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bon enseignement philosophique. Je traiterai là en particulier de l'usage des langues latine et française dans les cours de philosophie; et enfin j'achèverai tout ce que j'ai à dire sur ce grave sujet par quelques conseils pratiques, plus délicats, adressés à MM. les professeurs de philosophie, sur la direction qu'il faut donner à tout ce grand enseignement.

CHAPITRE PREMIER

Dignité de la philosophie et des études philosophiques.

Il est une philosophie, dont les plus grands esprits ont été amoureux dans tous les siècles, dont les plus illustres chrétiens ont dit des choses glorieuses, dont les maîtres ont été proclamés les Patriciens de l'intelligence humaine, ou même des hommes divins; dont les plus doctes théologiens comme les plus célèbres philosophes ont à l'envi célébré la lumière.

C'est la philosophie, dont saint Augustin disait, parlant d'Aristote et de Platon : « Il y a une doctrine de vraie et certaine philosophie; » Una est verissimæ philosophiæ disciplina; et il ajoutait : « C'est à la recherche de cette doctrine que j'ai résolu de m'appliquer; » Huic investigandæ inservire proposui.

C'est la philosophie, dont Clément d'Alexandrie affirmait << qu'avant l'Evangile et la venue de Notre-Seigneur, elle << était nécessaire aux Grecs pour les aider à pratiquer la « justice, et que maintenant elle est utile à la piété ; Atque erat quidem ante Domini adventum philosophia Græcis « necessaria ad justitiam, nunc autem utilis ad pietatem. »

C'est la philosophie dont Platon parle, quand il dit : philosopher, c'est s'appliquer à connaître et imiter Dieu, c'est apprendre à bien vivre, et aussi à bien mourir (Phédon); et voilà pourquoi sans doute Cicéron, disciple de Platon, allait jusqu'à appeler cette philosophie, « la lumière de la vie. » Voilà la philosophie que saint Grégoire de Nazianze, le grand théologien de l'Orient, n'hésitait pas à nommer « la très-haute philosophie, » et dont saint Jean Chrysostome ne craignait pas de dire : « La philosophie est la connaissance des choses divines et humaines'.

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<< La philosophie est l'aliment de l'âme2. »

Saint Chrysostôme avait en telle estime la philosophie, qu'il en emprunte le nom pour le donner à la vie chrétienne, et que le plus haut degré de la perfection évangélique, il l'appelle le plus haut degré de la philosophie.

Voilà la philosophie dont il disait, qu'il en faut allumer le flambeau, puis l'élever sur les hauteurs, afin qu'il resplendisse et éclaire au loin3.

C'est enfin la philosophie dont saint Thomas d'Aquin, l'ange de la théologie, disait lui-même : « La théologie peut « recevoir quelque chose de la philosophie, non quant au << fond, mais pour le développement et la plus grande mani<< festation de ses propres données (1a q. 1 est 5 ad 2m). »

Saint Anselme, Malebranche, Bossuet, Fénelon, Leibnitz, n'en ont point parlé avec moins d'éloges que saint Jean Chrysostôme et les autres grands docteurs de l'Eglise.

En un mot, il est une Philosophie, dont l'Origine est la plus illustre qui se puisse trouver, car c'est la Lumière même de Dieu;

4 τῶν θείων καὶ ἀνθρωπίνων τραγματων γνῶσις ή φιλοσοφία. (ΧΙ, 451. B.)

· τῆν τροφῆν τὴν φιλοσοφίαν. (V. 326. Β.)

3 καὶ τὰς τῆς φιλοσοφίας λαμπάδας ἀφ' υψηλοῦ πόρρωθεν άψαντες. (Ι, 111. C.)

Dont l'Objet est Dieu lui-même : les vérités éternelles et les œuvres divines;

Dont la Certitude, quant à ses principes premiers, est telle que, sans elle, nul fondement ne reste à aucune science, à aucune foi, à aucune croyance sociale ou religieuse;

Dont les Maîtres furent les princes de l'esprit humain, les plus belles intelligences créées de Dieu;

Dont le Maître supérieur et unique est Dieu lui-même. Voilà d'où vient la dignité de la philosophie et des études philosophiques.

I

L'origine première de la philosophie est la plus haute et la plus illustre qui se puisse trouver : car c'est la Lumière même.

Il y a au-dessus de nous une région de lumière, de lumière supérieure et divine. Dieu l'habite: Lucem inhabitat. Car Dieu est toujours dans la lumière: Ipse est in luce. La lumière est toujours avec lui: Lux cum eo est. Il se nomme même le Dieu de la lumière: Deus lucis; ou plutôt il est la Lumière elle-même: Deus lux est.

