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nos pays plus d'un revint de la croisade con- i verti aux principes de Manès.

Toutes ces causes multiples et diverses, qui se rencontrèrent ensemble, ne détournèrent que davantage l'attention de l'Église. Au reste, n'oublions pas que, pendant les trente premières années du XIe siècle, le néo-Manichéisme vécut dans le secret; il se déroba avec une rare prudence. Nous avons constaté qu'il ne se produisit qu'à mesure que les circonstances devinrent plus favorables. Mais, ces circonstances venues, il se répandit en Italie et en France avec une rapidité qui, si le monde n'eût été occupé à d'autres graves intérêts, lui eût inspiré de l'effroi.

Mais à côté de ces causes générales se placent d'autres causes plus particulières; car l'état particulier de la France, et surtout de la Provence et du Languedoc, autant que l'état de l'Église universelle, contribua, pour sa part, à ouvrir au néo-Manichéisme les voies les plus larges: il empêcha, du moins, d'élever contre lui des barrières. Il suffit de parcourir les canons des conciles particuliers tenus en France au xre siècle, pour se convaincre que, lorsque dans une nation le sacerdoce ne veille pas et néglige quelques-uns de ses devoirs sacrés, l'ennemi ne tarde pas à entrer dans le bercail, trouble les âmes et les entraîne loin de Jésus-Christ. En France, les désordres étaient aussi grands

qu'en Allemagne et en Italie. Le mal remontait à une époque déjà ancienne. Les conciles du commencement du xe siècle faisaient déjà un tableau peu flatteur des mœurs du temps, et se plaignaient que des habitudes de vie trop facile eussent remplacé les vertus austères (1). Ce mal provenait surtout de l'immixtion des laïques dans l'administration de l'Église. Ainsi on avait vu à la mort de Senlfe, archevêque de Reims (925), Herbert, comte de Vermandois, faire élire à sa place un de ses enfants, qui n'avait pas encore cinq ans accomplis (2). Un fait de cette nature était rare, à la vérité, même dans ce siècle; mais il nous montre cependant la tendance usurpatrice des grands et des seigneurs. Effectivement, au xr° siècle, des laïques puissants confiaient souvent une église ou une abbaye à un clerc, qui l'achetait, sans que ni les uns ni les autres eussent consulté l'évêque et obtenu son consentement. Aussi le Concile d'Orléans (1022)

(1) Pour ne citer que les conciles tenus dans le midi, Arnuste, archevêque de Narbonne, et onze autres prélats se réunirent à Jonquières (mai 909), aujourd'hui petite commune de l'Hérault (Conc. t. ix, p. 524). Arnuste avait, en 902, assisté à un autre concile, avec Rostang d'Arles, et quelques autres évêques (Marten. Anec. t. 4, p. 69).

(2) Cette élection fut approuvée par le roi Raoul et confirmée par le pape Jean X. (Flod. chron. an. 925, ap. D. Rivet, Hist. litt. de la France, État des lettres au è siècle).

ordonna que le clerc auquel une charge ecclésiastique devait être confiée fût préalablement envoyé à l'évêque ou à son vicaire, qui s'informerait de sa science, de son âge et de ses moeurs ce qui nous fait entendre que quelques-uns de ces clercs étaient ignorants, ou trop jeunes, ou vicieux (1): mal vraiment grand, puisqu'on compte environ quatre-vingts conciles tenus en France, dans le cours du xr° siècle, pour relever l'honneur et l'estime du clergé. Tels sont principalement les Conciles de Bourges et de Limoges (1031), celui de Reims (1049), présidé par le pape Léon IX; les deux de Rouen (1050 et 1072); ceux de Tours (1060) et de Toulouse (1056); celui de Poitiers (1078), présidė par Hugues, évêque de Die, légat du Saint-Siége, et le mémorable Concile de Clermont (1095), présidé par le pape Urbain II (2).

Quelques prêtres n'administraient les sacrements de baptême et de pénitence qu'après avoir reçu une somme d'argent. D'autres s'appliquaient totalement aux affaires civiles (3); si bien que le Concile de Reims (1131) défendit expressément, aux moines et aux chanoines réguliers, de se

(1) Ce canon XIII nous indique un mal déjà ancien, puisqu'un canon semblable avait déjà été porté par le Concile de Vienne de 892 (Can. Iv), et que, en 1031, il fut renouvelé par le Concile de Bourges (Can. xxII). (2) Concil. collect., t IX.

(3) Id., t. x.

faire médecins ou avocats dans un esprit de cupidité. Ceux-là, comme en Italie, étaient loin d'avoir dans leur vie cette gravité, cette austérité, cette vigilance qui font l'honneur et la force du sacerdoce. Aussi le sous-diacre, au moment de son ordination, devait promettre, en spécifiant l'objet de sa promesse, de vivre seul, et en France, on mit en vigueur le canon III du Concile de Rome (1059), qui défendait aux fidèles d'entendre la messe de tout prêtre qui manquait à ses engagements. Ceux-ci recevaient des laïques l'investiture d'un bénéfice, d'une abbaye ou d'un évêché, et sur ce point, le désordre, s'il n'eût pas été arrêté, fût devenu plus grand qu'en Allemagne. En Allemagne, du moins, l'empereur seul s'attribuait le droit de donner l'investiture; tandis qu'en France, c'était tout laïque puissant (1). Aussi, on voyait des prêtres, mécontents de la part qui leur était faite, quitter le ministère et se mettre à la suite et au service d'un riche seigneur, afin d'obtenir un prieuré ou une cure à riches revenus. Ils oubliaient combien c'était s'éloigner des saints canons, de l'esprit de l'Église, de la vertu et de la perfection sacerdotale; ils ne savaient pas quel tort ils faisaient à l'Église elle-même, car le sacerdoce ne méprise pas en vain les règles de son saint état. Autant un

(1) Concil. Claromentense (1095), Can, xvI.

clergé zėlė, saint et savant, appliqué au devoir de la prière et au soin des âmes, est respecté, aimé et vénéré, autant il tombe dans le mépris quand il descend plus bas que le niveau de la vertu simplement humaine, car c'est toujours au préjudice du salut des âmes et de la gloire de Jésus-Christ. On le vit en France au XIe siècle. Les peuples, animés cependant d'une foi profonde, mais mècontents, n'acceptèrent plus du prêtre la pénitence. canonique; ils n'eurent ni la même confiance, ni la même obéissance; et quand les conciles tentèrent de faire revivre l'austérité de la discipline ecclésiastique, les prêtres ne crièrent-ils pas à la tyrannie? Et les peuples, toujours portés à se souvenir du mal et à regarder le fait de quelques-uns comme la suite d'un état général, blâmaient l'épiscopat tout entier, dont quelques membres recevaient pour les ordinations des présents magnifiques (1), et flétrissaient cette simonie dissimulée, plus odieuse et plus criminelle que la simonie ouverte.

Dans le Languedoc et la Provence, où le néoManichéisme faisait tous les jours de nouveaux progrès, l'état général des esprits semblait empirer

encore.

Le Languedoc n'avait pas participé à ce mouve

(1) Concil. Aurel., Can. III.

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