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objet d'art en bronze, orné de licornes, ressemble par sa forme aux œnochoés de Pouan et d'Eygenbilsen. Aussi est-il attribué à l'industrie étrusque. Les archéologues sont pour la plupart de cet avis. Cet objet intéressant fait maintenant partie de la collection de M. Morel, auquel M. Hanusse l'a cédé. Vous l'avez vu ce matin; le dessin se trouve, du reste, dans la salle.

Les objets en bronze ne sont pas les seuls représentants de l'art étrusque en Champagne. La céramique compte aussi de nombreux témoins, qui déposent également en sa faveur. La sépulture de Somme-Bionne, qui recélait l'œnochoé, a pareillement donné une coupe pourvue de deux anses, ornée de dessins, d'une incontestable analogie avec les vases provenant des cimetières de l'Italie où l'art grec a été particulièrement reconnu comme indigène, bien qu'il ait été rencontré dans d'autres pays. M. de Witte s'est occupé de cette coupe. Elle a été de sa part l'objet de remarques communiquées à la Société des Antiquaires de France: « La petite coupe à deux anses en terre peinte, dont M. Morel envoie un dessin, dit-il, est tout à fait semblable aux vases de terre peinte que l'on découvre en si grande quantité dans les nécropoles de la Toscane et de l'Italie méridionale. Cette coupe, à couverte noire et à dessins rouges, montre à l'intérieur un discobole qui court de droite à gauche, tenant à la main un palet ou disque qu'il se prépare à lancer. Les exercices de la palestre et du gymnase sont souvent représentés sur les vases peints, et au nombre de ces exercices figure le jeu du disque. J'ai décrit dans mon catalogue Durand, nos 710, 711, 712, plusieurs vases qui montrent des discoboles. La coupe, que l'on prétend avoir été trouvée dans une sépulture gauloise, offre un dessin négligé; elle est d'une fabrique dont on rencontre les produits 'non-seulement

XLII SESSION.

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en Étrurie, dans la grande Grèce, en Sicile, mais encore dans l'Attique, dans les Cyclades et jusqu'en Crimée. Quant à l'âge que l'on peut assigner à cette coupe, il est évident, pour tout homme tant soit peu familiarisé avec les monuments de la céramique, que cette coupe ne peut pas remonter au delà du 1o siècle avant l'ère chrétienne, soit deux cents ans avant Jésus-Christ. Ce serait la première fois, autant que je sache, qu'on aurait rencontré, dans une sépulture gauloise, un objet qui évidemment appartient à l'art des Hellènes. On ne saurait être trop sur ses gardes lorsqu'il s'agit de fouilles et de découvertes. Plusieurs fois, on a signalé des objets qui, par fraude, avaient été introduits dans les tombeaux anciens. »

Le caractère de la coupe conserve, aux yeux de M. de Witte, toute sa signification. Elle se rattache à l'art étrusque ou grec, M. de Witte n'en doute point. Quant à l'authenticité de la présence de la coupe dans le cimetière gaulois, elle est parfaitement établie. M. Hanusse aime l'antiquité, il l'a respecte; son caractère est donc une garantie. De plus, il n'avait aucun intérêt pour altérer les faits, et ses dépositions sont toujours concordantes et invariables. Enfin, la découverte de Somme-Bionne se présente dans des conditions qui ont déjà été observées dans d'autres contrées, c'est là une grande présomption en faveur de la pureté de la découverte de Somme-Bionne. On n'improvise pas, du reste, un vase étrusque, pour agrémenter la découverte d'un char gaulois, et il n'est pas à la portée d'un ouvrier, quelque intelligent qu'on le suppose, de réunir un ensemble d'objets constitués d'une manière conforme aux meilleures observations archéologiques.

Deux vases, trouvés dans une sépulture gauloise, à Bergère-sur-Vertus, rentrent également dans la catégorie

des objets qui nous occupent. L'un de ces vases porte comme ornement des chevrons en relief rouge, sur un fond brun foncé. Les décors sont évidemment empruntés à l'art étrusque qui employait fréquemment les chevrons dans ses ornementations. L'autre vase porte des grecques très-pures accompagnées d'un pointillage en relief, de même que les grecques dont il décrit tous les contours. Les dessins étaient en couleur rouge sur un fond brun trèsfoncé.

Il y a déjà longtemps, on a découvert à Chouilly un vase en terre brune, dont les ornements couleur de vermillon représentent des grecques et d'autres dessins composés de lignes qui s'entrecroisent. Ce vase est conservé à la bibliothèque d'Epernay, à laquelle il a été offert par M. Moët. D'autres vases trouvés dans la vallée de la Suippes présentent une ornementation imitée de l'art

grec.

