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lier contre les Livres de la Loi, car il considérait la Loi comme l'œuvre la plus impie de Satan.

C'est en se fondant sur ce même principe, pour si étrange qu'il fût, qu'il contesta la valeur de certaines parties du Nouveau Testament, qu'il corrompit les Évangiles par des interpolations arbitraires, qu'il refusa d'admettre les Épitres à Tite, à Timothée et aux Hébreux (1).

Mais quelle était l'origine du mal, d'après Basilide?

Saint Jérôme (2) affirme que, à l'exemple des Mages, il attribuait le mal à la matière, qu'il appelait Ténèbres. Aussi niait-il l'Incarnation et le Crucifiement. D'après lui, « le Père éternel voyant la perdition du monde, envoya son fils premierné, l'Intelligence, qui devait délivrer ceux qui croiraient en lui et les affranchir de la puissance des anges créateurs. Il parut, comme s'il eût été homme, et opéra un grand nombre de miracles;

(1) Hieron., in Epist. ad Titum, in proœm. - Basilide a cité plusieurs passages de saint Luc et de saint Jean. Dans l'Hippolyte (VII, 22, 26, 27), il cite le verset 9 du chap. I de saint Luc, et le verset 4 du chap. II; il cite le verset 35 du chap. I de saint Jean. Aussi Tischendorf s'est servi de son témoignage pour prouver l'ancienneté des Évangiles. Il paraît que Basilide invoquait les traditions secrètes de l'apôtre Matthieu et d'un interprète nommé Glaukias (Molher, Hist. de l'Église).

(2) Adv. Jovin. lib. II.

mais il ne fut point crucifié. Il donna sa figure à Simon le Cyrénéen, qui fut crucifié à sa place >> (1).

On voit ici le principe sur lequel s'appuyaient les Docètes pour nier que Jésus-Christ fût véritablement homme.

Ce fut par une conséquence de ce même point de départ : La matière est cause du mal, que Basilide condamna le mariage. Nous verrons plus tard comment les Manichéens de toutes les nuances acceptèrent ces mêmes conséquences; elles constitueront même, au XIIe siècle, un des plus grands dangers qu'ait jamais courus la région méridionale de la France (2).

Pendant les deux premiers siècles de l'ère chrétienne, l'hérésie tenta donc sous mille formes de supplanter la religion nouvelle, seule expression de la vérité. Mais, chose singulière ! tous ces chefs d'erreur, loin d'enseigner des doctrines qui leur fussent personnelles, ne furent tout au plus que des plagiaires intelligents et ambitieux de la philosophie orientale. Nous pouvons comprendre l'histoire de l'erreur à cette époque par son histoire au

(1) Iren., loc. cit.

(2) Il paraît que la magie était en vogue chez les Basilidiens, qui se servaient des gemmes d'Abraxas. Une excursion gnostique en Italie, 1852. Prodromus iconicus, Venet. 1702.

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Matter, Capello,

XIXe siècle. Que d'écrivains ont joui, chez nous, d'une grande renommée de science, qui n'étaient que les échos affaiblis des doctrines professées de l'autre côté du Rhin! Ainsi fait toujours l'erreur. Elle est enfermée dans un cercle étroit, dont elle ne pourra jamais sortir. Il n'y a pas, à proprement parler, progrès dans la négation : la négation reste toujours la même, quoique revêtue de traits différents. L'histoire que nous étudions en offre déjà un exemple remarquable. Les deux premiers siècles virent naître une infinité de sectes congénères; et quelques auteurs se sont mépris en les regardant comme autonomes et en leur donnant des noms différents; car elles ont pris leur point de départ de deux seuls principes le principe gnostique et le principe dualiste. Or, ce dernier était le principe même de la philosophie orientale; il sera le principe des Albigeois.

Basilide n'échappa point à la loi commune : il avait longtemps voyagé en Perse, la terre classique du dualisme. Il en fut de même pour Isidore, son meilleur élève et son fils, qui écrivit un traité de morale, où il traduisit presque uniquement Phérécyde de Syra (1). Bardesane, contemporain de Basilide, dont nous parlerons bientôt, avait fait

(1) Clem. Alex., Strom., p. 150, édit. Pott. Agrippa réfuta les erreurs de Basilide: Euseb. Hist. lib. iv, c. 7, et d'Isidore, Theod. lib 1, Horet. Fabul. cap. 1.

un voyage jusque dans les Indes, où il s'était instruit des mœurs et de la philosophie des Brachmanes; il avait, de la sorte, acquis une réputation de savoir. Il est probable que Basilide eut connaissance de la relation qu'il écrivit de son voyage: cette relation fut mise entre les mains des gens de la suite de l'empereur Antonin, lorsque celui-ci revenait d'Emesa en Syrie (1). Et c'est ainsi qu'en Occident, s'attribuant une doctrine qui ne lui appartenait pas, il prit les dehors d'un chef d'école, ces dehors qui conviennent si bien à l'orgueil de l'esprit. Mais s'il parvint à tromper quelques intelligences crédules de son temps, les âges suivants ont été mieux avisés. Ce que Wolff (2), flétrissant du même coup toutes les contrefaçons coupables, disait de Manès, il pouvait le dire également de tous les dualistes qui l'ont précédé, Basilide, Bardesane et autres.

D'après la Chronique d'Édesse, Bardesane serait né dans cette ville le 11 juillet de l'année 154.

(1) Voir le fragment du livre de Porphyre: de Styge, publié à la suite de sa vie par Luc Holstenius.

(2) Au XVIe siècle, Wolff s'exprimait ainsi : « Fuerunt sane qui cum Danco ad Augustinum, eum Manicheismum ex Pythagoreorum συσαιχειώσει, et Marcianitarum lacunis a Maneta haustum profitentur. Sed altius omnino originem ejus repetendam esse puto, ex quâ ad plerumque inter Græcos philosophos gymnasia dimanasse hic error videtur» (op. cit., p. 218).

Plus probablement, il était syrien d'origine (1). De bonne heure il entra dans le sein de l'Église de Jésus-Christ. Dieu lui avait donné un esprit distingué et puissant. Le livre Contre le destin astrologique qu'il écrivit dans sa jeunesse, trèsloué par Eusèbe (2) et par saint Jérôme (3), donna la mesure des services qu'il pouvait rendre à la vérité. Mais alors, comme de nos jours, le monde était peuplé de beaux talents avides de nouveautés. Bardesane, ne sachant pas se contenter des doctrines évangéliques, suivant le conseil de saint Paul (4), ou peut-être n'en comprenant pas la grandeur et la sublime simplicité, se laissa bientôt séduire par les erreurs de Valentin, auxquelles cependant il ne tarda pas à renoncer, pour passer à d'autres folies. Celles-ci du moins étaient les erreurs de sa terre natale.

Il est certain que Bardesane admettait deux principes ou deux racines de toutes choses: l'une bonne et l'autre mauvaise. Pour lui, Dieu n'est pas l'auteur du mal; il est absurde que le Verbe ait pris un corps, car l'âme n'a été liée au corps qu'à cause du péché qu'elle avait commis.

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(1) Euseb., Præp. Ev., lib. vi, chap. 9. - Theodor., lib. 1. Hæret. Fabul. cap. 22. — D. Ceiller, t. 1, p. 465. Ed. Vivés.

(2) Hist. Eccl., lib. iv.

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in cap. X Oser

(3) In Catal., cap. 33;
(4) Oportet sapere ad sobrietatem.

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