, enfin de leur apprendre l'origine d'un emblème héraldique, intéressant la croix d'Anjou, devenue, au XVIe siècle, dans le langage ordinaire, la croix de Lorraine.

Ainsi nomme-t-on communément la croix à double traverse, adoptée par les ducs de Lorraine sur leurs monnaies, après la réunion de l'Anjou à la couronne. Mais, comme l'a si bien démontré M. Moranvillé dans son article: Il n'y a pas de croix de Lorraine, l'emblème de ce nom a succédé à la croix d'Anjou, et son origine n'est autre que la croix de l'abbaye de La Boissière.

La plupart des croix. rapportées de Terre-Sainte et d'Orient par les Croisés, possédaient une double traverse : on les appelait croix de Grèce ou croix d'outre-mer.

Telle est la croix à double traverse de la Roche-Foulques, près d'Angers, conservée au musée Saint-Jean. Son ornementation correspond bien à la date de 1158, année de la fondation de la chapelle de la Croix, élevée près de leur château par Foulques de Cleers et son fils Geoffroi. Sur une âme en bois sont appliquées des lames d'or, semées d'intailles et de cabochons entre les filigranes; la relique occupait le centre. Quant à la partie postérieure, elle est décorée d'un rinceau estampé, d'un style bien caractérisé.

Telle aussi la vraie-croix d'or frisé, du XIIe ou du XIIIe siècle, toute filigranée, étincelante de 122 pierres fines, haute d'un pied et demi, de la cathédrale d'Angers. Elle n'existe plus, mais on la décrit ainsi en 1421 : « Item una crux de auro, reliquiis plena, in qua sunt VIII lapides, de quibus defficiunt quinque lapides ad dupplicem crucem et ad pedem... » L'inventaire de 1495 ajoute : « ... in brachiis crucis apparent plures reliquiæ et in medio utriusque ex una parte apparent de reliquiis sanctæ crucis... »

Le musée Saint-Jean d'Angers possède une miniature, provenant de la collection Mordret, qui reproduit une superbe croix d'orfèvrerie à double traverse, des dernières années du XVe siècle. Il serait intéressant de retrouver l'original dans une église d'Espagne, car la belle fleur de lis épanouie au-dessus du crucifix et les entrelacs de la bordure trahissent l'origine de cette merveilleuse peinture. Quel dommage que les habiles miniaturistes du moyen âge n'aient pas plus souvent consacré leur talent à de semblables travaux ! Ils avaient alors tant de chefs-d'œuvre d'orfèvrerie, dignes de leurs pinceaux!

Parlons maintenant de la croix d'Anjou.

J'avais adopté en 1895, un peu à la légère, je l'avoue, l'opinion de M. Germain de Maidy : « La croix de Lorraine, qui remonte comme emblème de ce duché à René II (14731508) et vint par la maison d'Anjou, dérive directement de la croix de Hongrie ».

L'année suivante, une étude sur les « Relations existant entre les croix de Hongrie, d'Anjou et de Lorraine », me dissuada et m'engagea à chercher ailleurs qu'en Hongrie l'origine de la croix de Lorraine.

En effet, si la croix de Hongrie est à double traverse, ses extrémités sont pattées, sa partie inférieure est fichée: telle nous la voyons sur le sceau d'Agnès, reine de Hongrie, en 1301. Or, celle de Lorraine a les extrémités droites. On la trouve partout ainsi représentée, sur les sceaux, les basreliefs, les tapisseries, les broderies et les miniatures. M. Germain écrit encore : « Tout porte donc à penser que le duc de Lorraine ignorait l'origine précise de la croix double du roi René, et qu'il l'adopta comme un emblème de famille. provenant de la maison d'Anjou ». Je ne le crois pas le duc de Lorraine ne pouvait s'y méprendre : il avait dû voir encore dans la chapelle du château la croix de La Boissière - la tapisserie de l'Apocalypse, sur laquelle elle était représentée, plusieurs clefs de voûte timbrées de la croix double, l'une dans la chapelle, l'autre dans une chambre voisine, un certain nombre de pièces d'argenterie, ciselées de la croix double; enfin, la croix de La Boissière portait, à la mort du roi René,et sans doute auparavant,le nom de croix d'Anjou. M. Germain de Maidy n'aurait, j'imagine, émis aucun doute, s'il avait connu la dévotion de Louis Ier, de Louis II, de Louis II et de René pour cette précieuse vraie-croix, dont voici l'histoire :

Parmi les reliques enlevées au XIIIe siècle à Constantinople, le comte Riant nous montre la croix, dont il s'agit, dans le trésor de Sainte-Marie-Évergète, avant d'être en la possession de Thomas, évêque d'Hierapétra et d'Arcadie, qui la donna, en 1241, avec d'autres reliques, à Jean d'Alluye, un des seigneurs bannerets de Philippe Auguste. Il se distingua en Terre-Sainte et conserva l'île de Crète aux chrétiens.

«Sachez tous, dit l'évêque Thomas, dans une charte, écrite en la cité de Candie en 1241, que Jean d'Alluye, seigneur de

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