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NOTICE

SUR

L'HOTEL-DE-VILLE DE MONTAUBAN

PAR

M. DEVALS AINÉ,

Correspondant du Ministère de l'instruction publique pour les travaux historiques, Secrétaire général de la Société.

L'attention publique est vivement excitée, en ce moment, par les travaux que l'Administration municipale vient de faire exécuter dans les salles basses de notre Hôtel-de-Ville, sous la direction de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne. Comment, en effet, assister avec indifférence à cette résurrection du monument historique, si longtemps oublié et flétri, qui d'abord prêta son abri tutélaire au développement de nos libertés municipales, et qui depuis fut destiné à consolider, dans nos murs, la domination de l'Angleterre ? La belle salle, dite du Prince-Noir, qu'on a convertie en un musée lapidaire, est aujourd'hui complètement dégagée, et ses fenêtres, murées pendant les guerres civiles des XVIe et XVIIe siècles, ont été rouvertes. L'escalier à vis de la tourelle du sud a été aussi déblayé, et l'on sait maintenant qu'il donne à la fois accès dans la grande salle et dans une vaste cave située au-dessous de celle-ci, et qui est encore comblée de terre jusque près de la voûte.

Un escalier en limaçon, construit dans la tourelle du nord et

dont les marches en briques tournent autour d'un pilier rond, conduit dans les salles basses de l'Hôtel-de-Ville. Il débouche dans une petite salle voûtée en berceau, qui sert de vestibule à la salle du Prince-Noir. Cette pièce fut entièrement remaniée lorsque Pierre de Berthier fit élever son palais épiscopal en 1659, et elle n'a conservé des constructions anglaises que les jambages des voûtes, et du château d'Alphonse-Jourdain que les fondements du mur de façade qui en traversent obliquement le sous-sol.

Une porte ogivale s'ouvre sur la salle du Prince-Noir, où l'on descend par un large escalier moderne à rampe droite. Cette salle, qui mesure 24 m. 19 c. de long sur 9 m. 20 c. de large, est divisée en trois travées que recouvrent des voûtes d'arête ogivales à nervures prismatiques, dont le croisement est masqué, pour la première travée, par un écusson en pierre, aux armes d'Aquitaine : Un lion rampant, armé, lampassé et chargé en cœur d'une étoile, et, pour la troisième, par un autre écusson un peu fruste, mais où l'on voit bien encore les armes d'Angleterre, écartelées et semées de France.

Les arcs-doubleaux reposent sur des pilastres trapus, flanqués de colonnettes qui supportent les nervures de la voûte. Un banc en briques, faisant partie de la muraille, règne seulement à droite de la salle.

On remarque à gauche, dans la première travée, un conduit pour la voix, destiné à établir une communication avec les personnes placées aux étages supérieurs; et, dans celle du milieu, à la place d'une ancienne cheminée depuis longtemps détruite, la belle cheminée monumentale du XVe siècle qui se trouvait dans l'ancienne succursale, que les prêtres du collège Saint-Nicolas de Pellegri, de Cahors, possédaient à Montauban (Grande-Rue SaintLouis), et que M. Emile Vaïsse-Cibiel vient de donner généreusement à la Société archéologique.

A droite, la première travée offre une porte creusée, probablement en 1659, dans une ancienne fenêtre semblable aux autres et dont l'escalier est encore apparent, une poterne située au niveau des fenêtres, et à laquelle on arrive par un escalier pratiqué dans

l'épaisseur du mur, et au sommet de l'arc une fenêtre rectangulaire, divisée en deux par un meneau de pierre, et à laquelle on ne parvient qu'au moyen d'une longue échelle. Cette fenêtre, munie de chaque côté d'un banc en briques, n'est évidemment autre chose qu'une guette.

La deuxième et la troisième travée ont, l'une deux fenêtres, et l'autre une seule. Ces trois baies, qui sont aussi rectangulaires, sont divisées en quatre parties par des croisillons de pierre, et offrent à l'intérieur, de chaque côté, un banc en briques, auquel on parvient par un escalier pratiqué aussi dans l'épaisseur du mur. Leur amortissement est formé par une voûte rampante, terminée, du côté de la salle, par trois arceaux disposés en redents, de façon à ce que leur saillie puisse arrêter et faire retomber sur les marches de l'embrasure un trait lancé d'en-bas et de l'extérieur, à la portée ordinaire, et l'empêcher ainsi d'arriver de but en blanc dans l'intérieur de la grande salle. Au fond existe une autre fenêtre encore murée, et, dans l'angle de droite, une porte met la salle du PrinceNoir en communication avec l'escalier à vis de la tourelle du sud. Deux portes, situées à gauche, dans la deuxième et la troisième travée, donnent accès dans une étroite galerie parallèle à la salle, et se détournant ensuite à droite pour aboutir bientôt à une chambre souterraine carrée, encore comblée en partie, et dont la voûte est percée d'un trou circulaire. Enfin, une autre porte, qui se trouve aussi dans la troisième travée de gauche, permet de communiquer avec deux autres petites salles souterraines.

