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LES

ALBIGEOIS

CHAPITRE I

Importance de la question de l'origine du mal. Solutions données par Simon, Basilide, Bardesane, Marcion, Scythien.

D'où vient le mal?-Question difficile et grave, dont la réponse, restée longtemps obscure, a vivement préoccupé tous les esprits, soit du monde païen, soit du monde chrétien. Elle s'impose, en effet, d'elle-même. Quand l'homme, portant son regard au-delà des limites de l'espace, du temps et de la nature, ne se considère pas seulement lui-même; quand il s'étudie dans les relations nécessaires qu'il a avec les êtres qui l'entourent, il conçoit, comme vivant au-dessus de lui-même et

du monde, un être tout-puissant, bon et sage, qui règne dans l'éternité, d'où il répand sur la création les dons de sa grâce et de son amour. Son esprit se repose en paix dans la pensée qu'il vient de Dieu, lumière éternelle et communicative; son cœur se nourrit de la joie que là-haut il y a un père qui l'aime infiniment et un juge qui récompense toute vertu; il oublie pour un instant toute infirmité et toute douleur.

Mais que son regard, quittant ces hauteurs, s'abaisse jusqu'à la région ténébreuse d'ici-bas: c'est aussitôt pour l'intelligence l'obscurcissement de la lumière, pour le cœur affaibli les passions, pour le corps alourdi la triste souffrance; c'est le mal sous toutes ses formes, avec ses variétés infinies et ses angoisses terribles. L'homme demande donc à tout ce qui l'entoure, à la terre et au ciel, à ses semblables et à lui-même, quelle peut être la cause de tels malheurs ; il cherche à s'expliquer la raison du mal; il veut comprendre comment le mal a pu s'introduire dans l'oeuvre d'un Dieu puissant, sage et bon.

Un auteur du second siècle, philosophe platonicien, Maxime de Tyr, a rendu, dans les plus beaux termes, la perplexité de l'esprit devant la question de l'origine du mal, et a fait sentir l'intérêt si grave qui s'attache à sa solution. Il raille Alexandre, qui alla consulter l'oracle de

Jupiter-Ammon pour savoir où étaient et quelles étaient les sources du Nil. « Ne manquait-il donc à la félicité de ce prince, s'écrie-t-il, que de connaître d'où part ce fleuve pour descendre en Égypte? Non, assurément. Il aurait dû laisser couler les fleuves des lieux où Jupiter a placé leurs sources; après être arrivé ou au temple d'Ammon, ou auprès des chênes du pays des Thesprotes (1), on auprès de la pythonisse du Parnasse, ou auprès de l'oracle du fleuve Isménus (2), ou auprès de l'oracle de Délos, ou auprès de tout autre, soit grec, soit barbare, il aurait dû prier Jupiter et Apollon de rendre une réponse unique, mais d'une utilité commune et générale pour tout le genre humain. Certes, c'était sur cette question qu'il eût été plus important pour le genre humain de consulter les dieux, que de les consulter, comme les Doriens, sur leur expédition dans le Péloponèse, comme les Athéniens sur leur expédition en Ionie, ou comme les Corinthiens sur leur expédition en Sicile. Pourquoi demander d'où viennent les biens? Ce n'est pas là-dessus qu'il est nécessaire de con

(1) Peuple d'Épire. Theil, Dict. de biogr., au mot Thesproti.

(2) Fleuve qui coule en Béotie. Apollon avait un oracle non loin de ses bords. Pausanias, lib. x, cap. 10. Pindare, Pythiques, ode II. Cf. Theil, op. cit. au mot Ismenus.

sulter les dieux; la cause ne peut pas en être inconnue. elle est manifeste pour tous les hommes. Cette cause des biens, c'est celui qui est le créateur et le père de toutes choses; c'est celui qui a établi l'harmonie dans les cieux, qui tient les rênes du soleil et de la lune, qui dirige le cours des astres, et qui marque au choeur brillant des étoiles les mouvements qu'elles doivent exécuter; c'est celui qui a fait le partage des saisons, qui gouverne les vents, qui a assemblé les mers et fondé la terre qui fait couler les fleuves et qui donne la féconditė aux plantes et aux animaux. Jupiter cligna le sourcil et toutes ces œuvres existèrent. Là-dessus

je n'ai pas besoin d'oracle. J'en crois Homère, j'ajoute foi à Platon, j'ai pitié d'Épicure. Mais si je me tourne du côté des maux, je ne puis m'empècher de demander quelle en est la première origine. Viennent-ils donc d'Éthiopie avec la peste, ou de Babylone avec Xerxès, ou de Macédoine avec Philippe? Car certainement ils ne viennent pas du ciel. L'envie est bannie pour jamais de ce séjour de la félicité. C'est ici où j'ai besoin d'oracle: consultons les Dieux. » (1)

