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BIBLIOGRAPHIE.

La céramique lilloise. —La halle échevinale de la ville de Lille, par M. J. HOUDOY. 2 vol. gr. in-8°. — Paris, Aubry, 1870.

M. Houdoy vient de publier deux intéressants volumes sur Lille, à deux points de vue archéologiques très-divers. Je vois avec un très-grand plaisir ce goût du travail se répandre en province, et s'y affirmer par des ouvrages véritablement importants. Nous ne sommes plus au temps où nos confrères des départements produisaient de loin en loin un mince volume mal imprimé sur vilain papier. Aujourd'hui la province a généralement l'avantage sur Paris pour le luxe typographique, et nous avons pu tout récemment apprécier la valeur des études en France, d'après le dernier concours des Facultés proclamé il y a à peine quelques jours à la Sorbonne. Cette décentralisation historique est bonne à encourager, car elle seule peut servir au progrès des études dans notre pays, elle seule peut éclairer les points douteux, car on se tromperait singulièrement si, en voyant les trésors de nos dépôts parisiens, on ne songeait pas aux bien plus grandes richesses de nos dépôts départementaux. Nous félicitons donc avec empressement M. Jules Houdoy des deux Études qu'il vient de publier avec un véritable luxe typographique, et nous pensons être agréable aux lecteurs du Bulletin archéologique en leur en parlant avec quelques détails.

I.

L'organisation municipale de Lille paraît remonter au douzième siècle, et les savants ont toujours été jusqu'ici d'accord à voir dans

une charte de la comtesse Jeanne, datée de 1255, le don à l'échevinage de la propriété de la halle. Mais M. Houdoy fait judicieusement remarquer que tous se sont trompés, et qu'il s'agit dans ce document tout simplement d'une création d'impôt à partager entre la ville et la comtesse. C'est le comte Guy II qui vendit à la municipalité la propriété de la halle, l'année même de la mort de la comtesse Marguerite, en 1279. Deux articles des comptes des XIV et XVe siècles constatent même qu'anciennement l'échevinage et le scel avaient eu également sur le Grand Marché des logis autres que la halle; l'un d'eux mentionne nettement « la maison qu'on dit autrefois avoir esté la halle d'eschevins de ceste ville. »

L'existence de tous les comptes municipaux de Lille, depuis 1317, a permis à M. Houdoy de suivre les travaux successivement exécutés à l'hôtel-de-ville lillois. A dater de 1344, ces comptes deviennent très-détaillés : cette année, ils constatent la dorure de la heuse et de la fleur de lys qui surmontaient la halle échevinale. En 1570 Pierre Demileville plaça une horloge dans le beffroi; à la fin du siècle on reconstruisit le bâtiment renfermant la grand'chambre Jacquemart Aspois y posa des verrières, Gilles de Gult sculpta les piliers du balcon d'où l'on proclamait les publications légales; Jean Coullebaut peignit la grand'salle. En 1424, après une restauration générale, les échevins se décidèrent à faire reconstruire sur le marché une belle façade en pierre d'Ecaussines. Au commencement du siècle suivant, cette façade fut entièrement peinte, par Thomas Tournemine, d'or, d'azur et d'autres fines couleurs. La ville, du reste, semblait se complaire à embellir son palais et à le doter de tout le confort imaginable on plaça un second beffroi; on y installa« un tournerot tournant seul, menant trois broques pour y mettre à chacune six espaulles,» puis une nouvelle horloge avec carillon, qui coûtèrent 10,000 livres. Mais il fallut bientôt adopter un parti radical, et une reconstruction complète fut entreprise en 1594. Des impôts spéciaux furent établis et produisirent 100,000 livres qui furent entièrement absorbées; il y eut notamment pour 2,000 livres de vitraux et pour près de

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5,000 livres de peintures décoratives. Jean Faget, maître des œuvres de la ville, fut l'architecte choisi.

Dès 1601 il fallut commencer la démolition du beffroi, et bientôt après on reconnut l'insuffisance de la halle échevinale pour les services municipaux. C'est alors que la municipalité acheta le palais de Rihour, appelé vulgairement la Cour-du-Roi, parce qu'il servait de demeure aux souverains qui passaient à Lille, au prix de 80,000 florins, et revendit la halle pour 126,000 livres (1664). La plus grande partie de ces bâtiments a disparu maintenant, mais il en reste encore d'importants débris, notamment de la façade ; et M. Houdoy rend un égal service à l'art et à l'histoire en publiant cette Étude, qui est une véritable restitution, qui doit donner envie à la municipalité lilloise de sauver et de restaurer les respectables débris de son palais.

La seconde partie du volume comprend une foule de pièces justificatives tirées des comptes municipaux, toutes du plus grand intérêt. On y trouve les renseignements les plus curieux pour les prix des matériaux, pour les journées d'ouvriers, pour le salaire des artistes; on y trouve aussi des détails particuliers bons à recueillir. Nous signalons ce volume d'une façon toute spéciale, comme étant l'un des Recueils de comptes les plus riches en renseignements que l'on puisse rencontrer.