Il est la Lumière, et il n'y a en lui aucunes ténèbres, in eo tenebræ non sunt ullæ. Il est, sans aucune ombre de vicissitude ni d'obscurcissement possible, aussi resplendissant la nuit que le jour, apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. En un mot, il est la Lumière, éternelle, immuable, infinie, incorruptible, souveraine, et toujours rayonnante'.

La région de la lumière, l'origine de la sagesse, sa nature, sa beauté, sa puissance, ses splendeurs, tout cela est admirablement décrit dans un des livres de l'Ancien Testament:

Vapor est enim virtutis Dei et emanatio quædam est claritas omnipotentis Dei sincera, et ideo nihil inquinatum in ea incurrit.

Candor est enim lucis æternæ, et speculum sine macula Dei majestatis, et imago bonitatis illus.

Et cum sit una, omnia potest; et in se permanens, omnia innovat, et per

Eh bien! cette Lumière éternelle, cette région de lumière rayonnante, c'est la patrie originelle de la philosophie: c'est de là qu'elle descend, qu'elle vient jusqu'à nous.

S'il est dit que la lumière est inaccessible, Lucem inaccessibilem, il n'est pas dit qu'elle soit incommunicable.

Non, car elle rayonne toujours, et Dieu du fond resplendissant de son éternité, aime à la faire briller dans le temps; et la communication qu'il fait à la raison humaine de la vérité et de la lumière incréées, c'est, selon l'expression même des saints Livres, le témoignage qu'il se plaît à rendre de lui-même à l'homme sa créature: Non sine testimonio semetipsum relinquit'; et telle est l'origine, la dignité, la splendeur et l'utilité providentielle de la philosophie sur la

terre.

Elle est un premier témoignage que Dieu, le Père des lumières, Pater luminum, se rend à lui-même en nous; et c'est de Lui, de cette source sublime et lumineuse du vrai, qu'elle vient: Omne datum descendens à Patre luminum2.

En Dieu, il n'y a qu'une lumière, une, simple, et infinie; mais il la produit, il la révèle, il la manifeste à nos regards

nationes in animas sanctas se transfert, amicos Dei et prophetas constituit.

Neminem enim diligit Deus, nisi eum qui cum sapientiâ habitat.

Est enim hæc speciosior sole, et super omnem dispositionem stellarum ; luci comparata, invenitur prior.

Illi enim succedit nox, sapientiam autem non vincit malitia. ( Sap. VIII26, 29, etc.)

Dans le Nouveau Testament, saint Jean, l'aigle des évangélistes, a tout dit en ces courts versets, que les platoniciens voulaient graver en lettres d'or à la porte de leurs écoles:

In Principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum.

Hoc erat in principio apud Deum.

Omnia per Ipsum facta sunt: Et sine Ipso factum est nihil, quod fac

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de deux manières. Comme le dit admirablement saint Thomas, il y a deux modes, deux manières de savoir les choses divines: le mode philosophique et le mode théologique; le mode rationnel et le mode révélé : Duplex modus divinorum intelligibilium.

La lumière descend donc à nous de deux manières par la raison et par la foi, par la philosophie et par la théologie; mais c'est toujours du Père des lumières qu'elle descend: Descendens à Patre luminum.

Comme ceci est tout à fait fondamental, et a de trèsgrandes conséquences, je veux y insister: brièvement toutefois.

II

« Il y a, dit nettement saint Thomas, deux degrés de l'intelligible divin, Duplici igitur veritate divinorum intelligibilium existente (Contrà Gentes. Cap. IV). Il y a, relativement à nous, deux modes de la vérité divine; Duplex veritatis modus... duplicem veritatem divinorum. » (Ibid. III et IX.)

C'est ceci qui est fondamental, et sur quoi j'insiste : car ceci une fois bien établi, s'évanouissent la plupart des con-flits vainement suscités entre la raison et la foi, entre la philosophie et la religion : elles ne peuvent jamais avoir aucun sujet de désaccord, puisqu'elles viennent toutes deux de la même source de lumière.

La raison de l'homme, dit ailleurs encore saint Thomas, a un double terme et deux degrés de perfection: un premier degré, où elle monte par la lumière naturelle, et un second degré où elle s'élève par la lumière surnaturelle'.

II y a donc pour l'homme deux lumières, la lumière de la

1 Ratio hominis est perfecta dupliciter a Deo, primò quidem naturali perfectione, secundum scilicet lumen naturale rationis; alio autem modo quâdam supernaturali perfectione. (1a. 2æ. 9. 68. 2. C.)

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