La collection si belle de vases provenant des cimetières gaulois de la Marne, que l'on admire à Saint-Germain, offre plusieurs spécimens ornés de grecques pratiquées en creux et de dessins très-souvent employés pour la décoration des vases recueillis dans les nécropoles de la HauteItalie. Ces produits céramiques appartiennent à l'art indigène, il faut le reconnaître, mais la forme, l'ornementation ont été empruntées à l'art grec.

Un fragment de vase en terre d'une pâte très-fine de couleur grise, orné de chevrons en relief de teinte noire, mélangés à d'autres dessins rappelant le caractère étrusque, a été aussi trouvé à Aulnay-aux-Planches, dans une sépulture gauloise, à incinération, que j'ai moi-même explorée.

La présence de l'industrie étrusque s'affirme donc de deux manières différentes: par les objets fabriqués dans

la Grande Grèce et importés dans les Gaules, puis par les emprunts qui ont été faits par l'industrie gauloise, qui reflète l'art étrusque ou archaïque.

L'influence pré-romaine de l'art étrusque dans les Gaules paraît d'autant plus admissible qu'elle s'est fait sentir dans une grande partie de l'Europe. Elle a laissé sur l'industrie en général et particulièrement sur le bronze, des traces incontestables. Nous partageons l'opinion des archéologues du nord qui reconnaissent une influence orientale, précédant l'influence étrusque qui s'accentue d'une manière particulière dans la dernière période de l'âge du bronze, comme plusieurs savants l'ont affirmé au congrès de Stockholm. Les peuples de l'Europe n'étaient pas tous arrivés à la même époque, au même degré de civilisation. Il est admis que l'influence orientale pure et l'influence gréco-étrusque ont laissé des traces dans les pays scandinaves, à deux époques différentes. Il est donc permis de se demander si le reste de l'Europe et la Gaule particulièrement n'ont pas subi cette même influence. La question ainsi posée semble avoir une solution assez naturelle. La dernière période du bronze en Scandinavie correspond, de l'avis de beaucoup d'archéologues, au second âge du fer en Gaule. Il est donc possible que l'influence étrusque se soit simultanément exercée dans diverses régions sur le théâtre de civilisations différentes. Il serait fort intéressant de pousser plus loin les investigations et de rechercher les traces de l'industrie orientale dans les sépultures du second âge de fer ou époque gauloise. Déjà quelques faits paraissent affirmer cet art oriental. Quoi qu'il en soit, que l'influence étrusque ait été précédée ou non d'une influence orientale, elle n'en est pas moins antérieure à la domination romaine. Les archéologues sont cependant partagés sur ce point.

Gerhard prétend que les bronzes étrusques ont été importés en Gaule à l'époque romaine. D'autres refusent de leur accorder une origine étrusque et les rangent parmi les objets d'art fabriqués à l'époque romaine.

La solution de cette question peut être singulièrement facilitée par la comparaison des objets trouvés en Gaule avec leurs similaires provenant des nécropoles de Marzabotto, de Villanova et plusieurs autres de la Haute-Italie. Ces nécropoles sont considérées d'une manière absolue comme pré-romaines. Les travaux si remarquables des savants italiens le démontrent surabondamment. Les objets trouvés en France et en Allemagne, comparés à ceux qui proviennent de la Grande Grèce les ont fait regarder comme provenant de ce dernier pays. Il est donc naturel de les classer dans la même époque et de les regarder comme pré-romains. A quelle cause convient-il d'attribuer la présence des objets de fabrication étrusque? Si l'on admet l'origine pré-romaine de ces objets, on voit immédiatement ce que devient l'opinion des archéologues qui prétendent qu'ils ont été apportés en Gaule par de riches romains collectionneurs. Cette opinion, qui manque d'ampleur, a été du reste combattue victorieusement par le docteur Lindeschmidt, directeur du musée de Mayence. Néanmoins, malgré la défaveur dont elle est l'objet, elle a conservé encore quelques partisans. M. A. de Barthélemy a préconisé une autre explication qui a obtenu un plus grand succès et semble rallier le plus grand nombre d'archéologues. Il considère les objets de fabrication étrusque comme des importations opérées par les expéditions guerrières. Il est impossible de nier l'importance de cette cause. Les Gaulois, l'histoire en fait mention, ont fréquemment rapporté des butins considérables. Mais, s'ensuit-il que la guerre, toujours accompagnée de troubles,

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