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M. Houdoy a fait une découverte importante pour l'histoire céramique en Flandre il produit des documents authentiques constatant la fabrication de la faïence peinte, dès la fin du XIVe siècle, dans cette province et dans l'Artois. De ces pièces il résulte qu'antérieurement à 1391, une association pour la fabrication des carreaux vernis, d'un nouveau mode, s'était formée sous les auspices du duc de Bourgogne, entre Jean Dumoustier, habitant d'Ypres, et Jean-le-Volut, peintre les associés ne s'étant point entendus, le duc rompit leur pacte, et autorisa l'un et l'autre à continuer sépa

rément leurs travaux, l'un à Ypres, l'autre à Hesdin, sous la surveillance de Melchior Broederlain, peintre de ce prince. Ce dernier prêtait en outre 50 francs d'or à Jean-le-Volut pour les premiers frais d'installation, et s'engageait à payer au prix d'un franc d'or, chaque mesure de 4 pieds 1/2 de carreaux. Du 13 octobre 1391 au 13 septembre 1393, Jean fournit au duc onze cent soixante-dix pieds de carreaux, et reçut en outre de lui 50 francs d'or, à titre de gratification, tant son ouvrage était jugé bien fait. Ces carreaux sont dénommés dans les pièces publiées par M Houdoy : « carreaux pains, jolis, carreaux de painture, carreaux à ymaiges, carreaux à devises, à plaine couleur : ils décoraient « la gloriette» du duc le boudoir de sa chambre de parade à Arras. M. Houdoy ne veut pas voir dans ces carreaux des carrelages à incrustations et à engobes en usage depuis le siècle précédent au moins; il croit devoir y reconnaître de la faïence peinte et émaillée, et j'avoue partager complètement son opinion d'après les rapprochements très-ingénieusement faits par lui, outre les motifs tirés du goût de Philippe-leHardi pour les œuvres d'art, de son amour du luxe, du prix élevé de ces carreaux, des avances relativement considérables faites à Jeanle-Volut pour faire face à des premières dépenses que n'eût pas motivées la fabrication du carrelage de terre vernie; l'intervention du peintre ducal, qui recevait à ce titre une pension annuelle de deux cents livres, établit jusques à l'évidence l'emploi de la peinture dans la décoration de ces carreaux, alors surtout que nous savons que Jean était lui-même peintre de profession. Ce Jeanle-Volut figura souvent comme peintre dans les comptes de la maison du duc de Bourgogne Jean-sans-Peur lui conféra le titre honorifique de « varlet de chambre; >> il mourut vers 1421, et laissa un fils, Colart-le-Volut, également peintre, qui reçut à cette époque 78 écus d'or « pour un char paint bien et notablement selon l'ordonnance et devise de la duchesse Marguerite, qu'elle fist faire pour son corps dès l'an 1405.» Quant à Michel Broederlain, c'était le peintre le plus célèbre de son temps.

M. Houdoy a fait une découverte réellement importante sur l'his

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toire de l'art céramique : « Quoi qu'il en soit, dit-il, invention ou imitation, cette fabrication, constatée en 1391, ne se serait-elle établie que pour disparaître presque aussitôt, nous ne saurions le dire. » Pareil fait du reste s'est produit en France au XVIe siècle, et la ville de Rouen, qui fabriquait et signait, en 1542, les carreaux d'Ecouen, après avoir débuté aussi par la fabrication des carreaux de faïence, ne vit-elle pas tout-à-coup cette industrie disparaître, et ne faut-il pas arriver aux dernières années du XVIIe siècle pour assister à la renaissance de cette industrie? I en fut de même à Lille; seulement, M. Houdoy croit pouvoir indiquer le sillon que les érudits peuvent suivre avec l'espoir de découvrir quelque chose. Tandis que Jean-le-Volut venait travailler au Hesdin, Jean Dumoutier était autorisé à continuer sa fabrication à Ypres les comptes du receveur ducal de cette ville doivent renfermer des renseignements précis. Il est probable que cette indication suffira pour éveiller utilement la curiosité des savants de cette contrée.

Les potiers de Lille fabriquaient avec succès au XVIe siècle des carreaux plommés, à 59 sols le cent, gros doubles à 6 livres, de bordure à 36 sols, et ouvrés (ornés) à 2 sols la pièce; des festissures ou petites statuettes pour l'angle des pignons ou le sommet des fenêtres, des carreaux vernis, des briques vernies. Mais c'est seulement en 1696 que l'on trouve la première preuve certaine de la création d'une faïencerie à Lille. M. Houdoy trace l'historique de ces divers établissements, sans oublier la manufacture royale créée en 1784 et qui s'éteignit en l'an XIII, après avoir produit des œuvres nombreuses et vraiment remarquables.

Nous avons lu cette Étude avec intérêt et profit, et nous félicitons la ville de Lille de posséder un savant aussi distingué que M. Houdoy. E. DE BARTHÉLEMY.

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