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de l'autre par un obturateur en os également, mais mobile. Ces flacons étaient destinés, on le suppose, à renfermer l'ocre et le fer oligiste dont les populations de cette époque se servaient pour se peindre différentes parties du corps. On a trouvé des objets de même nature dans quelques stations de l'âge du renne, et certains d'entre eux laissaient encore apercevoir des traces de la matière colorante qu'ils renfermaient. (Collection Armand.)

Un des objets les plus intéressants consiste dans une hache emmanchée dans une matière osseuse que nous croyons être un fragment de bois de cerf, et qui constitue l'unique organe de l'emmanchure, car la hache traverse ce manche en formant avec lui un angle droit. (Collection Armand.) Le manche n'est représenté, dans cette trouvaille, que par un morceau formant le tiers environ de son volume total.

Nous croyons ce type d'instrument très-rare à l'époque de la pierre polic. La palafitte de Concise a fourni une emmanchure composée d'un seul morceau de bois de cerf, dont l'andouiller forme le manche, et la partie basilaire renferme l'alvéole destinée à contenir l'extrémité de l'instrument. La collection de M. Morel montre également une emmanchure du même type, trouvée près de SaintMartin-sur-le-Pré (Marne). Nous possédons nous-même, dans notre collection, une emmanchure du même type, remarquable par ses dimensions et par son travail, trouvée dans les alluvions de la rivière d'Aire, ainsi qu'un manche complet seinblable à celui de Tours-sur-Marne, mais beaucoup plus rare encore, car il est de l'époque quaternaire. Il a été trouvé sous huit mètres d'alluvions quaternaires dans une balastière aux portes de Châlons.

De petites plaques en os, de forme ovale, et percées de

deux trous, qui constituent sans doute des amulettes ou des pendants d'oreille, ont été trouvées avec des grains de collier en calcaire et avec des coquilles. La couche supérieure de la grotte d'Uruthy renfermait aussi de petites plaques en os de même nature, percées de deux trous, mais de forme ronde.

A Tours-sur-Marne, de petites rondelles en calcaire, taillées et percées, semblables à celles rencontrées dans les grottes de la vallée du Petit-Morin et dans d'autres gisements de la même époque, composaient un collier qui avait probablement, comme pièce du milieu, une coquille de cardium, percée d'un trou à son extrémité et trouvée dans la même sépulture en compagnie d'une petite plaque en matière schisteuse, percée aussi de deux trous, et qui rappelle ces polissoirs à main, de forme légèrement circulaire, trouvés dans les grottes du Petit-Morin et dans la sépulture de Mizy. (Collection Armand.)

A ces ornements primitifs, nous ajouterons une pendeloque en forme de hachette, percée d'un trou à son extrémité supérieure et taillée dans une coquille d'Unio ou moule de rivière. (Collection Morel.)

On n'a découvert aucun vase entier, ni même aucun fragment important d'un même vase, à l'exception pourtant d'un biberon trouvé intact par M. Armand près des ossements d'un enfant. Ce petit vase est le seul peut-être de cette forme et de cet usage découvert jusqu'aujourd'hui dans un gisement de cette époque. Ce biberon est d'une forme irrégulièrement circulaire; on y distingue encore l'empreinte des doigts qui l'ont modelé. Sa hauteur est de 4 centimètres et demi, sa largeur, à l'orifice, de 6 centimètres, et à la base de 5 centimètres. Il est muni latéralement d'un ajutage de forme conique s'abaissant légèrement et d'une longueur de 2 centimètres.

Après deux jours passés à explorer le puits funéraire fouillé par nous, M. Morel et moi, nous pensions étre en présence d'un gisement où le métal était complétement inconnu, lorsque, vers le soir et sous les derniers coups de pioche, se dégagea et vint rouler sous l'œil exercé de mon collègue un petit grain de collier en bronze revêtu d'une gangue terreuse.

Cet humble morceau de métal valait pour nous mieux qu'un poëme, car il servait à dater d'une manière plus précise le gisement que nous venions d'explorer et ceux découverts avant nous par M. Armand. Comme pour compléter cette notion, une pelletée de terre nous apportait immédiatement après lui un fragment de radius et une portion de côte colorés de cette teinte verte qui dénote le contact prolongé du bronze oxidé et indique le port d'un collier ou d'un bracelet. (Collection Morel.)

