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PRÈS ces études préliminaires sur les camps de la Somme, passons aux castra des vallées de P'Adour et du Gave.

Notre examen portera sur quatre campements: le Thun ou Castera de la rivière, près

d'Aire, sur l'Adour; le Castera d'Argagnon, sur le Gave, dans le

1870

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canton d'Orthez; ceux de Lac et de Lescar, en amont de ce dernier, sur la même rivière.

Et d'abord, nous devons faire observer que si les turons gaulois nous ont présenté divers dessins et diverses formes, les castra romains qui nous sont connus sont tous construits sur les mêmes plans et les mêmes dimensions. Placés invariablement au confluent de deux cours d'eau, ils occupent l'extrémité d'une colline formant promontoire à la jonction de deux vallées, conformément aux recommandations de Polybe et de Végèze, dont nous avons déjà constaté l'application dans ceux de la Picardie. Dans le Béarn, comme sur la Somme, les ingénieurs ont choisi l'extrémité d'une colline pour asseoir le camp; ils ont marqué l'espace nécessaire à l'installation d'une armée trois fois plus faible que celle qui opérait sur la Somme, et n'ont donné aux castra que deux à trois hectares de superficie. Cependant les tranchées ouvertes pour fortifier le camp dans la partie accessible, les remparts élevés sur les bords, sont aussi considérables que ceux des rives de la Somme. Le fossé principal mesure 14 à 20 mètres de largeur sur 6 à 8 de profondeur; si bien que l'escarpement total, rempart et fossé compris, ne présente pas moins de 14 à 16 mètres.

Un contre-fossé régnait sur le bord extérieur de la tranchée principale; il avait 2 mètres de largeur, 2 mètres de profondeur, avec un rejet de terre de 1 mètre 50 centimètres. Cet obstacle, habilement disposé, empêchait l'assiégeant de prendre la course et de se précipiter à l'assaut du grand parapet, avec une rapidité multipliée par un élan pris à longue distance; au lieu de s'élancer comme un torrent dans la tranchée, il était condamné à y descendre péniblement pour y rester exposé aux traits de l'assiégé.

Rien de plus imposant que cette vallée artificielle, valle atque fossa, dont les dimensions égalaient ordinairement le vallon naturel du ruisseau; et l'on se demande comment des travaux aussi gigantesques pouvaient être exécutés par les soldats en une ou deux journées de travail. Le grand rempart, dressé sur le bord intérieur de la tranchée, se continuait d'ailleurs sur tout le périmètre

du camp, mais en diminuant de hauteur à mesure qu'il s'éloignait de la tranchée, de manière à ne conserver que 2 à 3 mètres d'élévation au-dessus de l'enceinte. Comme la colline avait 25 à 30 mètres d'élévation naturelle, le camp se trouvait protégé de ce côté par un escarpement tout aussi haut que du côté du fossé maître.

L'intérieur du camp, de forme généralement elliptique, suivait d'ailleurs la configuration irrégulière du terrain; on évitait, toutefois, autant que possible, les angles saillants; on ménageait, au contraire, des coins arrondis qui présentaient moins de prise à l'attaque et plus de facilité à la défense. Talus et remparts enfin avaient, comme ceux des camps gaulois, une inclinaison uniforme de 60 à 63 degrés; si bien que les Aquitains, guidés par la seule expérience, les Romains, conduits par l'étude raisonnée, étaient arrivés aux mêmes résultats pour résoudre le problème de la plus forte inclinaison possible, combinée avec la solidité désirable des déblais et des remblais.

Telles sont les conditions générales des quatre campements que nous venons de nommer, dans la partie qui formait le castrum de l'armée régulière; mais il ressort de l'inspection des lieux, que ce premier camp recevait un complément dont il est essentiel de tenir compte. Un second fossé coupait une autre section de la colline, plus étendue que la première, et formait ainsi un camp supplémentaire placé en avant du premier.

Le fossé qui le protégeait était beaucoup moins considérable que la grande tranchée du premier, et n'avait guère plus de 5 mètres de profondeur sur 3 mètres de large. C'était probablement dans cette enceinte que l'on plaçait les alliés, qui se trouvaient ainsi sous la surveillance directe des légions, et obligés de repousser les premiers l'attaque de l'ennemi. Les légionnaires seuls campaient, les auxiliaires ne faisaient que bivaquer.