Ces deux chambres sont reliées entre elles et avec la salle du Prince-Noir par un petit escalier intérieur en briques. Un autre petit escalier, construit à droite, dans l'épaisseur du mur, conduit à d'anciennes latrines. Les deux chambres ont chacune une voûte ogivale en berceau, et, dans un angle, une petite cheminée dont le manteau est détruit en partie, mais dont la hotte, qui par sa forme conique ressemble assez à celles du XIIe siècle, est parfaitement conservée, Au fond de la première chambre, une porte donne dans la pièce carrée que j'ai déjà mentionnée.

Aux caractères que je viens de décrire, on ne peut s'empêcher de reconnaître, dans la salle du Prince-Noir, une de ces salles basses des châteaux des XIV et XVe siècles, qui ne communiquaient avec les défenses que par des escaliers passant dans des tours, et où le seigneur, pour se mettre à l'abri de la trahison, isolait les soldats d'aventure, qui trouvaient à la fois, dans ces salles basses, un dortoir, une salle à manger et un lieu propre aux exercices.

Au-dessous de la salle du Prince-Noir existe un grand cellier souterrain, encore comblé en grande partie, et dont la voûte a été brisée sur une longueur d'environ 12 mètres. On y parvient par une galerie inclinée qui commence sous les voûtes du pont et par l'escalier de la tourelle du sud. Cette pièce est éclairée, du côté de la rivière, par trois jours rampants ménagés dans l'épaisseur du mur, et qui s'ouvrent à l'extérieur, sous forme de meurtrières, au milieu de chacune des travées de la salle d'Armes et au niveau des fenêtres, afin sans doute que le souterrain fût à l'abri des inondations. D'après une ancienne tradition, un tunnel, creusé sous la rivière, partirait de ce cellier et irait déboucher, suivant les uns au château de Montbeton, d'après les autres dans la forêt de Montech. Cette tradition paraît être confirmée par l'existence, au fond du Tarn et en face de l'Hôtel-de-Ville, de l'extrados d'une voûte, parfaitement visible quand les eaux sont claires et basses, et se dirigeant vers la rive gauche, parallèlement au pont. Il sera, du reste, facile de savoir à quoi s'en tenir à ce sujet, quand cette pièce sera déblayée à son tour. Alors sans doute on verra se confirmer les assertions contenues dans les vers suivants, qu'un de nos anciens poètes, Jean Fournier, consacra en 1564 à la description des salles basses de l'Hôtel-de-Ville actuel, dans son poème manuscrit sur l'Affliction de la ville de Montauban, l'an 1562, qui appartient aujourd'hui à M. Forestié neveu, imprimeur.

Tout au bout de ce pont on void le chasteau vieux,
Au lez du fleuve Tar, plein de souterrains lieux,

De brique tous bastiz et creux dessous la terre :
Ce qu'on estime fait pour retraitte en la guerre,
Car il est tout voulté et en main un endroit
Ha plusieurs lieux secretz avec passage estroit,
Et destours et retours d'une allée petite,

Tels que l'on s'y perdroit comme en un labyrinthe.

Il existe encore au-dessous de l'aile droite de l'Hôtel-de-Ville deux autres salles souterraines, dont la seconde s'ouvre sous les voûtes du pont par une porte ogivale, et qui paraissent en partie contemporaines des constructions que je viens de décrire.

Après cette description qui, je le crains bien, aura peut-être paru un peu longue, je crois qu'il est utile de faire connaître les documents historiques que j'ai recueillis sur ce monument dans les Archives municipales.

Bien avant la fondation de la ville actuelle, le quartier où s'élève aujourd'hui l'Hôtel-de-Vlile faisait partie d'une terre allodiale nommée Cantaloube, dont trois chevaliers de Montauriol, les deux frères Raymond Amiel et Bernard Raymond et leur cousin Pierre de Penne, étaient possesseurs, et où ils avaient un château qui est mentionné dans un document du 5 juillet 1168. Prévoyant que la ville de Montauriol serait tôt ou tard transplantée sur ce point, qui réunissait les conditions les plus favorables pour la défense et pour le commerce, et effrayé des conséquences fatales que ce changement aurait pour la domination temporelle de l'abbaye de SaintThéodard, Albert II, abbé de ce monastère, fit, le 14 mai 1140, l'acquisition de l'alleu de Cantaloube. Mais les évènements ayant, quatre ans après, rendu nécessaire le dénouement que craignait Albert, Alphonse-Jourdain, comte de Toulouse, s'empara sans scrupule, à l'instigation de la bourgeoisie de Montauriol, des domaines acquis précédemment par l'abbaye de Saint-Théodard et y fonda, le 9 octobre 1144, une nouvelle ville qu'il nomma Montauban. Il se réserva par l'article 11 de la charte de fondation, que le forgeron Carbonnel ferait, moyennant la fourniture du métal, la

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