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-Parce que, dans cet écrit, j'ai découvert des mensonges infâmes.

-Que veux-tu dire par là?

-Je veux dire que si, étant Basilien, tu as eu le malheur d'apostasier, c'est une preuve qu'après avoir reconnu l'ivraie parmi le bon grain saint Basile l'a rejetée, ou bien que toimême, te reconnaissant indigne de te trouver au nombre de ses enfants, tu les as abandonnés par une double apostasie. A ces paroles il grinça des dents et s'écria: Tais-toi, hydre infernale!

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-Ne m'appelle pas hydre infernale, mais plutôt hydre de la vérité.

-Qui est-ce qui te donne l'audace de me tenir un pareil langage?

-Dien lui-même.

- Qui est-ce qui te l'a appris?

-L'Esprit-Saint.

-Sais-tu à qui tu parles?

-A un apostat.

-Ne savez-vous pas que j'ai été votre évêque, votre pasteur, et que je suis à présent plus qu'évêque, plus que pasteur? -Oui, il est vrai, tu as été notre pasteur; mais maintenant tu es le loup dévorant de ton troupeau. »><

Voyant le même courage dans toutes nos Sœurs, il s'écria: «Arrête, et redeviens ce que tu as toujours été; je t'ai toujours connue bonne et douce comme un ange, et maintenant tu me parais être un démon.

-Tant que tu as été ange, je t'ai traité comme un ange; mais, depuis que tu es devenu démon, je te traite comme je dois traiter un démon.

-Je te pardonne en faveur de la bénignité de l'empereur, qui veut bien vous accorder trois mois pour réfléchir; si vous reconnaissez la vérité, vous jouirez de vos biens et vous mériterez la grâce de Sa Majesté; mais si vous vous obstinez dans votre résistance, je vous annonce tout ce que vous pouvez Vous figurer de plus affreux.

-Dans ce qu'il y a de plus affreux, nous choisirons le pire pour souffrir davantage; mais nous n'abandonnerons jamais notre sainte foi catholique, apostolique et romaine. »

Après le départ de SIEMASZKO, nous nous informâmes si les couvents voisins avaient eu à subir une semblable épreuve. Nous apprîmes que SIEMASZKO avait adressé de pareilles invitations par écrit, même à des religieuses du rit latin.

Le troisième jour après cette scène commençait à peine lorsque SIEMASZKо, accompagné du gouverneur civil de Minsk, USZAKOFF, et d'une troupe armée, força, à cinq heures du matin, les portes du couvent, et y entra au moment même où nous sortions de nos cellules pour nous rendre au chœur. Les soldats se jetèrent sur les portes de nos chambres pour nous en défendre l'entrée. A la vue du danger toutes les Sœurs se groupèrent autour de moi. (C'était un vendredi.)

« Où allez-vous? nous demanda brusquement SIEMASZKO. A la méditation..

- A la méditation, à la méditation,» dit-il en souriant; puis il ajouta : « Par ordre de Sa Majesté, je vous avais accordé trois mois ; mais je viens dès le troisième jour, car le mal pourrait empirer. Voilà donc le dernier moment de liberté qui vous reste; vous êtes encore libres de choisir entre les richesses que vous possédez, jointes à celles que la magnanimité de l'empereur est prête à y ajouter, si vous passez à la religion orthodoxe, et les travaux forcés et la Sibérie, si vous persistez dans votre refus.

- De ces deux choses nous choisissons la meilleure, c'està-dire les travaux forcés et cent Sibéries, plutôt que d'abandonner Jésus-Christ et son vicaire.

- Attendez un peu; lorsqu'à force de verges je vous aurai enlevé la peau dans laquelle vous êtes nées, et qu'une autre peau aura recouvert vos os, vous deviendrez plus traitables. »

Toutes mes Sœurs poussèrent un cri d'indignation, et j'entendis distinctement la voix de ma Soeur WAWRZECKA qui lui dit « Enlève notre peau, enlève notre chair, brise nos os; mais nous resterons fidèles à Jésus-Christ et à son vicaire. »

A ces mots SIEMASZKO donna l'ordre aux soldats de nous chasser; il blasphémait horriblement, et, enragé de colère contre moi, il s'écria: «O sang de chien polonais! sang de chien varsovien! je t'arracherai la langue! »