Cet objet est formé tout simplement d'une lamelle de bronze, répliée sur elle-même. Il n'était probablement pas seul dans cette sépulture, et d'autres auront sans doute échappé à nos investigations. Les populations qui se servaient de la flèche à tranchant transversal ont donc pu apercevoir déjà l'aurore de l'ère des métaux. Le bronze apparaît d'abord dans les gisements de la pierre polie, et surtout dans les dolmens, sous la forme d'objets de parure et en très-petite quantité; plus tard, en devenant plus abondant, il fournira la matière destinée à fabriquer des armes et enfin des ustensiles et des outils.

Nous pouvons donc, Messieurs, classer les puits-sépultures de Tours-sur-Marne dans cette période où les populations de la pierre polie commençaient, par leurs relations avec des races plus avancées en industrie, à se procurer des fragments de ce rare et précieux métal, et à cette époque de transition caractérisée par les dolmens.

Il nous reste maintenant à vous entretenir des ossements que renfermait ce gisement.

La couche archéologique, c'est-à-dire celle dans laquelle sont placés les ossements et le mobilier de ces sépultures, est située en moyenne de 230 à 260 au-dessous du niveau du sol, c'est-à-dire de l'entrée supérieure du puits. Elle est composée d'une terre noirâtre, mélangée de grains calcaires. Cet humus est dû probablement à la décomposition des cadavres.

La pression du terrain supérieur et sa légère humidité ont formé de cette couche une sorte de magma d'ossements et de terre qui offre quelque résistance à la pioche.

Le puits fouillé par nous renfermait au moins quarante squelettes, hommes, femmes et enfants, car nous en avons extrait quarante crânes environ, fragmentés pour la plus grande partie; et cependant cette quantité de cadavres était renfermée ou plutôt pressée dans un espace de forme circulaire de 3 mètres de diamètre environ sur une hauteur de 70 centimètres au point le plus élevé.

N'oublions pas de mentionner l'existence, dans l'intérieur et à la base de chaque puits, d'une ou deux galeries creusées dans le sol, véritables terriers par lesquels une mince créature pouvait seule s'introduire en rampant comme un reptile. Pensant que ces étroits conduits communiquaient peut-être avec une autre sépulture, M. Armand en fit agrandir un de manière à pouvoir pénétrer jusqu'à son extrémité.

Nous la rencontrâmes à 3 mètres environ de l'orifice. Au milieu de cette galerie existait un espace un peu plus large et de forme à peu près circulaire, qui permettait à l'individu engagé dans ce couloir de se retourner pour en sortir le visage en avant. Cette galerie ne nous offrit de vestiges d'aucune sorte.

Nous n'avons remarqué sur aucun des crânes l'enlèvement de ces rondelles osseuses trouvées dans d'autres gisements de la pierre polie, et qui attirent, depuis quelque temps, l'attention des savants. On ne sait point encore si on doit voir dans cette pratique une opération chirurgicale destinée à la cure ou au soulagement d'une maladie, ou bien une mutilation opérée dans un but religieux. Mais il est certain qu'elle a été en vigueur jusqu'à l'époque gauloise, car la collection de M. Morel renferme deux plaques osseuses, l'une de forme ronde et percée de deux trous, l'autre en forme de trèfle percée de trois trous et trouvées toutes deux dans des cimetières gaulois.

En revanche, nous avons observé sur quelques ossements différents cas de traumatisme, tels que la réduction de la fracture d'un radius et d'une clavicule.

En voyant sur plusieurs de ces crânes des impressions assez profondes, semblables à des cicatrices provenant d'une blessure faite par un instrument tranchant, nous avions pensé tout d'abord qu'elles pouvaient être les traces d'une lutte dans laquelle la hache de pierre aurait joué un rôle meurtrier; mais un examen plus attentif nous a démontré que ces impressions avaient été faites après la mort du sujet. Nous en avons conclu qu'elles étaient l'œuvre des racines des sapins plantés sur le sommet du coteau, et dont les radicelles se développant fortement dans l'humus qui renfermait les ossements avaient étreint violemment ces derniers.

Les cinq grottes fouillées par M. Armand ont donné chacune en moyenne vingt squelettes, ce qui porterait environ à cent cinquante le nombre des individus renfermés dans les sépultures de Tours-sur-Marne.

Aucun des squelettes, du moins dans le puits exploré par nous, n'avait conservé, dans ses différentes parties, la

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