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pauvreté » (1). Mais saint Ephrem ne vit dans la pâleur répandue sur son visage qu'un stratagème ménagé pour séduire les simples. Faire profession de pauvreté, c'était le moyen, en Orient, de grouper de nombreux disciples. Encore aujourd'hui, les Mahometans couvrent de leur mépris toute vertu qui n'est pas accompagnée de la pauvreté volontaire. Aussi Manès compta bientôt un grand nombre de disciples, dont les principaux furent: Thomas, Addas et Hermas. 11 prit un soin tout particulier de ces trois derniers, qui, après s'être montrés confiants, lui furent absolument dévoués. D'abord, il les instruisit de sa doctrine; plus tard, quand il les eut formés, il les associa à sa pensée, et leur fit connaître les vastes desseins qu'il avait conçus. Il affecta même de leur donner une mission particulière: il les envoya dans les villes et les bourgs de la Mésopotamie, pour y rẻpandre son enseignement; il leur confia même un apostolat lointain. Hermas demeura auprès du maître. Thomas alla en Égypte, Égypte, et Addas en Scythie. La Scythie comprenait les pays qui s'étendent au nord-est et au nord-ouest de la mer Caspienne. Un fait d'une très-grande importance pour nous, que nous devons constater, c'est que, dans ces contrées, habitaient alors des populations

(1) Abulpharage, Dynas. p. 82. Cité par Beausobre.

Slaves ou tout au moins des peuples que nous verrons, dans moins d'un siècle, se mêler aux Slaves, lors de l'établissement de ceux-ci sur les rives du Danube (1).

Pendant que ses disciples portaient au loin les doctrines dualistes, Manès lui-même travaillait à les répandre par ses lettres nombreuses, qui plus tard formeront un des livres principaux de la

secte.

Tout jusqu'ici semblait donc favoriser la nouvelle hérésie. Mais tout-à-coup, on ne sait pour quelle raison, Manès perdit l'amitié de Sapor 1er, et alors il fut aussi sévèrement traité qu'il avait reçu bon accueil pendant son second séjour à Séleucie. Tous les auteurs, latins, grecs, syriens, parlent de mesures sévères prises par Sapor contre Manès et ses disciples. Ceux-ci ne trouvèrent de salut que dans la fuite (2). Mais il faut l'avouer, la fuite même leur fut favorable: elle donna au dualisme une plus facile diffusion. Manès alla demander un asile à la Scythie, à cette terre hospitalière, dont Addas s'était déjà si bien trouvė. Dès ce moment, ce pays, où les doctrines dualistes avaient fait de

(1) Les peuples qui habitaient cette région étaient désignés par les Grecs sous le nom de Exvat. Mais dans leur propre langue ils s'appelaient Exóλo0oe, c'est-à-dire Slavoniens. » Theil, Dict. au mot Scythia.

(2) Beausobre, op. cit.

si grands progrès, compta un grand nombre de disciples fidèles et dévoués à Manès.

Le voyage d'Addas, dont nous avons déjà parlé, le séjour de Manès dans ces contrées, qui plus tard ont pris le nom de Turkestan, la diffusion rapide des doctrines dualistes, le grand nombre de disciples de Manès, tout cela est constaté par les historiens latins et persans (1): fait d'une capitale importance pour nous, puisque c'est des contrées situées au nord de la mer Caspienne que sont descendues, vers le Midi, les races Slaves, et que par les races Slaves le dualisme s'est plus tard répandu en Hongrie, en Italie, sur les bords du Rhin, et enfin dans la Provence et le Languedoc.

Après la mort de Sapor 1er (271), Manès rentra à Séleucie. Par une de ces réactions, qui se produisent fréquemment après les changements inévitables de la politique et auxquels notre siècle agité nous a trop habitués, s'il ne nous en a pas lassés, Hormisdas, successeur de Sapor 1er, manichéen lui-même, favorisa celui qu'il regardait comme victime d'une atroce persécution. Manès se montra reconnaissant: il dédia à son bienfaiteur les ouvrages qui renfermaient l'exposé de ses doctrines. Malheureusement pour lui Hormisdas ne vécut pas longtemps la même

(1) Beausobre, op. cit.

année qui l'avait vu monter sur le trône le vit descendre dans la tombe (272). Varanes 1er, son successeur, suivit la politique de Sapor. Il sembla même lui donner je ne sais quelle forme cruelle. Eutychius rapporte qu'il fit enterrer deux cents Manichéens dans du limon, la tête en bas et les pieds en haut, et qu'il se vanta plus tard << d'avoir fait un jardin planté d'hommes au lieu d'arbres ». La foi des Manichéens ne fut pas assez vive pour les résoudre à demeurer et à attendre en paix les coups du bourreau la fuite leur parut préférable. Ils allèrent, pour la plupart, chercher leur salut dans les contrées de la mer Caspienne, déjà parcourues par Addas et Manès, vers lesquelles les amenaient les facilités et la frẻquence du commerce de pelletterie des peuples de ces pays. Pour la troisième fois, les doctrines dualistes parcoururent donc ces régions; elles s'y répandirent, au point de devenir un danger social. Amrus, écrivain nestorien, nous fait pressentir en effet la raison pour laquelle Varanes agit aussi sévèrement contre les Manichéens, dont les doctrines sur le mariage menaçaient la famille ellemême, quand il dit que l'édit du roi de Perse causa une vive inquiétude à Papas, évêque de Séleucie. Parmi les chrétiens, beaucoup s'abstenaient du mariage, sans le condamner toutefois, comme une œuvre du démon: Papas craignit un instant

que le roi de Perse n'enveloppât les chrétiens dans les sévérités exercées contre les disciples de Manès.

C'est sans doute sous le coup de l'impression fâcheuse que lui avaient laissée les enseignements de Manès, que le roi le fit mourir d'une mort si cruelle il aurait été écorché. Abulpharage dit qu'il ne le fut qu'après sa mort, mais qu'alors sa chair fut livrée aux oiseaux de proie, sa peau apprêtée comme une peau d'animal, et, après avoir été remplie d'air, pendue à la porte même de la ville, comme un objet de ridicule ou de mépris. Terrible châtiment, mais châtiment qui, malgré sa rigueur, fut impuissant à arrêter le mouvement populaire commencé par Manès. La doctrine ne mourait pas avec lui (1).

Au moment où nous sommes parvenus, à peine au commencement de cette nouvelle forme du dualisme, nous le voyons donc répandu dans toute l'Asie occidentale, en Arabie, en Égypte, au nord de la mer Caspienne, à Constantinople même, où l'on trouva plus tard des lettres de Manès, sur les bords du Danube. Bientôt il passera en Afrique, où saint Augustin, dualiste d'abord, le combattra ensuite avec la vigueur du plus puissant génie chrétien, pendant qu'en Europe, il remontera le

(1) Voir aux Pièces justificatives, N. 1, un extrait fort intéressant de l'historien Socrate.

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