Lorsque nous fùmes près de la porte de l'église, je me jetai aux pieds, non de SIEMASZKO, mais du gouverneur, en lui de

mandant avec un accent de douleur indicible la permission de faire nos adieux à Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le SaintSacrement. SIEMASZKO me dit une nouvelle injure; mais le gouverneur accéda à ma demande. Nous nous précipitâmes dans l'église en sanglotant, et, prosternées devant le Saint-Sacrement, nous priâmes ensemble pendant un instant. «Seigneur, <dîmes-nous, nous voulons ce que vous voulez; accompagneznous, fortifiez-nous, apprenez-nous les mystères de votre Passion, pour que nous ayons la soif et le courage de mourir < pour vous. >>

Nous étions trente-cinq, et, lorsque les soldats recurent l'ordre de nous chasser de l'église, trente-quatre se levèrent; la trente-cinquième était restée morte devant le Saint-Sacrement son cœur s'était ouvert de douleur et d'amour. Cette bonne Sœur s'appelait Rosalie LANSZECKA, religieuse depuis trente ans; elle était âgée de cinquante-sept ans.

Au sortir de l'église je me jetai de nouveau aux pieds du gouverneur, en le suppliant de nous laisser emporter un crucifix, pour que la vue de notre Sauveur crucifié nous apprît à porter notre croix. SIEMASZKO s'obstinait à ne pas nous le permettre; on avait même arraché de nos mains le crucifix contenant les reliques de saint Basile, qui était en argent et enrichi de pierres fines; mais le gouverneur nous permit au moins de porter devant nous celui qui était en bois, et dont on se servait dans les processions. Je le portai tout le long du chemin, l'appuyant sur mon épaule gauche. Ah! que de consolations il nous donna dans toutes les peines de notre marche forcée, depuis MINSK jusqu'à WITEBSK! Il était bien lourd, il est vrai, mais bien plus doux encore! il nous mettait devant les yeux toute la Passion de Notre-Seigneur. Ah! quelle est profonde la plaie de l'épaule gauche, sur laquelle notre Sauveur appuya la croix en la portant! trois os décharnés en sortaient, teints de ce sang précieux qui sauva le monde 1!!

Lorsqu'on nous eut chassées, nos enfants s'éveillèrent en sursaut et coururent après nous en se lamentant et en criant:

On sait qu'en Allemagne et dans les pays slaves les pieux catholiques honorent par une dévotion spéciale la plaie qu'ils supposent avoir été faite à l'épaule de NotreSeigneur par le poids de la croix que ses bourreaux l'obligèrent de porter avant de l'y stacher.

« On a enlevé nos mères! on a enlevé nos mères! » C'étaient nos orphelines, au nombre de quarante-sept, et nos autres élèves au nombre de soixante environ. Aux cris des enfants, les habitants de la ville s'éveillèrent aussi, et les plus courageux et les plus zélés se joignirent à elles.

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Ces bonnes âmes nous atteignirent à notre première halte, près d'une auberge nommée WYGODKA, à une lieue environ, où l'on nous arrêta pour nous attacher deux à deux et nous mettre les fers aux pieds et aux mains.

Entourées de baïonnettes, nous ne pouvions donner que des pleurs à nos chères enfants et aux bons fidèles qui demandaient à genoux notre bénédiction, malgré les coups de crosse dont on les accablait.

Enfin on écarta et chassa le peuple, et on nous fit aller à marche forcée, sans égard à ce que beaucoup d'entre nous saignaient de la bouche et du nez à force de fatigue. On relevait celles qui tombaient en les frappant à coups redoublés.

Après nous avoir enchaînées, on nous donna à chacune la valeur de 5 francs, nous promettant que tous les mois nous toucherions une pareille somme pour notre entretien; mais jamais depuis on ne nous donna ni argent ni nourriture; et les 5 francs à peine distribués nous furent aussitôt enlevés par l'officier commandant qui s'était chargé d'être notre économe, et qui une fois seulement nous acheta du pain, du lait et de la bière.

Les plus zélés d'entre les habitants de MINSK nous suivirent de près pendant plusieurs heures; mais on ne leur permit pas de nous offrir ni soulagement ni aumône quelconque.

Le premier jour on nous fit faire environ quinze lieues ; nous passâmes la nuit dans un village où nous fùmes logées dans des cabanes de paysans, dont quelques-uns nous disaient des injures et d'autres s'apitoyaient sur nous et nous offraient même leur souper; mais chacune de nous avait deux soldats qui ne permettaient pas qu'on nous offrit quelque chose de cuit.

Après sept jours d'une pareille marche nous arrivâmes à WITEBSK. La croix de Jésus-Christ fut notre force et notre soutien. Ce cher crucifix était sur mon épaule jour et nuit, et ma tête reposait continuellement sur les pieds de mon Maître! Oh! que ce Maitre est doux!...

A WITEBSK, on nous mit sous le commandement d'un PROTO

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