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Le XIII° siècle ne pouvait lui offrir un modèle d'ostensoir on sait qu'il n'en existe point de cette époque. La fête du Corpus Domini n'avait été instituée qu'en 1205 par Urbain IV, et, suivant toute probabilité, l'usage des processions spéciales à ce jour ne fut adopté que quelques années après. Au XIe siècle, il est vrai, nous apprenons dans Mabillon (1) que l'on portait solennellement le corps de Jésus-Christ, dans plusieurs églises de Normandie et d'Angleterre, le dimanche des Rameaux, à la procession qui rappelle l'entrée du Sauveur à Jérusalem; mais alors l'hostie n'était point à découvert. Elle resta longtemps renfermée, soit dans les pixides, soit dans des tours pédiculées, soit dans des cylindres portés par des anges.

Certaines monstrances que l'on croit n'avoir jamais contenu que des reliques, ont dû avoir d'abord la destination de nos ostensoirs; ce qui est hors de doute, c'est qu'elles ont fourni les premiers modèles. L'ostensoir de Conques, qui est à juste titre regardé comme un des plus anciens, présente l'hostie renfermée dans un cercle qu'entourent des lobes; deux autres justement célèbres, celui de Belem, que le roi de Portugal a envoyé à l'exposition universelle de 1867, et dont la richesse est extrême; et celui publié dans les Mélanges d'archéologie, sous le nom de Charles-Quint, conservent et exagèrent même le luxe architectural de certaines monstrances; ils amènent cependant à la forme adoptée au XVIe siècle. A cette époque, et l'on dit que la pensée en est due à Raphaël (2), l'art emprunta la figure du soleil pour donner une auréole à l'hostie in sole posuit tabernaculum suum. Mais ces soleils n'eurent point dans l'origine, comme trop souvent de nos jours, des rayons multipliés et lourds, chargés de nuages, d'épis ou de vigne; ils offrirent leur forme radieuse et symbolique, en laissant au foyer toute son importance. Citons, parmi les plus beaux de cette époque, l'ostensoir dit de la Fête-Dieu, qui appartient au trésor de

(1) Mabillon, Comment. sur l'ordre romain: Ma Ital., t. II, page 66.

(2) Barbier de Montault, l'Exposition religieuse à Rome.

:

Saint-Pierre de Rome le pied est en cristal de roche monté en or, qu'enrichissent des émaux translucides; la partie supérieure rayonne et flamboie. Depuis trois siècles, telle est la forme adoptée ou du moins la pensée appliquée à ce vase liturgique, dont les ornements ont varié suivant le caprice et le goût. Comme on va en juger par la description qu'il en donne lui-même, M. l'abbé Pougnet a su joindre à cette donnée générale une grande richesse. Nous lui cédons la parole:

« L'ostensoir de Saint-Vincent-de-Paul a de hauteur environ un mètre; son poids est de neuf kilogrammes. Tout entier de vermeil ou argent doré, il est couvert de ierres précieuses et de diamants au nombre de 769. On y voit du jaspe, de l'agate-onyx, une chalcédoine, une chrysolithe, des hyacinthes, une splendide escarboucle, des aigues marines, des topazes, des saphirs, des améthystes, des grenats, quelques rubis, beaucoup de perles fines et de riches éméraudes; le nombre des brillants est très-considérable. La plupart de ces pierres ayant été données, on a cru devoir conserver les bijoux dans la forme qu'ils avaient entre les mains des donateurs, qui les reconnaissent avec une satisfaction bien légitime.

« Des inscriptions cachées sous le pied, rappellent, avec la date de l'offrande par l'association perpétuelle du Très-Saint-Sacrement, le nom du pontife occupant le siége de Marseille, ceux du curé, du directeur de l'Association, de l'auteur et de l'orfèvre.

« La forme générale de l'ostensoir, d'après les usages reçus et les prescriptions de l'Église, est celle du soleil. En voici l'ordonnance particulière.

Quatre grands reptiles ailés se raidissent sur leurs serres puissantes pour former les nerfs principaux du pied dont ils garnissent les angles, fournissant ainsi une assiette solide de l'ostensoir. Leur cou descend vers la terre, contre laquelle leur mâchoire inférieure semble clouée; on reconnaît qu'ils sont condamnés à ramper; la tension de leurs muscles indique les efforts qu'ils font pour résister; ils cherchent à se redresser, mais des animaux plus petits