(1) Maxime de Tyr, philosophe platonicien du deuxième siècle. Il n'attaqua pas directement la religion chrétienne, mais, d'accord avec Apulée de Madaure, 'il aurait voulu faire subir au paganisme des modifications telles, qu'il empêchât le développement toujours croissant du christia

L'oracle de Jupiter-Ammon serait resté muet à la question d'Alexandre. Mais Maxime de Tyr nous

nisme. Le passage que nous venons de citer est pris de la Dissertation XLI, dans l'édition de Jean Davisius (Londres, 1740); c'est la Dissertation xxv dans l'édition de Daniel Heinsius (Lyon, 1607). Voici le passage tout entier :

"

* Φασι τὸν Μακεδόνα ̓Αλέξανδρον ἀφικόμενον εἰς Αμμωνος, προσειπόντος αὐτὸν τοῦ ̓Αμμωνος παῖδα, πισεῦσαι τῷ θεῷ, κατὰ την Ομήρου φήμην, πατέρα αὐτὸν θεῶν καὶ ἀνθρώπων ὀνομάζοντος· ἀποδεξάμενος δὲ τοῦ μαντείου, ἄλλο μὲν ἠξίωσεν οὐδὲν τὸν πατέρα μετὰ τοῦτο ἔρεσθαι, οὐκ περὶ τῆς Δαρείου φυγῆς, οὐκ περί τῆς μελλούσης μάχης, οὐκ περί τῆς Ελλάδος κακουμένης, οὐκ περὶ τῆς Ασίας κυκωμένης· ἀλλ ̓, ὥσπερ αὐτῷ τῶν ἄλλων καλῶς ἐχόντων, πρώτα τὸν θεόν περὶ τοῦ Νείλου, ὁπόθεν ὁρμηθεὶς ἐπὶ Αἰγύπτου κάτεισι. Πάνυ γουν αὐτῷ τοῦτο ἐν ἔδει πρὸς εὐδαιμονίαν, καὶ μαθόντι εἶχεν ἂν καλῶς. Οὐδ ̓ εἰ μὰ Δία πρὸς τῷ Νείλῷ τον Ισρον ἔγνω, ἤ τὸν ὠκεανόν αὐτόν, εἴτε τις ἐσὶ ποταμοῦ φύσις περὶ πᾶσαν γῆν εἰλουμένου, εἴτε ἀρχαὶ τῆς δεῦρο καὶ πηγαί θαλάττης, εἴτε λίμνη ὑποδεχομένη τὰς ἡλίου καταδύσεις καὶ σελήνης, είτε ἄλλο τι, οἷον οἱ ποιηταὶ καταμαντεύονται· ἐξόν τοὺς μὲν ποταμούς ἐὰν ῥεῖν, ὁπόθεν αὐτοὺς ἀφῆκεν ὁ Ζεὺς, αὐτὸν δὲ ἐπὶ ̓Αμμωνα ἀφικόμενον, ἢ ἐπὶ τὴν Θεσπρωτῶν γῆν καὶ τὴν ἐκεῖ δρῦν, ἡ ἐπὶ τὸν Παρνασσὸν καὶ τὴν Πυθοί χρησμῳδίαν, ἢ ἐπὶ τὸν Ἰσμηνὸν καὶ τὴν ἐκεῖ φωνὴν, ἡ ἐπὶ δῆλον καὶ τοὺς ἐκεῖ χορούς, ἡ ἔπου ἄλλο τι μαντείου ἦν φθετματικόν τῆς Ελλάδος ἢ τῆς βαρβάρου γῆς, δεῖσθαι τοῦ Διὸς καὶ τοῦ Απόλλωνος επιδοῦναι χρησμὸν ἕνα κοινὸν καὶ δημόσιον τῷ πάντων ἀνθρώπων γένει. Η γὰρ ἂν καινωφελεσέραν θεωρίαν εσείλαντο οἱ ἄνθρωποι τήνδε, μᾶλλον ἢ Δωριεῖς περὶ Πελοποννησου μαντευόμενοι, ἡ 'Αθηναῖοι περὶ Ἰωνίας πυνθανόμενοι, ἡ Κορίνθιοι περὶ Σικελίας ἀνερωτῶντες.

Φερε μιμησάμενοι τους θεωρους ἐκείνους, τους καινους, τους ὑπὲρ του γένους ἐπὶ τὰ μαντεία σαλέντας, ερώμεθα τον Δία, τις τῶν ἀνθρωπίνων ἀγαθῶν πατὴρ καὶ χορηγός, τινες ἀρχαί, τινες πηγαί, πόθεν ὁρμηθέντα ρεῖ. Η τόντων μέν πέρι ουθεν δεῖ τὸν θεὸν

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