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Dieu est le créateur du monde, mais non du démon, qui existe par lui-même et qui s'est produit lui-même. Dieu a fait l'homme, mais il ne l'a revêtu de chair qu'après son pêché.

On voit ici le mélange des doctrines orientales et des doctrines révélées, ou plutôt des enseignements révélés, dénaturés par les rêveries de l'Orient. Mais encore ici rien de nouvean: certains Juifs rationalistes, imbus de ce principe que la matière est en soi mauvaise, n'avaient-ils pas dit, avant Bardesane, que l'homme avait été revêtu de son corps seulement après son pèché (1)?

C'est un trait commun à plusieurs hérétiques des deux premiers siècles, qu'ils ne nièrent point directement tel ou tel point du dogme, en s'appuyant sur une impossibilité rationnelle ou en rejetant le mystère parce qu'ils ne le comprenaient pas; ils admirent l'Évangile, mais à la condition de le modifier et de le corriger. Dès-lors que la matière était regardée comme mauvaise en elle-même, il fallait expliquer comment Jésus-Christ avait paru sous une forme humaine. Les Docètes avaient prétendu en donner l'idée en imaginant, les uns, que le Fils de Dieu n'avait pas pris un corps et n'en avait revêtu que les apparences; les autres, qu'il avait pris un corps réel mais céleste. Qu'ė–

(1) Buxtorf in Not. ad lib. Cozri, p. 52

tait-ce que ce corps réel, mais céleste ? Le système était en défaut. Ce fut cependant ce dernier sentiment que Bardesane adopta. Comme il estimait que la matière était essentiellement mauvaise, il ne donnait pas à Jésus-Christ un corps semblable au nôtre; mais comme il était impossible de nier la venue de Jésus-Christ sur la terre, il lui reconnaissait un véritable corps.

Il ne reste des écrits de Bardesane que quelques fragments conservés par Eusèbe (1), par Porphyre (2) et par saint Jérôme (3). Il avait composé en langue syriaque (4) cent cinquante psaumes, à l'imitation des psaumes de David. Il les destinait à ses disciples, et, de fait, ils contribuèrent pour une grande part à la diffusion de ses erreurs. Harmonius, son fils, qui, dit-on, avait quelque talent, composa de même des poésies, sous forme de cantiques qu'il répandit (5). Il est curieux de comparer les efforts que l'erreur a faits de tout temps

(1) Hist. lib. vi, cap. 30.
(2) Abstinentia, lib. IV.
(3) Lib. in Jovin. cap. 9.
(4) Assemani, Bibl. orient.

(5) Voir sur Bardesane et son fils: Hiero., lib. 11, in Jovin. cap. 29.- Euseb. Præp. Evan., lib. vi, cap. 9. Epiph Hores. 56. Aug. Hores. 35. Euseb. Hist.

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lib. vi, c. 50. Theod. Dialog. 2. Orig. cont. Marc. Prædestinatus, cap. 35. Theod. Hæret Fabul., lib. 1, c. 22. - Sozom. lib. II, cap. 16.

pour pénétrer dans le cœur de l'homme par le charme du chant. La fable de la Sirène, imaginée par les anciens, a son fondement, non pas dans leur imagination féconde, mais dans la nature même de l'homme, si facile à la séduction. Valentin s'était servi du chant; Bardesane s'en servit, à son tour, comme d'une puissance irrésistible; de même, plus tard, s'en serviront Arius, Paul de Samosate, Manès, et au xıro siècle, en France, les Albigeois, comme le font encore aujourd'hui les fils de la Révolution.

L'histoire de Marcion et de son erreur n'est pas moins instructive (1).

Saint Épiphane (2) affirme qu'il était de l'Hellénopont. Chrétien d'abord, il serait sorti de l'Église, suivant la Chronique d'Edesse, vers l'année 138 (3). Ayant commis une mauvaise action, il fut chassé par son père, sans espoir d'obtenir de lui le pardon. Cependant, par une conduite bizarre, il donna dans l'hérésie naissante des Encratites, d'après lesquels le mariage n'était qu'une conjonc

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(1) Cf. Hieron in Amos proph., cap. 3; in Jono proph., cap. 6; in Eccl., c. 8. Justin., Apologia 1, n. 26. Tertul. adv. Marcion. et de Carne Christi. Clem. Alex., Strom. vII, 17. Dialogus de recta fide cont. Marcion. /inter opera Origenis. A. Hahn, de Gnosis Marcionis antinomia, Koenigsb., 1820-1821. (2) Hæres., XLII.

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(3) Asseman. Bibl. orient., tom. I.

tion détestable. Il vint à Rome après la mort du pape Hygin; on dit qu'il prétendit à la papauté: mais Dieu écarta du trône pontifical un ambitieux sans mérite. De dépit, il s'engagea dans le parti de Cerdon, et à l'exemple de son maître, il se fit l'apôtre de ses erreurs en Orient, sans penser peut-être qu'il les avait reçues du pays même où il les enseignait.

Il admettait deux principes: Dieu et la matière. Comme Basilide, il donnait au Dieu suprême le nom de Dieu bon, et au Dieu créateur, celui de Dieu juste (1). Pour lui, la matière éternelle était la seule cause du mal. Le Créateur n'avait qu'accidentellement produit, en ce sens que la matière, vraie cause du mal, était sortie de ses mains

Comme Basilide et Bardesane, il rejetait l'Ancien Testament; il ne reconnaissait du Nouveau qu'une partie de l'Évangile selon saint Luc. Il niait la nature humaine du Sauveur, et dès-lors sa naissance d'une vierge. Quand Jésus avait été livré aux Juifs et attaché à la croix, quand il avait été mis au tombeau, tous ces faits de la Passion, dont le récit a une si grande puissance d'émotion, ne s'étaient produits qu'en apparence. Il n'y avait eu ni souffrances, ni mort, ni résurrection, disait-il. Marcion, dont la pensée marquait si peu de pro

(1) Voir la Dissertation de Noël Alexandre sur Marcion, Ie siècle.

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grès sur celle de Basilide et de Bardesane, eut pourtant une nouveauté, qui se reproduira chez les Manichéens et les Albigeois. Il partagea ses disciples en deux classes: celle des Parfaits et celle des Adeptes.

L'usage de la viande était proscrit pour les Parfaits, qui ne se nourrissaient que de poisson et qui jeûnaient le samedi.

Les Manichéens du XIIe siècle pousseront cette idée jusqu'à sa dernière conséquence, et achèveront l'œuvre des Marcionites, et c'est ainsi qu'ils appartiendront à la même école d'erreur que les disciples de Simon le Magicien, des Gnostiques, de Valentin, de Cerdon, de Marcion, de Basilide, de Bardesane. Les noms dont quelques-uns de ceux-ci se firent appeler, se disant fils de Dieu, envoyés de Dieu, les prodiges qu'ils prétendirent faire, les extravagances auxquelles l'imagination échauffée des autres se livra, ne sont nullement la preuve qu'ils annonçaient une doctrine inconnue jusqu'à eux. Ils ne se servirent de ces noms usurpės et de ces prodiges prétendus que pour séduire les foules. Mais leurs extravagances furent, à leur manière, un hommage rendu à la vérité, car le travers restera toujours inséparable de l'erreur.

Terminons ce premier chapitre par un mot sur Scythien. Son nom a trompé quelques auteurs, qui

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