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vin avec un cierge. Et le diable lui apparut trois jours de suite sous une forme humaine et lui demanda où elle allait. Comme elle lui exposait le motif de sa démarche, il lui dit : « Ne prends pas une peine inutile, la messe est déjà dite. » Et ainsi, durant trois jours, il l'empêcha d'aller à la messe et de faire dire la messe pour son mari. Ensuite, quelqu'un qui creusait dans ces mêmes rochers entendit une voix qui lui criait : « Travaille avec précaution, car une grosse pierre menace ma tête. » Et il eut peur et il appela ses compagnons, et l'on creusa la terre, et l'on trouva sain et sauf celui que l'on croyait mort. Interrogé comment il avait pu vivre si longtemps, il dit que chaque jour il lui était apporté un pain, une mesure de vin et un cierge, mais que durant trois jours de suite tout cela lui avait manqué. Et sa femme reconnut alors qu'il avait eu pour nourriture ce qu'elle offrait chaque jour, et que le diable l'avait trompée. Cet événement s'est passé, ainsi que l'assure Pierre de Cluny, dans une ville nommée Ferrare, au diocèse de Grenoble. Saint Grégoire raconte qu'un marinier, ayant fait naufrage, sortit plein de vie de la mer, un prêtre ayant offert pour lui le saint sacrifice. Lorsqu'on lui demanda comment il s'était sauvé, il dit que, se trouvant au milieu de la mer, et ses forces l'abandonnant, il vit venir à lui quelqu'un qui lui offrit un pain. Il en mangea et reprit aussitôt sa vigueur, et il fut recueilli à bord d'un navire qui passait par là. Et il se trouva que ce fut précisément à la même heure où le prêtre consacra l'hostie qu'il reçut ce pain.

L'observation du jeûne profite aussi aux défunts, ainsi que le dit saint Grégoire en ces termes : « Les âmes des morts sont délivrées de quatre manières: par les offrandes des prêtres, par les prières des saints, par les aumônes des gens charitables, par les jeûnes de leurs parents. » Un docteur très-éclairé raconte qu'une femme, ayant perdu son mari, se livrait au désespoir de se trouver réduite à la misère. Et le diable lui apparut, lui disant qu'il l'enrichirait si elle voulait se conformer à sa volonté. Elle le promit, et il lui recommanda d'abord d'induire à fornication les ecclésiastiques qu'elle logerait chez elle. En second lieu, de recevoir les pauvres dans le jour et, la nuit, de les chasser sans les avoir assistés. En troisième lieu, de troubler par son babil les

prières à l'église. En quatrième lieu, qu'elle ne se confesserait jamais. Cette femme, approchant enfin du moment de la mort, et son fils lui conseillant de se confesser, elle lui avoua ce qui s'était passé, et lui dit qu'elle ne le pouvait pas et qu'aucune confession ne pourrait lui être utile. Mais le fils, insistant avec larmes et promettant qu'il lui ferait obtenir son pardon, elle fut touchée de repentir et l'envoya chercher un prêtre. Mais avant que le prêtre arrivât, des démons accoururent et se jetèrent sur elle, et elle mourut d'horreur et d'effroi à leur aspect. Son fils confessa pour elle son péché et fit de grandes aumônes, et il vit ensuite sa mère qui lui annonça qu'elle était délivrée et qui lui rendit grâce.

Les indulgences de l'Église profitent aussi aux morts. Un légat du siége apostolique pressait un militaire distingué de servir l'Église dans le pays albigeois; et ayant fait une indulgence pour son père, qui était mort, il y resta quarante jours. Ensuite son père lui apparut tout brillant de clarté et lui rendit grâce de sa délivrance. Les morts ne peuvent être soulagés que par les prières ou les bonnes œuvres de ceux qui sont dans la charité, car l'intercession des méchants ne peut rien pour eux. On lit qu'un certain chevalier, étant au lit avec sa femme, regardait par la croisée la lune qui jetait une grande lumière, et il s'étonnait de ce que l'homme, créature raisonnable, n'obéissait pas à son Créateur, tandis que les objets créés et privés de raison obéissaient à Dieu. Et comme il pensait mal d'un de ses compagnons qui était mort, tout à coup ce mort entre dans le lit et il dit : « Mon ami, ne forme pas au sujet du prochain des soupçons fâcheux, et excuse-moi si j'ai, en quelque chose, péché contre toi. » Et étant interrogé sur l'état dans lequel il se trouvait, il dit : « Je suis affligé de diverses peines, surtout parce que j'ai violé un cimetière, et que là, blessant quelqu'un, je l'ai dépouillé de son manteau. Maintenant ce manteau pèse sur moi plus qu'une montagne. » Et il pria son compagnon de faire prier pour lui. Et l'autre lui demandant s'il voulait que ces prières fussent faites par tel ou tel prêtre, lui, ne répondant rien, faisait de la tête signe que non. Son compagnon lui demanda alors s'il voulait qu'un certain ermite priât pour lui, et il répondit : « Plût à Dieu qu'il priât pour

moi!» Et lorsqu'il eut reçu la promesse que cela se ferait, il dit : « Je t'annonce que tu mourras à pareil jour dans deux ans. » Il disparut aussitôt, et le chevalier amenda sa vie, et il s'endormit dans le Seigneur.

Ce que nous disons que les prières faites par les méchants ne profitent point aux défunts, ne doit point s'entendre du saint sacrifice de la messe, qu'un mauvais ministre ne peut infirmer. Mais si le défunt ou l'un de ses amis a laissé à des méchants des obligations à remplir, des aumônes à distribuer ou des prières à faire, ceuxci doivent s'en acquitter tout de suite, de peur qu'il ne leur arrive ce qu'on dit être arrivé une fois. Un chevalier qui servait, ainsi que le raconte Turpin dans les Guerres de Charlemagne avec les Maures, pria un de ses parents, s'il venait à mourir pendant la guerre, de vendre son cheval et d'en donner le prix aux pauvres. Il mourut, et le parent garda le cheval, qu'il trouva à son gré. Et peu de temps après, le mort lui apparut, entouré de la splendeur du soleil, et lui dit : «Tu m'as fait, pendant huit jours, souffrir les peines du purgatoire, en ne vendant pas ce cheval dont je t'avais dit de distribuer le prix aux pauvres; mais tu ne resteras pas sans châtiment. Aujourd'hui, les diables emporteront ton âme en enfer, et moi je m'en irai, purifié, au royaume des cieux. » Et l'on entendit aussitôt dans l'air comme des hurlements de lions, d'ours et de loups, et le pécheur fut emporté par les diables.

FIN DU TOME PREMIER.

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