s'acharnent après eux, et s'attachent à leurs oreilles ou à leur cou pour les dévorer. Aussi la gueule béante des monstres témoigne d'une rage impuissante; ils sont vaincus; leurs yeux jettent le feu, leurs narines s'élèvent contre le ciel; leurs queues, terminées par une tête sauvage, se replient convulsivement et mordent avec fureur de plantureux feuillages, qui se recourbent en volutes gracieuses. Des statues couronnées, tenant divers attributs, sont assises paisiblement dans les rinceaux, et de jeunes enfants se sont élancés sur le dos contracté des quatre monstres, qu'ils foulent aux pieds. Ces monstres sont l'aspic et le basilic, le lion et le dragon. Un léger ruban les relie et limite la bordure du pied, dont les quatre faces, tournées vers les quatre points cardinaux, sont entièrement formées de rinceaux à jour entremêlés de toute une population d'animaux sauvages ou domestiques singulièrement accouplés le lion et la brebis, le léopard et le chevreau, l'ours et le veau, le loup et l'agneau. Des enfants s'y montrent pareillement, et quatre autres statues couronnées y sont assises, les pieds posés sur des serpents. Des grenats, des perles, des filigranes, ornent cette partie du pied, et l'on remarque des pierres diverses, jusque dans les yeux et sur la tête des monstres.

« Le premier noeud est tout de filigranes, de diamants et d'améthystes. Au-dessus Isaïe ou Jessé, père de David, couché sur le feuillage, la tête élevée, regarde en haut, comme s'il cherchait à pénétrer le mystère du bel arbre dont il est la racine. Cet arbre est de la plus riche végétation; c'est une vigne à rameaux entrelacés et chargés de fruits. Le cep, cerclé d'abord, s'épanouit, et porte assis sur des rameaux latéraux deux rois David, qui joue de la harpe, et Salomon avec le sceptre et l'image du temple surmonté d'une nuée. La tige continue à s'élever semée d'améthystes et de diamants, et se sépare enfin en quatre branches vigoureuses, qui ne cessent de s'entrelacer. A ce point de la tige est l'image de la TrèsSainte Vierge, le serpent sous les pieds; elle porte l'enfant Jésus dans ses bras, et semble lui aider à enfoncer la croix dans la tête du serpent. Une couronne de diamants lui sert de dais. Derrière

elle est un tombeau, dont la pierre a été renversée; le linceul y est vide, et au-dessus s'élève la croix triomphante de la résurrection.

<< Au milieu des rameaux resplendit, comme une immense fleur à nombreux et riches pétales, en forme de quatre feuilles; on y voit les quatre animaux ailés, attributs ordinaires des évangélistes, auxquels s'opposent les quatre fleuves du paradis répandant leurs eaux, l'Agneau de Dieu, sept colombes, des aiglons réunis autour de la sainte custode, de riches filigranes constellés de diamants, du milieu desquels se détachent les 12 pierres du rational et 12 étoiles, enfin une couronne de feuillages qui encadre nn diadème de brillants, autour du cristal qui protége la Sainte-Eucharistie. Les branches de vignes qui entourent notre fleur, portent des raisins de diamants, des perles, dont une très-précieuse, et des rubis; on y remarque aussi des brillants isolés. Enfin, un noeud de diamants réunit les extrémités des rameaux à la croix terminale, toute resplendissante de brillants et d'émeraudes. Des rayons droits, alternés avec des rayons flamboyants, s'élancent de la custode, à travers les ceps de vigne et leur feuillage, formant ainsi une splendide auréole à Notre-Seigneur et complétant l'ostensoir. »

L'abbé F. POTTIER.

BIBLIOGRAPHIE.

La céramique lilloise. —La halle échevinale de la ville de Lille, par M. J. HOUDOY. - 2 vol. gr. in-8°. - Paris, Aubry, 1870.

M. Houdoy vient de publier deux intéressants volumes sur Lille, à deux points de vue archéologiques très-divers. Je vois avec un très-grand plaisir ce goût du travail se répandre en province, et s'y affirmer par des ouvrages véritablement importants. Nous ne sommes plus au temps où nos confrères des départements produisaient de loin en loin un mince volume mal imprimé sur vilain papier. Aujourd'hui la province a généralement l'avantage sur Paris pour le luxe typographique, et nous avons pu tout récemment apprécier la valeur des études en France, d'après le dernier concours des Facultés proclamé il y a à peine quelques jours à la Sorbonne. Cette décentralisation historique est bonne à encourager, car elle seule peut servir au progrès des études dans notre pays, elle seule peut éclairer les points douteux, car on se tromperait singulièrement si, en voyant les trésors de nos dépôts parisiens, on ne songeait pas aux bien plus grandes richesses de nos dépôts départementaux. Nous félicitons donc avec empressement M. Jules Houdoy des deux Études qu'il vient de publier avec un véritable luxe typographique, et nous pensons être agréable aux lecteurs du Bulletin archéologique en leur en parlant avec quelques détails.

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L'organisation municipale de Lille paraît remonter au douzième siècle, et les savants ont toujours été jusqu'ici d'accord à voir dans

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