Nous allons compléter cette description générale des camps romains du Béarn en donnant les détails et les mesures qui concernent chacun d'eux en particulier.

Au Thun de la rivière, sur l'Adour, il est à remarquer que le

camp proprement dit a conservé intacts sa tranchée et son double rempart, mais que l'enceinte a été considérablement rognée, déformée par suite des inondations du fleuve et du ruisseau qui baignent la base de la colliue et en ont fait ébouler une partie. Le grand camp antérieur, en revanche, est resté complet, plus que sur tout autre point le fossé de cinq mètres et les parapets qui le clôturent n'ont pas subi la moindre altération.

Dans le camp d'Argagnon, au contraire (1), l'enceinte du castrum est parfaitement conservée dans ses parties essentielles; la grande tranchée, le rempart intérieur, sont intacts; les parapets de un à trois mètres, qui couronnaient les escarpements naturels, ont seuls disparu; mais dans le camp des auxiliaires, le contre-fossé latéral à la grande tranchée a été comblé; le grand fossé clôturant la seconde enceinte a eu le même sort; le plateau seul a parfaitement conservé sa surface régulièrement nivelée.

Le camp de Lac a subi des transformations analogues, mais nous n'entrerons pas ici dans les détails qui le concernent; nous remettons à plus tard la description de ses plus remarquables particularités (2).

Celui de Lescar, enfin (5), a conservé, tout aussi bien que celui d'Argagnon, sa grande tranchée, son rempart principal et les parapets circulaires de l'enceinte; l'ouverture d'accès ou porte décumane offre encore, ce qui ne se retrouve dans aucune autre, les remparts et les éperons qui la protégeaient; mais le camp supplémentaire a perdu toutes ses fortifications; il n'offre plus qu'une surface plane conforme à son ancienne destination.

Ces divers castra du Béarn ont été moins heureux que ceux de la Somme; ils ont tous perdu jusqu'à la moindre trace du matorium. Nous avions d'abord pensé que leur peu d'étendue avait sans

(1) Il forme aujourd'hui le parc du château de M. Larrabure, sénateur. (2) Il est compris de nos jours dans le parc du château de M. Lestapis.

(3) Il forme une partie du parc du château de M. le sénateur Dariste, qui, en faisant ouvrir une allée à travers le grand rempart, a découvert une médaille d'Antonin, une autre d'Auguste et un fer de lance de 30 centimètres.

doute rendu inutile l'érection d'un tumulus, pour faciliter l'inspection du préteur et la transmission de ses commandements: mais la tradition rapporte que le camp d'Argagnon possédait, il y a quelques années encore, cette élévation artificielle, à l'endroit où sont aujourd'hui les communs du château, et comme ce point est justement celui où devait se trouver le prætorium, il est permis de croire que les camps de la vallée de l'Adour et de la plaine du Gave possédaient ce complément tout comme ceux de la Somme, et qu'ils ne l'ont perdu qu'à la suite des éboulements causés par les inondations de l'Adour ou des nivellements exécutés de main d'homme.

Cette comparaison des camps de la Somme avec ceux de l'Adour et du Gave donne lieu à des observations dignes de remarque: les premiers occupent les deux rives du fleuve; ceux du Béarn sont tous les trois sur la rive droite du Gave. A cette première différence succèdent des points de ressemblance plus importants. Les distances qui les séparent sont à peu près les mêmes dans la Picardie on compte 14 kilomètres de Tirancourt à Létoile, et 9 de Létoile à Liercourt. Dans le Béarn, on compte 17 kilomètres de Lescar à Lac et 9 de Lac à Argagnon.

Troisième observation, enfin, et la plus importante de toutes, les dimensions des tranchées et celles des remparts sont à peu près les mêmes dans les camps des deux régions, malgré les différences notables de l'étendue des enceintes fortifiées; on dirait même que ces dimensions diminuent en raison inverse du périmètre des enceintes.

Dans celles de la Somme, qui occupent 9, 20 et 32 hectares, elles sont moins considérables que dans celles du Béarn, qui ne renferment que 2, 3 et 4 hectares. Serait-ce qu'à Liercourt la nature pierreuse et calcaire a gêné le travail des terrassiers? Seraitce qu'un camp de 22,000 hommes, comme celui de Tirancourt, avait moins à craindre une attaque des Gaulois qu'un camp de 6,000 hommes, comme ceux des vallées du Gave, et que l'impor tance des fortifications augmentât en raison de la faiblesse de

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