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corps. Le Sauveur l'a enseigné aux hommes; sa doctrine a opéré la rédemption; de même sa doctrine, et non les sacrements qui sont une œuvre de Satan, en applique le fruit.

Les Bogomiles regardaient leur enseignement comme le seul vrai. Ils méprisaient par conséquent les évêques orthodoxes; ils appelaient les prêtres vipères, et les moines renards; pour eux, ils se regardaient comme étant la vie céleste, le sel de la terre, la lumière du monde, les lis des champs, les saints sans tache ni péché.

L'adulte seul était admis dans leur société ; mais ils n'administraient point de baptême, car d'après eux l'eau provenait de Satan. Après des jeûnes et des prières, ils se contentaient d'imposer l'évangile de saint Jean sur la tête du nouvel adepte. Les Grecs n'en appelaient pas moins cet acte Вantioμa, un baptême; il n'avait cependant d'autre ressemblance avec le sacrement que de donner à l'élu le nom qu'il devait porter le reste de sa vie.

Les simples Croyants étaient reçus de la sorte; mais au-dessus du Croyant il y avait les Parfaits, appelés aussi Chrétiens, Bons hommes, Élus. Tout parfait, homme ou femme, avait le droit de prêcher, car ils ne reconnaissaient pas de hiérarchie ecclésiastique. Cependant ils admettaient des supérieurs; ils les élisaient, de telle sorte que ceux-ci

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n'avaient d'autres pouvoirs que ceux que lui conférait la communauté. Ces supérieurs formaient une hiérarchie à trois degrés. A la tête du district était l'Évêque (Djad, vieux père), sous lequel étaient le Diacre et le Fils. Mais, même à l'époque où ils s'étendirent de Constantinople à Bordeaux, ils ne semblent pas avoir placé à la tête de leur société, alors très-développée, un pouvoir supérieur et central semblable à celui des Papes. Quelques auteurs cependant ont pensé le contraire: l'organisation des Albigeois, telle que nous l'étudierons, leurs relations fréquentes avec les Églises dualistes d'Orient, rendent cette dernière opinion plausible et plus que vraisemblable.

Le nombre des supérieurs diocésains était trèslimité. Ainsi, d'après M. Jirecek, il n'y eut jamais qu'un évêque et douze diacres en Bosnie où le Bogomilisme fut pendant longtemps la religion dominante. Les fonctions des diacres consistaient à aller de ville en ville, pour affermir le peuple dans la foi, passer les contrats et conclure la paix, car des querelles éclataient fréquemment.

Les Bogomiles n'avaient point de temple pour le culte. Comme les anciens Slaves et les premiers Manichéens, ils invoquaient Dieu partout, en plein air, dans les montagnes, dans les forêts et dans leurs huttes. Ils considéraient les églises chrétiennes comme le siège de Satan, et les cloches,

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<«< comme les trompettes des mauvais esprits »>. Satan disaient-ils, avait établi sa demeure d'abord dans le temple de Jérusalem, puis dans l'église Sainte-Sophie de Constantinople. Ils blasphémaient la croix et appelaient les images idoles. Ils n'admettaient comme acte de culte que la récitation de l'Oraison dominicale. Ils regardaient la messe comme un sacrifice offert aux démons par le moyen de paroles sans valeur, qui n'étaient qu'un vain son, un bavardage. Mais tous les mois ils faisaient une confession publique en présence des Parfaits des deux sexes, sans toutefois déclarer chaque péché par son nom.

Pour ce qui est de la loi morale, ils partaient de ce principe que la subordination de l'âme au corps 1 est seule péché. Aussi, disaient-ils, la mort spirituelle n'arrivait qu'à la suite de transgressions de fait et non à la suite de mauvaises pensées.

La manière de vivre des Parfaits était extrêmement sévère; c'est pourquoi on admettait peu d'Élus dans cette classe supérieure, dont tous les membres devaient renoncer à leurs biens temporels, « la rouille de l'âme ». Mais il y avait les biens communs, qui étaient acquis par des dons directs ou des legs; ces dons servaient à soutenir les frères pauvres et malades, et les prédicateurs envoyés chez les incroyants.

Pour les Parfaits, le mariage c'était l'inconduite.

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Ils ne pouvaient manger d'aucune viande, car ils regardaient toute chair comme une création de Satan. Ils ne prenaient non plus ni fromage, ni œufs, ni toute autre nourriture de provenance animale. Tuer un animal quelconque, le serpent excepté, constituait pour eux une très-grande faute. Aussi ils condamnaient la guerre, et n'admettaient point la peine capitale. Nous verrons si leurs descendants resteront fidèles à ces principes.

Un Parfait ne pouvait adresser la parole à un incroyant, que dans le but de le convertir. Il ne prêtait jamais serment; il vivait seul, renonçait à tous les plaisirs du monde et brisait même avec toutes les relations de famille et d'amitié. Sa nourriture se composait de plantes et de poissons préparés à l'huile, il ne faisait point usage de vin. Mais, comme nous le verrons plus tard, quelques-uns trouvaient cette vie trop dure pour la nature. Le vêtement des Parfaits était long et noir. Ils évitaient les foules et les solennités des mariages; ils restaient dans leur maison solitaire, occupés seulement à lire des livres apocryphes. Les Bogomiles de la Bulgarie priaient quatre fois le jour et quatre fois la nuit; ceux de la Grèce, sept fois le jour et cinq fois la nuit. Quand ils passaient sur un pont et entraient dans un village, ils priaient tout haut; le murmure de leur voix les distinguait ainsi des autres hommes. Ils admettaient

la fraction du pain, mais seulement comme mémorial de la Cène.

Les Parfaites étaient soumises aux mêmes devoirs. Habillées en noir, elles s'occupaient de travaux manuels, de l'éducation des jeunes filles et du soin des malades.

Telle devait être la vie des Parfaits, vie sévère, qui rappelle parfois une doctrine plus saine et plus élevée, mais à laquelle un bien petit nombre s'appliquèrent. Les Croyants leur témoignaient une grande estime; à leur rencontre, ils avaient coutume de s'incliner profondément. Un Parfait était accueilli partout avec joie et bonheur: recevoir sa bénédiction était la grâce suprême.

Le simple Croyant avait une vie moins sévère. Le mariage ne lui était pas absolument défendu, mais il prenait la femme sous la condition qu'elle serait bonne et fidèle, et en se réservant le droit de la quitter, s'il le jugeait à propos (1). C'était, en principe, la dissolubilité du mariage, le vice et le désordre dans la famille.

Le simple Croyant prenait part à la guerre, comme on le vit en Bosnie et en Lombardie, comme nous le verrons dans le Languedoc. Il

(1) Le pape Grégoire IX écrivait : « Cum Bomenses uxores accipiant cum condicione; si eris bona et intentione dimittendi, quando sibi videbitur. » Ms. de l'Acad. slav. cité par M. Jirecek.

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